Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 janvier 2015, M.C..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1303553, 1402027 du 30 septembre 2014 du tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler la décision du 9 avril 2013 du garde des sceaux, ministre de la justice ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros à verser à Me A...dans les conditions prévues par l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier car le rapporteur public a méconnu les dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative ;
- il est insuffisamment motivé ;
- les articles R. 57-7-64 et R. 57-7-68 du code de procédure pénale qui fondent la décision litigieuse méconnaissent les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision attaquée a été prise par une autorité incompétente ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle a été prise en violation des principes généraux des droits de la défense car il n'a pas été informé qu'il était susceptible de faire l'objet d'un placement provisoire au quartier d'isolement, ni n'a pu faire valoir ses observations avant l'édiction de la mesure ;
- la décision attaquée est entachée d'erreur d'appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 janvier 2017, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. C...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 décembre 2014 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pellissier,
- et les conclusions de M. Romnicianu, rapporteur public.
1. Considérant que M.C..., incarcéré depuis le 10 février 2010 et affecté depuis le 13 décembre 2012 au centre de détention sud-francilien de Réau, a été placé provisoirement au quartier d'isolement le 5 avril 2013 par décision du chef de cet établissement ; qu'il relève appel du jugement du 30 septembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 9 avril 2013 du garde des sceaux, ministre de la justice prolongeant cette mise à l'isolement pour une durée de trois mois, jusqu'au 5 juillet 2013 ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne (...) " ;
3. Considérant que la communication aux parties du sens des conclusions a pour objet de les mettre en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré ; qu'en conséquence, à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire ; que si, eu égard aux objectifs des mêmes dispositions, il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction des caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige et d'indiquer notamment, lorsqu'il propose le rejet de la requête, s'il se fonde sur un motif de recevabilité ou une raison de fond, et de mentionner, s'il conclut à l'annulation d'une décision, le ou les moyens qu'il propose d'accueillir, la communication de ces informations n'est pas requise à peine d'irrégularité de la décision juridictionnelle rendue postérieurement ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les parties ont été mises en mesure de savoir dès le 12 septembre à 16h, par l'intermédiaire du système informatique de suivi de l'instruction, que le rapporteur public conclurait, au cours de l'audience du 16 septembre à 9h30, " au rejet au fond " de la requête introduite par M. C...devant le tribunal administratif de Melun ; qu'eu égard aux caractéristiques du litige, cette mention indiquait de manière suffisamment précise le sens de la solution que le rapporteur public envisageait de proposer à la formation de jugement ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué aurait été rendu au terme d'une procédure irrégulière doit être écarté ;
5. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés " ;
6. Considérant, d'une part, que M. C...soutient que les premiers juges n'ont pas suffisamment indiqué les motifs pour lesquels ils ont rejeté le moyen qu'il avait articulé en première instance, tiré de ce que la possibilité de refuser la complète communication du dossier de la personne incarcérée méconnaissait les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il ressort cependant du point 12 du jugement attaqué que les premiers juges ont suffisamment exposé les motifs pour lesquels, selon eux, ces stipulations ne pouvaient être utilement invoquées ni à l'encontre de la décision prononçant le placement à l'isolement d'un détenu, ni des textes qui en organisent le prononcé, dont celui relatif à la communication du dossier qu'invoquait M. C... ;
