Procédure devant la Cour :
I - Par une requête et un mémoire enregistrés les 12 juillet 2019 et 30 juillet 2020 sous le n °19PA02281, M. et Mme F... E..., représentés par Me B... D..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler l'article 2 du jugement du 15 mai 2019 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des impositions restant en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement est insuffisamment motivé dans la mesure où il ne précise pas en quoi le caractère facultatif de la donation permet la taxation entre les mains du donateur ;
- c'est à tort que l'administration a imposé, entre leurs mains, la plus-value réalisée à l'occasion de la cession des titres de la société Gras-Savoye dont, compte-tenu de la donation à terme facultative effectuée au profit de leurs enfants, et en vertu des dispositions des articles 894, 938 et 1185 du code civil, ils n'étaient plus propriétaires à la date de la vente ;
- la doctrine administrative référencée BOI-IR-BASE-10-10-10-40 permet de regarder ces fonds comme indisponibles ;
- la taxation d'une somme dont ils n'ont pas eu la disposition est contraire aux principes constitutionnels et notamment à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et à l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
- les avis d'imposition sont irréguliers, faute de comporter la signature d'un agent de la DGFIP, en application des articles L. 212-1 et suivants du Code des relations entre le public et l'administration.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 décembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme F... E... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 13 juillet 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au
31 juillet 2020.
II - Par un recours et un mémoire enregistrés les 12 août 2019 et 17 juillet 2020 sous le n° 19PA02686, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour d'annuler les articles 1er et 3 du jugement du Tribunal administratif de Paris, de décider que
M. et Mme F... E... seront rétablis au rôle de l'impôt sur le revenu et des contributions sociales au titre de l'année 2009, à raison de la majoration de 40 % dont la décharge a été prononcée en première instance, à titre subsidiaire, de substituer aux pénalités pour manquement délibéré de 40 % appliquées, la majoration de 10 % de l'article 1758 A du code général des impôts, et de réformer le jugement en ce que l'État n'est pas tenu au remboursement des frais irrépétibles.
Il soutient que
- le manquement délibéré est établi ;
- l'application de la majoration de 10 % de l'article 1758 A du code général des impôts ne prive le contribuable d'aucune garantie ;
- les dispositions de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales n'ont pas été méconnues ;
- la majoration de 10 % de l'article 1758 A du code général des impôts a été appliquée à d'autres rehaussements.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 février 2020, M. et Mme F... E..., représentés par Me D..., concluent au rejet du recours du ministre et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 13 juillet 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au
31 juillet 2020.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de Mme Jimenez, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant M. et Mme F... E....
Une note en délibéré, enregistrée le 25 novembre 2020, a été présentée pour
M. et Mme F... E....
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme F... E... ont procédé, par actes notariés du 7 décembre 2009, à la donation-partage à terme, au profit de leurs enfants, des actions qu'ils détenaient de la société Gras Savoye et Compagnie, pour partie en nue-propriété, avec des termes fixés au 7 décembre 2016, 7 décembre 2018 et 7 décembre 2020, et pour partie en pleine propriété, avec un terme fixé au 7 décembre 2024. Ils ont ensuite cédé ces actions à un fonds d'investissement le 17 décembre 2009. A l'issue d'un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle portant sur les revenus perçus au cours des années 2009 et 2010, l'administration fiscale a réintégré à la base d'imposition des requérants, au titre de l'année 2009, les plus-values de cession correspondant à la vente de ces titres. Par un jugement en date du 15 mai 2019, le Tribunal administratif de Paris a déchargé M. et Mme E... des majorations de 40 % auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2009 sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts et rejeté le surplus de leur demande. Par la présente requête, M. et Mme F... E... demandent l'annulation de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait intégralement droit à leur demande. Pour sa part, le ministre chargé de l'action et des comptes publics demande l'annulation dudit jugement en tant qu'il lui est défavorable. Ces deux requêtes étant dirigées contre le même jugement, il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Les premiers juges ont statué sur le moyen qui leur était soumis, tiré de ce que c'est à tort que l'administration a imposé la plus-value réalisée à l'occasion de la cession des titres de la société Gras-Savoye dont, compte-tenu de la donation à terme facultative effectuée au profit de leurs enfants, les requérants n'étaient plus propriétaires à la date de la vente. Ils ont notamment précisé que, compte tenu du caractère facultatif de la donation, qui permettait aux requérants de substituer à l'objet donné tout bien de même valeur avant l'échéance du terme dont elle était affectée, et de la conservation par les donateurs, dans cet intervalle, des prérogatives de propriétaire des titres incluant la faculté de les vendre, l'administration fiscale avait pu, à bon droit, estimer que les donateurs ne s'étaient pas dépouillés actuellement et irrévocablement des titres cédés à la date de leur vente et étaient demeurés, en application des termes de la donation-partage, propriétaires des titres objet de la donation jusqu'à cette date. Il suit de là que les requérants ne sauraient valablement soutenir que le jugement est insuffisamment motivé dans la mesure où il ne préciserait pas en quoi le caractère facultatif de la donation permet la taxation entre les mains des donateurs.
