Procédure devant la Cour :
Par un recours et deux mémoires enregistrés les 22 janvier, 4 mai et 3 juin 2021, le ministre chargé des comptes publics demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement n° 1925931/2-1 du 30 décembre 2020 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de " réformer, dans cette mesure, ce jugement ".
Il soutient que :
- le champ d'application de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, qui subordonne l'octroi d'intérêts moratoires à un dégrèvement d'impôt, est plus restreint que celui de l'article L. 190 du même livre, qui est relatif à la définition du contentieux fiscal;
- le crédit impôt recherche ne constitue pas un élément de l'assiette imposable et s'avère dépourvu de tout lien avec le résultat de l'entreprise ou une charge fiscale préexistante ; la créance de crédit impôt recherche pour dépenses de recherche ne correspond ni à un solde d'impôt ni à un trop versé d'impôt ; le paiement d'une telle créance est justifié par la réalisation d'opérations de R et D et non par le versement d'un excédent d'impôt sur le bénéfice et constitue un simple moyen de paiement de l'aide publique sans annulation d'aucune imposition antérieure ; la restitution d'une créance de crédit d'impôt recherche ne constitue pas un dégrèvement stricto sensu ; la réclamation de la société en date du 12 septembre 2018 ne tendait pas à la réparation d'une erreur dans l'assiette ou le calcul de l'impôt ; la demande de restitution présentée par cette société ne relève pas du champ d'application de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;
- s'agissant des moyens invoqués devant les premiers juges et dont la Cour sera saisie par l'effet dévolutif, il s'en remet aux écritures de première instance et ajoute que la Sas Highfi ne peut tout à la fois renoncer au versement d'une partie du montant du crédit d'impôt déclaré et solliciter l'octroi d'intérêt moratoires au titre de cette somme qui ne lui a pas été restituée ; à supposer que les versements effectués par l'administration relèvent du champ d'application de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, leur base de calcul ne saurait excéder l'étendue de la demande de la Sas Highfi ;
- le paiement de la somme dont la restitution était demandée a eu lieu quelques jours après le dépôt d'une déclaration rectificative et a été prononcé d'office.
Par trois mémoires en défense enregistrés les 23 avril, 10 et 31 mai 2021, la Sas Highfi, représentée par Me Christel Legout et Me Sarah Dardour-Attali conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens invoqués par la Sas Highfi ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 21 mai 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 7 juin 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts ;
- le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bonneau-Mathelot,
- et les conclusions de Mme Jimenez, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La Sas Highfi, qui exerce une activité d'ingénierie et de conseil en finance de marché, a déclaré une créance de crédit d'impôt recherche (CIR) de 621 271 euros au titre de l'année 2011 qui, a été imputée, pour partie, sur l'impôt sur les sociétés dû au titre de cet exercice, et remboursée pour le surplus. A l'issue de la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet, l'administration a, par une proposition de rectifications du 3 juillet 2015, remis en cause l'intégralité de la créance et procédé à son recouvrement, pour un montant total de 703 279 euros, en droits et pénalités, par un avis de mise en recouvrement du 16 novembre 2015. A la suite de la réclamation préalable que la Sas Highfi a déposée le 12 septembre 2018, l'administration fiscale a, par une décision du 29 mai 2019, fait droit à sa demande de remboursement de la créance de CIR à concurrence de la somme de 558 436 euros, qui lui a été versée le 27 juin 2019, puis, par une seconde décision du 18 juillet 2019, procédé à un dégrèvement complémentaire à concurrence de la somme de 76 018 euros, correspondant aux intérêts de retard, qui lui a été versée le 6 août 2019. Par une demande du 8 août 2019, implicitement rejetée, la société Highfi a sollicité le paiement des intérêts moratoires prévus à l'article L. 208 du livre des procédures fiscales sur la somme de 634 454 euros. Par un jugement n° 1925931/2-1 du 30 décembre 2020, dont le ministre chargé des comptes publics relève appel, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à la Sas Highfi la somme de 84 757,02 euros au titre de son CIR 2011 ainsi que le versement des intérêts moratoires y afférents à compter du 27 juin 2019 et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts : " Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel (...) peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. (...) ". Aux termes de l'article 220 B du même code : " Le crédit d'impôt pour dépenses de recherche défini à l'article 244 quater B est imputé sur l'impôt sur les sociétés dû par l'entreprise dans les conditions prévues à l'article 199 ter B ". Aux termes du I de l'article 199 ter B de ce code : " Le crédit d'impôt (...) défini à l'article 244 quater B est imputé sur l'impôt sur le revenu dû par le contribuable au titre de l'année au cours de laquelle les dépenses de recherche prises en compte pour le calcul du crédit d'impôt ont été exposées. L'excédent de crédit d'impôt constitue au profit de l'entreprise une créance sur l'Etat d'égal montant. Cette créance est utilisée pour le paiement de l'impôt sur le revenu dû au titre des trois années suivant celle au titre de laquelle elle est constatée puis, s'il y a lieu, la fraction non utilisée est remboursée à l'expiration de cette période. / (...) ".