7. Considérant, d'autre part, que la légalité de la décision prolongeant un placement à l'isolement s'apprécie indépendamment de celle de la décision du chef d'établissement décidant du placement provisoire ; que le moyen de première instance tiré de ce que M. C...n'a pas été mis en mesure de faire valoir ses observations avant son placement provisoire au quartier d'isolement le 5 avril 2013 était donc inopérant à l'encontre de la décision du garde des sceaux prolongeant ce placement ; que les premiers juges pouvaient omettre d'y répondre sans entacher leur jugement d'irrégularité ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation entachant le jugement attaqué ne peut être accueilli ;
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 9 avril 2013 :
En ce qui concerne la compétence de l'auteur de l'acte :
9. Considérant que M. C...ne conteste pas que MmeB..., adjoint au chef du bureau de gestion de la détention à la direction de l'administration pénitentiaire du ministère de la justice et signataire de la décision litigieuse, disposait à cette fin d'une délégation de signature du garde des sceaux régulièrement publiée le 24 février 2013 au Journal officiel de la République française ; que cette publication régulière rendait l'acte de délégation de signature opposable à tout administré ; que la circonstance que M. C...n'aurait pas eu, en détention et particulièrement au quartier d'isolement, accès au Journal officiel, est sans incidence sur la compétence de Mme B... pour signer, le 9 avril 2013, la décision litigieuse ; que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit donc être écarté ;
En ce qui concerne la régularité de la procédure :
10. Considérant qu'aux termes de l'article R. 57-7-64 du code de procédure pénale : " Lorsqu'une décision d'isolement d'office initial ou de prolongation est envisagée, la personne détenue est informée, par écrit, des motifs invoqués par l'administration, du déroulement de la procédure et du délai dont elle dispose pour préparer ses observations. Le délai dont elle dispose ne peut être inférieur à trois heures à partir du moment où elle est mise en mesure de consulter les éléments de la procédure, en présence de son avocat, si elle en fait la demande. Le chef d'établissement peut décider de ne pas communiquer à la personne détenue et à son avocat les informations ou documents en sa possession qui contiennent des éléments pouvant porter atteinte à la sécurité des personnes et des établissements pénitentiaires (...) " ;
11. Considérant, en premier lieu, que M. C...soutient que les dispositions de l'article R. 57-7-64 du code de procédure pénale qui prévoient que le chef d'établissement peut décider de ne pas communiquer à la personne détenue et à son avocat certaines informations ou documents en sa possession contreviennent aux règles du droit au recours et à un procès équitable et, contraires aux stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, devraient être " écartées " par le juge ; que toutefois, il ne ressort d'aucune pièce du dossier et il n'est même pas allégué que le chef d'établissement aurait, en l'espèce, refusé de communiquer à M. C...certains éléments de son dossier ; que le moyen tiré de l'illégalité des dispositions de l'article R. 57-7-64 du code de procédure pénale ne peut dès lors qu'être écarté ; qu'il en va de même de celui tiré de l'illégalité des dispositions de l'article R. 57-7-68 du même code, à l'appui duquel aucune précision n'est apportée ;
12. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que M. C...a reçu, le 5 avril 2013 à 15h, notification d'un document qui indiquait avec suffisamment de précision, en détaillant notamment les motifs de cette mesure, qu'il était envisagé de demander la prolongation de la mesure de placement à l'isolement prononcée le jour-même et l'informait qu'il pouvait prendre connaissance du dossier et présenter des observations écrites et, sur sa demande, des observations orales ; qu'il a indiqué à 18h ne pas vouloir présenter d'observations écrites mais des observations orales et a désigné un avocat pour l'assister ; que l'avocat qu'il avait désigné a reçu les mêmes informations par télécopie et par téléphone le 5 avril 2013 à 18h45, ainsi qu'une information sur l'organisation d'une audition le 8 avril 2013 à 11h et a indiqué à 19h55 qu'il ne serait pas présent le 8 avril 2013 ; que M. C...a lui-même reçu une information sur l'organisation de l'audience du 8 avril le 5 avril à 19h15 ; qu'ainsi, alors même que M. C...n'a pas présenté d'observations écrites et a refusé d'être entendu le 8 avril 2013, il a été mis à même de présenter ses observations écrites et orales avant que ne soit prise la décision du 9 avril 2013 ; que comme il a été dit