Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 18 décembre 2019 et un mémoire enregistré le 7 janvier 2020, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1917776/8 du 23 août 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter les conclusions présentées par M. F... devant le tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a considéré que l'arrêté contesté a porté au droit de M. F... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport au but poursuivi et est entaché d'un défaut d'examen complet de sa situation ;
- les autres moyens soulevés par M. F... en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 28 septembre 2020, M. F..., représenté par Me Carillo A..., demande à la Cour :
1°) de rejeter l'appel formé par le préfet de Seine-Saint-Denis ;
2°) d'enjoindre à la Préfecture de Seine-Saint-Denis d'exécuter le jugement rendu par le tribunal administratif de Montreuil en date du 6 juillet 2020 et de délivrer à M. F... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ;
3°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- les décisions portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français ne sont pas motivées et sont entachées d'erreurs de fait ;
- le refus de titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire français méconnaissent les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de destination doit être annulée du fait de l'illégalité des décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français n'est pas motivée, méconnaît les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
M. F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 28 septembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 61-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 et le décret n° 2020-1406 du même jour portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, notamment son article 5.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B... ;
- et les observations de Me E... A... pour le requérant.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... F..., ressortissant colombien né le 30 mars 1989, est entré en France le 4 avril 2016. Sa demande d'asile a fait l'objet d'un rejet par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 29 juillet 2016, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 12 juillet 2017 et sa demande de réexamen a été rejetée comme irrecevable par une décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides du 13 octobre 2017. A la suite de son interpellation le 10 août 2019, le préfet de la Seine-Saint-Denis a pris un arrêté en date du 11 août 2019 l'obligeant à quitter sans délai le territoire français, fixant le pays de destination et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pendant deux ans. Par un arrêté du même jour, le préfet a placé l'intéressé en rétention administrative pour quarante-huit heures. Le préfet de la Seine-Saint-Denis fait appel du jugement du 23 août 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé ces deux arrêtés.
Sur les motifs d'annulation retenus par le tribunal administratif de Paris :
2. En premier lieu, l'arrêté du 11 août 2019 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a obligé M. F... à quitter le territoire, fixé le pays de destination et prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant deux ans comporte le visa du règlement (CE) n° 1987/2006 sur l'établissement, le fonctionnement et l'utilisation du système d'information Schengen de deuxième génération (SIS II), des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que des articles L. 511-1 à L. 511-4, L. 512-2 à L. 512-5, et L. 513-1 à L. 513-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il indique que M. F..., " par son comportement constitue une menace pour l'ordre public, l'intéressé ayant été interpellé pour des faits de violences conjugales ", qu'il " s'est soustrait à l'exécution d'une mesure d'éloignement prononcée le 16 mars 2018 par le préfet de la Seine-Saint-Denis " et " ne présente pas de garantie de représentation ", et que " entré en France le 04/04/2016, il ne justifie d'aucun lien personnel, professionnel et familial en France ". Il résulte de cette motivation que le préfet a procédé à un examen particulier de la situation de l'intéressé. Si le préfet a commis une erreur de fait en indiquant que M. F... ne justifiait pas être le père d'un enfant, cette erreur ne suffit pas à établir l'absence d'un tel examen.
3. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1°) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2°) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. Il ressort des pièces du dossier que M. F... est entré en France le 4 avril 2016 et qu'il s'est maintenu sur le territoire après avoir fait l'objet d'une mesure d'éloignement dûment notifiée en date du 16 mars 2018. Il en ressort également que sa compagne, entrée en France le 10 septembre 2015, est aussi en situation irrégulière à la suite du rejet de sa demande d'asile et n'a pas vocation à se maintenir sur le territoire français. Si le requérant fait valoir que leur enfant est scolarisé en France à l'école maternelle, il ne résulte pas des pièces du dossier qu'il ne pourra pas être scolarisé en Colombie. Dès lors, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment de l'ancienneté du séjour des intéressés en France, le préfet de la Seine-Saint-Denis est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté contesté au motif que celui-ci portait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant.
5. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. F... en première instance.
Sur les autres moyens soulevés par M. F... en première instance :
En ce qui concerne le moyen de légalité externe soulevé à l'encontre de l'ensemble des décisions :
6. Le requérant fait valoir que l'obligation de quitter le territoire français, le refus de titre de séjour ainsi que l'interdiction de retour sur le territoire français sont entachées d'une insuffisance de motivation. Il ressort toutefois des pièces du dossier que ces décisions exposent les motifs de droit et de fait qui les fondent. Dès lors, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation sera écarté.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
7. En premier lieu, si M. F... soutient qu'il ne s'est pas soustrait à l'exécution d'une précédente obligation de quitter le territoire français, la décision du 16 mars 2018 ne lui ayant jamais été notifiée, l'administration justifie qu'il en a accusé réception le 26 mars 2018.
8. En deuxième lieu, si le préfet de Seine-Saint-Denis a commis une erreur de fait en indiquant que M. F... ne justifiait pas être le père d'un enfant, il résulte de l'instruction qu'il aurait pris la même décision, en se fondant uniquement sur les motifs tirés de ce que tant M. F... que sa compagne et mère de son enfant n'avaient pas vocation à se maintenir sur le territoire français et que l'enfant pouvait poursuivre sa scolarité en Colombie.
9. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de Seine-Saint-Denis aurait entaché son arrêté d'erreurs de fait en relevant que si M. F... avait déclaré un lieu de résidence, il n'apportait pas la preuve, à la date de la décision attaquée, qu'il y demeurait de manière stable et effective et qu'il ne justifiait pas être dépourvu d'attaches dans son pays d'origine.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ".
11. M. F... fait valoir qu'il réside en France depuis 3 ans avec sa concubine et leur enfant né en 2014. Il ressort toutefois des pièces du dossier que sa compagne est également en situation irrégulière. En outre, si M. F... fait valoir qu'il dispose d'un travail stable, il ne le justifie pas en se bornant à produire une promesse d'embauche. Dans ces conditions, compte tenu notamment de l'ancienneté de sa résidence en France et de l'âge de l'enfant, si M. F... justifie d'attaches familiales en France, rien ne s'oppose à ce que l'ensemble de sa cellule familiale retourne vivre en Colombie. Dès lors, en obligeant M. F... à quitter le territoire français, le préfet n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport au but poursuivi. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions précitées du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peuvent qu'être écartés.
12. En dernier lieu, M. F... ne peut pas utilement se prévaloir, à l'encontre d'une obligation de quitter le territoire français, de la méconnaissance des articles L. 313-10 et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne prévoient pas la délivrance d'un titre de séjour de plein droit.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
13. Il résulte de ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité des décisions par lesquelles le préfet de Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
14. En premier lieu, aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".
15. Il ressort des pièces du dossier que le requérant, qui n'est entré en France qu'en 2016 et dont la compagne est également en situation irrégulière, s'est déjà soustrait à une première mesure d'éloignement en date du 16 mars 2018 et a fait l'objet d'un rappel à la loi le 10 août 2019 à la suite d'une plainte pour violences conjugales. Dans ces conditions, le préfet de Seine-Saint-Denis n'a pas méconnu les dispositions précitées du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en fixant la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français à deux ans.
16. En second lieu, compte tenu de ce qui a été dit précédemment aux points 11 et 12, le préfet n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en prononçant à l'encontre de M. F... une interdiction de retour d'une durée de deux ans.
17. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Val-de-Marne est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué du tribunal administratif de Paris et le rejet de la demande de M. F.... Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction présentées par M. D... et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1917776/8 du 23 août 2019 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Paris et les conclusions présentées devant la Cour par M. F... sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C... F....
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Gobeill, premier conseiller,
- M. B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 décembre 2020.
Le président,
J. LAPOUZADE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19PA04080 2