3. D'une part, aux termes de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales : " Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire. / (...) ". Aux termes de l'article R. 198-10 du livre des procédures fiscales : " La direction générale des finances publiques ou la direction générale des douanes et droits indirects, selon le cas, statue sur les réclamations dans le délai de six mois suivant la date de leur présentation. / (...) ". Aux termes de l'article R. 199-1 du même code : " L'action doit être introduite devant le tribunal compétent dans le délai de deux mois à partir du jour de la réception de l'avis par lequel l'administration notifie au contribuable la décision prise sur la réclamation, que cette notification soit faite avant ou après l'expiration du délai de six mois prévue à l'article R. 198-10. / Toutefois, le contribuable qui n'a pas reçu de décision de l'administration dans le délai de six mois mentionné au premier alinéa peut saisir le tribunal dès l'expiration de ce délai. / (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales : " Quand l'Etat est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts. / (...) ".
5. La demande de remboursement d'une créance de crédit d'impôt recherche présentée sur le fondement des dispositions précitées de l'article 199 ter B du code général des impôts constitue une réclamation au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales. Un remboursement accordé par l'administration à la suite de l'admission d'une telle réclamation, qui tend à obtenir le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou règlementaire, n'ouvre pas droit au versement par l'Etat au contribuable d'intérêts moratoires. En revanche, un remboursement de créance de crédit d'impôt recherche qui intervient postérieurement au rejet, explicite ou né du silence gardé par l'administration au-delà du délai de six mois prévu à l'article R. 198-10 du livre des procédures fiscales, de la demande formée à cette fin a le caractère d'un dégrèvement contentieux de même nature que celui prononcé par un tribunal au sens des dispositions précitées de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, et ouvre en conséquence droit au versement d'intérêts moratoires à compter de la date de la demande de remboursement.
6. Il résulte de l'instruction que, par une proposition de rectifications du 3 juillet 2015, l'administration fiscale a remis en cause la créance de CIR déclarée au titre de l'année 2011 par la Sas Highfi. Le 12 septembre 2018, cette société a présenté une réclamation contentieuse qui portait sur le remboursement de sa créance pour un montant, en principal, de 558 436 euros, ainsi que nécessairement, contrairement à ce que soutient le ministre, sur les intérêts de retard y afférents dont le montant s'élevait à la somme de 76 018 euros. A la suite de cette réclamation contentieuse, l'administration fiscale a, par deux décisions des 29 mai et 18 juillet 2019, fait droit à la demande de remboursement de la créance de CIR 2011 de la Sas Highfi à concurrence des sommes de
558 436 euros, en principal, et 76 018 euros, au titre des intérêts de retard, lesdites sommes lui ayant été respectivement remboursées les 27 juin et 6 août 2019. Ces deux remboursements, qui sont intervenus au-delà du délai de six mois prévu à l'article R. 198-10 du livre des procédures fiscales, lequel courait à compter de la réclamation présentée par la Sas Higfhi, présentent ainsi, contrairement à ce que soutient le ministre, le caractère d'un dégrèvement contentieux au sens des dispositions de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales et ouvrent droit, en conséquence, au versement d'intérêts moratoires dans les conditions fixées par ce même article.
7. En second lieu, aux termes de l'article 1254 du code civil : " Le débiteur d'une dette qui porte intérêt ou produit des arrérages ne peut point, sans le consentement du créancier, imputer le paiement qu'il fait sur le capital par préférence aux arrérages ou intérêts : le paiement fait sur le capital et intérêts, mais qui n'est point intégral, s'impute d'abord sur les intérêts ".
8. Il est constant que, si le CIR déclaré au titre de 2011 par la Sas Highfi s'élevait à la somme de 621 171 euros, elle n'a sollicité le remboursement de sa créance qu'à hauteur des droits en principal de 558 436 euros et des intérêts de retard y afférents de 76 018 euros. L'administration n'ayant pas demandé à la Sas Highfi son consentement pour imputer ses paiements sur le principal de sa dette, le paiement des sommes qui lui ont été versées les 27 juin et 6 août 2019 s'est imputé, contrairement à ce que soutient le ministre, sur les intérêts moratoires dus à la date de chacun de ces versements. Ainsi que l'a relevé le tribunal, à la date du 6 août 2019, soit du dernier versement, l'Etat conservait à l'égard de la Sas Highfi une dette qui produisait des intérêts de retard courant jusqu'au règlement définitif de cette créance.
9. Il résulte de tout ce qui précède le ministre chargé des comptes publics n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a fait droit à la demande de la société Highfi et a mis à la charge de l'Etat une somme de
1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter le recours du ministre. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, qui a la qualité de partie perdante dans la présente instance, la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le recours du ministre chargé des comptes publics est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à la Sas Highfi la somme de 1 500 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la Sas Highfi.
Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris.
Délibéré après l'audience du 30 juin 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- M. Magnard, premier conseiller,
- Mme Bonneau-Mathelot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juillet 2021.
Le rapporteur,
S. BONNEAU-MATHELOTLe président,
I. BROTONS
Le greffier,
S. DALL'AVA
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA00383