Sur les conclusions de M. et Mme E... :
3. Aux termes du 1. du I de l'article 150-0 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'année 2009 : " Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que des articles 150 UB et 150 UC, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement, par personne interposée ou par l'intermédiaire d'une fiducie, de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres mentionnés au 1° de l'article 118 et aux 6° et 7° de l'article 120, de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu lorsque le montant de ces cessions excède, par foyer fiscal, 25 000 pour l'imposition des revenus de l'année 2008 et 25 730 pour l'imposition des revenus de l'année 2009. Pour l'imposition des revenus des années ultérieures, ce seuil, arrondi à la dizaine d'euros la plus proche, est actualisé chaque année dans la même proportion que la limite supérieure de la première tranche du barème de l'impôt sur le revenu de l'année précédant celle de la cession et sur la base du seuil retenu au titre de cette année ".
4. Les requérants soutiennent qu'en application des dispositions combinées des articles 894, 938 et 1185 du code civil, ils se trouvaient immédiatement et irrévocablement dépouillés de la propriété des biens cédés à la date de la signature de l'acte de donation et qu'ils n'avaient pas la libre disposition des plus-values réalisées entre la signature de cet acte et l'arrivée du terme de la donation.
5. Il résulte toutefois des dispositions de l'article 1185 du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce, que l'existence d'un terme suspend l'exécution de l'engagement. En outre, la donation-partage du 7 décembre 2009 stipule que le transfert de propriété des actions Gras Savoye et Compagnie devait s'opérer à l'arrivée des termes, les 7 décembre 2016, 7 décembre 2018, 7 décembre 2020 et 7 décembre 2024, soit sur les biens objet de la cession, soit sur le produit de leur cession, soit enfin sur les biens acquis en remploi, que les donateurs conservaient un droit d'aliéner ces biens, que les donataires ne se trouvaient titulaires d'aucun droit réel avant l'arrivée des termes, et que les donateurs jouiraient jusqu'au terme de toutes les prérogatives du propriétaire ayant donné à terme, incluant la faculté de vendre les titres en cause. L'administration fiscale, quelles que soient les positions qu'elle a pu adopter à cet égard en matière de droits d'enregistrement, a ainsi pu, à bon droit, estimer que les donateurs, alors même que les produits tirés de la vente sont destinés à être réemployés, avaient, en application des termes de la donation-partage, la disposition de la plus-value en cause, même si sa valeur était à terme acquise aux donataires.
6. M. et Mme F... E... devant être regardés comme ayant eu la disposition de la plus-value litigieuse, le moyen tiré de ce que les principes constitutionnels et l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'opposent à la taxation de sommes dont le contribuable n'a pas la disposition ne peut en tout état de cause qu'être écarté.