au point 7 ci-dessus, la légalité de cette décision s'apprécie indépendamment de celle de la décision initiale du chef d'établissement décidant son placement provisoire à l'isolement, si bien que la circonstance qu'il n'aurait pu, avant son placement à l'isolement le 5 avril 2013, connaitre les motifs de cette décision provisoire et faire valoir ses observations, est sans incidence sur la légalité de la décision litigieuse du 9 avril 2013 prolongeant le placement à l'isolement, qui a été prise dans le respect de la procédure prévue par l'article R. 57-7-64 du code de procédure pénale ; que l'absence de débat contradictoire ne résultant que du refus de M. C... de présenter des observations écrites ou orales, il ne peut, en tout état de cause, utilement soutenir que l'administration aurait méconnu le droit d'être entendu ou le respect des droits de la défense, qui constituent, notamment, des principes généraux du droit de l'Union européenne ;
En ce qui concerne la légalité interne de la décision de prolongation du placement à l'isolement :
13. Considérant que l'article L. 726-1 du code de procédure pénale dispose que toute personne détenue peut être placée, pour une durée maximale de trois mois renouvelable, à l'isolement " par mesure de protection ou de sécurité soit à sa demande, soit d'office " ; que l'article R. 57-7-73 du code de procédure pénale dispose : " Tant pour la décision initiale que pour les décisions ultérieures de prolongation, il est tenu compte de la personnalité de la personne détenue, de sa dangerosité ou de sa vulnérabilité particulière, et de son état de santé (...) " ;
14. Considérant que la décision litigieuse mentionne en premier lieu que M. C..., qui bénéficiait d'une mainlevée d'isolement depuis son arrivée au centre pénitentiaire de Réau le 13 décembre 2012, y a perpétré une grave agression sur un gardien le 7 mars 2013 et a été trouvé en possession d'armes artisanales tant ce jour là que le 5 février 2013 ; que cette décision rappelle ensuite les très nombreux incidents disciplinaires, détention d'armes artisanales et agressions contre des codétenus et membres du personnel et de la direction des établissements dans lesquels l'intéressé a successivement été détenu, ainsi que les faits pour lesquels il a été condamné et des éléments de personnalité et comportement " qui témoignent de l'existence d'une certaine instabilité ", pour conclure que le maintien à l'isolement d'office au centre pénitentiaire sud-francilien s'avère nécessaire et constitue, " dans l'attente d'un transfert permettant un retour en détention ordinaire ", le meilleur moyen d'assurer la protection du personnel et des codétenus et de garantir le bon ordre au sein de l'établissement pénitentiaire sud-francilien ;
15. Considérant, d'une part, que contrairement à ce que soutient M. C..., la décision de placer d'office un détenu à l'isolement " par mesure de protection et de sécurité " peut être légalement fondée sur l'existence de faits constitutifs de fautes disciplinaires ou pénales, qu'elles aient ou non déjà été sanctionnées ;
16. Considérant, d'autre part, que la circonstance que M. C..., présent dans l'établissement depuis moins de quatre mois, n'avait, à la date de la décision, agressé qu'un seul surveillant du centre pénitentiaire de Réau ne saurait démontrer que le garde des sceaux, qui a d'ailleurs également retenu la possession d'armes artisanales dans ce même établissement et pris en compte, comme il devait le faire, l'ensemble du comportement du détenu, aurait commis une erreur d'appréciation en décidant, le 9 avril 2013, de le placer d'office à l'isolement pour une période de trois mois, par mesure de sécurité, et ce quelles que soient les causes de l'agressivité que M. C... reconnait montrer ; que si celui-ci invoque en outre sa fragilité psychologique, il est constant que la mesure n'a été décidée qu'après avis médical conforme ;
17. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande ; que sa requête d'appel ne peut qu'être rejetée, y compris, par voie de conséquence, les conclusions présentées sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C...et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 2 mars 2017, à laquelle siégeaient :
- Mme Pellissier, présidente de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- Mme Amat, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 30 mars 2017.
Le président-assesseur,
S. DIEMERTLa présidente de chambre, rapporteur
S. PELLISSIERLe greffier,
A. LOUNISLa République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15PA00438