Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire ampliatif enregistrés le 14 septembre et le 21 octobre 2020, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 2011442/8 du 12 août 2020 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal estimé qu'il avait méconnu l'article 10 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, dès lors que, d'une part, Mme A... a seulement déclaré être en concubinage avec M. B... sans qu'aucune demande écrite n'ait été introduite par les intéressés relative à leur demande d'asile, et que d'autre part, la Cour nationale du droit d'asile a rendu une décision de rejet le 27 aout 2019 s'agissant de la protection internationale de M. B... ;
- pour le reste, il s'en remet à ses écritures de première instance.
La requête et le mémoire ampliatif ont été communiqués à Mme A..., qui n'a pas produit de mémoire en défense devant la Cour.
Par une ordonnance du 12 novembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 décembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme F... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... A..., née le 28 avril 1982 en Côte d'Ivoire, pays dont elle a la nationalité, s'est présentée aux services de la préfecture de police le 15 mai 2020 aux fins d'enregistrement d'une demande de protection internationale. Par un arrêté du 27 juillet 2020, le préfet de police a décidé sa remise aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile. Le préfet de police relève appel du jugement n° 2011442/8 du 12 août 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article 7 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Les critères de détermination de l'Etat membre responsable s'appliquent dans l'ordre dans lequel ils sont présentés dans le présent chapitre. 2. La détermination de l'Etat membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un Etat membre ". Aux termes de l'article 10 du règlement (UE) n° 604/2013 : " Si le demandeur a, dans un Etat membre, un membre de sa famille dont la demande de protection internationale présentée dans cet Etat membre n'a pas encore fait l'objet d'une première décision sur le fond, cet Etat membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit ". L'article 2 du même règlement dispose que : " Aux fins du présent règlement, on entend par : (...) g) " membres de la famille ", dans la mesure où la famille existait déjà dans le pays d'origine, les membres suivants de la famille du demandeur présents sur le territoire des États membres : / - le conjoint du demandeur, ou son ou sa partenaire non marié(e) engagé(e) dans une relation stable, lorsque le droit ou la pratique de l'État membre concerné réserve aux couples non mariés un traitement comparable à celui réservé aux couples mariés, en vertu de sa législation relative aux ressortissants de pays tiers, / ". Aux termes de l'article 11 du même règlement : " Lorsque plusieurs membres d'une famille et/ou des frères ou soeurs mineurs non mariés introduisent une demande de protection internationale dans un même État membre simultanément, ou à des dates suffisamment rapprochées pour que les procédures de détermination de l'État membre responsable puissent être conduites conjointement, et que l'application des critères énoncés dans le présent règlement conduirait à les séparer, la détermination de l'État membre responsable se fonde sur les dispositions suivantes: a) est responsable de l'examen des demandes de protection internationale de l'ensemble des membres de la famille et/ou des frères et soeurs mineurs non mariés, l'État membre que les critères désignent comme responsable de la prise en charge du plus grand nombre d'entre eux; b) à défaut, est responsable l'État membre que les critères désignent comme responsable de l'examen de la demande du plus âgé d'entre eux. ".
3. Pour annuler l'arrêté du 20 juillet 2020 décidant le transfert de Mme A... aux autorités italiennes, le tribunal s'est fondé sur le motif tiré de ce que cette décision avait méconnu l'article 10 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'à la date de ladite décision, l'intéressée vivait sur le territoire français avec M. D... B..., ressortissant ivoirien, dont la demande d'asile avait été enregistrée en procédure normale en France et que le couple était parent d'un enfant né en France et de deux autres enfants nés en Côte d'ivoire, ce qui attestait de la stabilité de leur relation en France et de l'existence de cette relation dans leur pays d'origine.
4. D'une part, il ressort du dossier que la demande de protection internationale de
M. B... a fait l'objet d'une décision de rejet par l'office français de protection des réfugiés et des apatrides le 26 novembre 2018, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 27 aout 2019, par un agent de la préfecture et a été informée, ce même jour, des langues dans lesquelles elle pouvait être entendue lors de l'entretien personnel. L'entretien, réalisé en langue française que Mme A... a déclaré comprendre, a donc été mené par une personne qualifiée au sens de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et il ressort du résumé de cet entretien que l'intéressée, qui n'a fait état d'aucune difficulté dans la compréhension de la procédure mise en oeuvre à son encontre, a pu faire valoir à cette occasion toutes observations utiles. Par ailleurs, l'article 5 de ce règlement n'exige pas que le résumé de l'entretien individuel mentionne l'identité de l'agent qui l'a mené et ce résumé, qui, selon cet article 5, peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type, ne saurait être regardé comme une correspondance au sens de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, la circonstance que la qualification de l'agent ayant mené l'entretien n'apparaît pas sur le résumé de l'entretien individuel mené avec Mme A... est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie. Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne peut qu'être écarté.
11. En sixième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / (...) ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants ".
12. L'Italie est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés complétée par le protocole de New-York qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit donc être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de ces conventions internationales et à celles de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Si cette présomption peut être renversée et s'il y a des raisons sérieuses de croire qu'il existe des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et dans les conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant, Mme A... n'établit pas, en se bornant à faire état de considérations d'ordre général et d'articles de presse sur la situation politique en Italie, l'existence de telles défaillances dans cet Etat, qui constitueraient des motifs sérieux et avérés de croire que sa demande d'asile ne serait pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient Mme A..., les procédures de transfert n'étaient pas suspendues par les autorités italiennes à la date de l'arrêté en litige. Par suite, le préfet de police n'a pas méconnu les dispositions de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et du citoyen et n'a pas non plus commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de mettre en oeuvre au profit de l'intéressée la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013.
13. En septième et dernier lieu, Mme A... se prévaut de la présence de son époux et de la naissance de leur fille en France le 16 juin 2020. Toutefois, eu égard à la brève durée de son séjour en France et à la circonstance que les deux membres du couple sont en situation irrégulière, rien ne s'oppose à ce que la cellule familiale se reconstitue hors de France. Ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, l'arrêté en litige n'a pas porté atteinte au droit et au respect de la vie privée et familiale garantis par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
14. Il résulte de ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du
27 juillet 2020 et lui a enjoint de délivrer à Mme A... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de dix jours suivant la notification du jugement à intervenir et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, par suite, d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement attaqué et de rejeter les conclusions aux fins d'annulation, d'injonction et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 présentées par Mme A... devant le tribunal.
DECIDE :
Article 1er : Les articles 2 et 3 et 4 du jugement n° 2011442/8 du 12 août 2020 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : Les conclusions aux fins d'annulation, d'injonction et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 présentées par Mme A... devant le Tribunal administratif de Paris sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme E... A....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 20 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme C..., présidente,
- M. Magnard, premier conseiller,
- Mme F..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 février 2021.
Le rapporteur,
S. F...Le président,
I. C...
Le greffier,
I. BEDR
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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