7. Les passages cités de la doctrine administrative référencée BOI-IR-BASE-10-10-10-40 paragraphe 20 aux termes desquels : " Un revenu est disponible lorsque sa perception ne dépend que de la seule volonté du bénéficiaire " ne font pas de la loi fiscale une interprétation différente de ce qui précède. Il en est de même du paragraphe 140 qui se borne à donner des exemples dans lesquels " la présomption de disponibilité peut être détruite par la preuve contraire, qui peut résulter, soit d'une clause d'indisponibilité, soit du blocage d'un compte courant ". Ils ne sont par suite pas utilement invocables sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
8. Enfin, les vices affectant l'avis d'imposition sont sans influence tant sur la régularité de la procédure d'imposition que sur le bien-fondé de l'imposition. Le moyen tiré de ce que les avis d'imposition étaient irréguliers, faute de comporter la signature d'un agent de la DGFIP en application des articles L. 212-1 et suivants du Code des relations entre le public et l'administration, est par suite inopérant. Au surplus, un avis d'imposition est un simple document d'information et ne constitue pas une décision au sens de l'article L. 212-1 dudit code.
Sur les conclusions du ministre :
9. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré ".
10. Il résulte de l'instruction que dix jours avant la cession des titres en cause,
M. et Mme F... E..., qui étaient actionnaires historiques de la société Gras Savoye et Compagnie, ont procédé à des donations à terme dont l'intention était manifestement de dissimuler à l'administration leur qualité de propriétaire des titres. L'intention délibérée des intéressés d'éluder l'imposition afférente à la plus-value réalisée à l'occasion de la vente de ces titres doit par suite être regardée comme établie. C'est par suite à tort que les premiers juges ont prononcé la décharge de la pénalité pour manquement délibéré dont ont été assortis les rehaussements en litige au motif que ledit manquement n'était pas établi. Il y a lieu, par l'effet dévolutif, de statuer sur les autres moyens soulevés par les requérants à l'encontre de ces pénalités tant devant le tribunal administratif que devant la cour.
11. Aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable. / Les sanctions fiscales ne peuvent être prononcées avant l'expiration d'un délai de trente jours à compter de la notification du document par lequel l'administration a fait connaître au contribuable ou redevable concerné la sanction qu'elle se propose d'appliquer, les motifs de celle-ci et la possibilité dont dispose l'intéressé de présenter dans ce délai ses observations ". Aux termes de l'article L. 80 E du livre des procédures fiscales : " La décision d'appliquer les majorations et amendes prévues aux articles 1729, 1732 et 1735 ter du code général des impôts est prise par un agent de catégorie A détenant au moins un grade fixé par décret qui vise à cet effet le document comportant la motivation des pénalités ".
12. Il résulte de l'instruction que, dans la proposition de rectification du
27 décembre 2012, l'administration a fait connaître à M. et Mme F... E..., conformément aux dispositions des articles L. 80 D et L. 80 E du livre des procédures fiscales, les motifs de la sanction qu'elle se proposait d'appliquer et les a informés de la possibilité dont ils disposaient de présenter leurs observations dans un délai de trente jours. Elle a d'ailleurs accordé à
M. et Mme F... E... une prolongation dudit délai. Les pénalités litigieuses n'ont été mises en recouvrement qu'au cours de l'année 2015. Aucune disposition législative ou réglementaire ne faisait obligation à l'administration, avant de mettre en recouvrement ces pénalités, d'adresser au contribuable une nouvelle proposition de rectification à cet égard. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées ne peut qu'être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme F... E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté le surplus de leur demande. Le ministre de l'action et des comptes publics est en revanche fondé à demander que M. et Mme F... E... soient rétablis au rôle de l'impôt sur le revenu et des contributions sociales au titre de l'année 2009, à raison de la majoration de 40 % dont la décharge a été prononcée en première instance. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que les requérants demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Les articles 1er et 3 du jugement n°1709437/1-1 du 15 mai 2019 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : La majoration de 40 % à laquelle M. et Mme F... E... ont été assujettis au titre de l'année 2009 sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts et dont la décharge a été prononcée par les premiers juges est remise à leur charge.
Article 3 : Les conclusions de M. et Mme F... E... sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... F... E... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée à la direction nationale de vérification des situations fiscales.
Délibéré après l'audience du 18 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président,
- M. Soyez, président-assesseur,
- M. C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 décembre 2020.
Le rapporteur,
F. C...Le président,
I. BROTONS
Le greffier,
I. BEDR
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 1902281...