Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Larsonnier,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., alors âgé de 52 ans, a été adressé par son médecin traitant le 22 mars 2014 au service des urgences du centre hospitalier de Marne-la-Vallée pour un méléna évoluant depuis trois jours. Lors de son admission, le diagnostic d'hémorragie digestive à type de méléna avec déglobulisation a été confirmé. M. A... a subi, les 22 et 25 mars 2014, une fibroscopie gastroduodénale et une iléo-coloscopie en urgence dont les résultats sont revenus normaux. Le patient a ainsi été autorisé à regagner son domicile le 26 mars 2014 avec prescription d'un examen complémentaire à faire réaliser au centre hospitalier de Meaux consistant en une exploration de l'intestin grêle par vidéocapsule. Les résultats de cette exploration ont permis de mettre en évidence une suspicion de polype. M. A... a ensuite subi des investigations complémentaires qui n'ont pas permis de confirmer la présence de ce polype. Devant la persistance des symptômes, l'intéressé a de nouveau été hospitalisé le 28 mai 2014 au centre hospitalier de Marne-la-Vallée où il a été décidé de pratiquer une laparotomie qui n'a rien révélé. Le 14 novembre 2014, M. A... a subi à l'hôpital Cochin une nouvelle endoscopie par vidéocapsule qui n'a pas permis de retrouver le polype, mais a mis en évidence un saignement actif peu abondant au niveau de l'intestin grêle, susceptible d'être en rapport avec une angiodysplasie. Estimant que l'intervention chirurgicale consistant en une laparotomie exploratrice n'était pas justifiée au regard de son état de santé, M. A... a présenté une demande indemnitaire préalable au centre hospitalier de Marne-la-Vallée qui a été rejetée par une décision du 15 octobre 2015. Par un jugement du 23 mars 2018, le Tribunal administratif de Melun a rejeté la demande de M. A... tendant à la condamnation du centre hospitalier de Marne-la-Vallée à lui verser la somme totale de 15 000 euros en réparation des préjudices subis lors de sa prise en charge au sein de cet établissement. M. A... relève appel de ce jugement.
2. Par un arrêt du 22 mai 2020, la Cour a annulé pour irrégularité le jugement n° 1605428 du 23 mars 2018 du Tribunal administratif de Melun et a, avant dire droit sur les conclusions de M. A..., jugé qu'il convenait de procéder à une expertise aux fins pour l'expert de donner toute précision à la Cour, d'une part, sur l'indication et la réalisation de la laparotomie exploratrice que M. A... a subie le 28 mai 2014 au centre hospitalier de Marne-la-Vallée et si une entéroscopie " double ballon " aurait dû être privilégiée à cette intervention chirurgicale dans les circonstances de l'espèce et, d'autre part, sur l'information délivrée par le centre hospitalier de Marne-la-Vallée à M. A... quant à l'utilité, à l'urgence éventuelle et aux conséquences de la laparotomie exploratrice ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus, enfin, sur les différents préjudices qui ont résulté de la laparotomie exploratrice subie par M. A.... Le docteur B..., désigné en qualité d'expert par le président de la Cour, a déposé son rapport le 17 novembre 2021.
Sur la responsabilité du centre hospitalier de Marne-la-Vallée :
En ce qui concerne l'indication de la laparotomie :
3. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que M. A... a présenté une hémorragie digestive à type de méléna avec déglobulisation et a été pris en charge par le centre hospitalier de Marne-la-Vallée le 22 mars 2014. Si les résultats de la fibroscopie gastroduodénale et de l'iléo-coloscopie réalisées en urgence les 22 et 25 mars 2014 ont été normaux, l'exploration de l'intestin grêle par vidéocapsule le 11 avril 2014 au centre hospitalier de Meaux a conclu à une suspicion de lésion polypoïde de l'iléon. Du 12 au 16 avril 2014, M. A... a de nouveau été hospitalisé au centre hospitalier de Marne-la-Vallée pour une récidive du méléna associé à une déglobulisation aiguë nécessitant la transfusion de deux culots globulaires. Les résultats de la fibroscopie et de l'iléo-coloscopie réalisées le 17 avril 2014 ont été normaux ainsi que ceux de la scintigraphie effectuée le 22 avril 2014 à la clinique La Francilienne de Pontault-Combault. Devant la persistance des symptômes, cinq autres culots globulaires au total ont été administrés à M. A... les 17 et 28 avril 2014 et une troisième fibroscopie a été réalisée dont les résultats ont été normaux. Le 29 avril 2014, un entéro-scanner a échoué à visualiser le pylore et n'a pas détecté de polype. Le 28 mai 2014, à la suite d'une entéroscopie peropératoire qui n'a rien révélé, M. A... a subi une laparotomie exploratrice. Il ressort du rapport d'expertise que devant la persistance du méléna associé à une déglobulisation aiguë et alors que les résultats des multiples explorations précédentes s'étaient révélés contradictoires, l'indication de l'exploration chirurgicale par laparotomie, qui permet au chirurgien de dérouler et de palper directement la totalité de l'intestin grêle et qui a l'avantage de pouvoir mettre en évidence les petites lésions, était justifiée. En effet, si l'entéroscopie " double ballon " est moins invasive que la laparotomie, cette intervention, selon l'expert, ne permet d'explorer la totalité de l'intestin grêle que " dans 40 à 86 % des cas " et elle est moins précise pour déceler les petites lésions, la palpation de l'intestin étant réalisée par des pinces atraumatiques. Par ailleurs, l'expert a relevé que la laparotomie a été techniquement réalisée en tout point conformément aux règles de l'art. Par suite, en réalisant une laparotomie le 28 mai 2014, les praticiens du centre hospitalier de Marne-la-Vallée n'ont commis aucune faute de nature à engager la responsabilité de l'hôpital à l'égard de M. A....
En ce qui concerne le défaut d'information :
4. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (... ). Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) ".
5. Il ressort des déclarations de M. A... devant l'expert qu'il a été informé par les praticiens hospitaliers du centre hospitalier de Marne-la-Vallée que la laparotomie aurait pour conséquence une cicatrice en travers de l'abdomen. En revanche, il ne résulte pas de l'instruction que les praticiens hospitaliers, qui ne se trouvaient ni dans l'urgence ni dans l'impossibilité d'informer M. A..., l'aient préalablement informé du risque de douleurs cicatricielles que comportait la laparotomie et de ce que les investigations nécessaires à son état de santé pouvaient être réalisées par une entéroscopie " double ballon ", qui est un procédé moins invasif que la laparotomie. La circonstance que M. A... ait donné son consentement à la laparotomie exploratrice n'exonère pas le centre hospitalier de Marne-la-Vallée de son obligation d'information. Ce défaut d'information est constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Marne-la-Vallée.
6. Eu égard à l'état de santé de M. A..., notamment à la persistance de la déglobulisation aiguë qui a nécessité l'administration de sept culots globulaires, aux résultats contradictoires des multiples examens effectués entre le 22 mars et le 29 avril 2014 ainsi qu'aux avantages et inconvénients respectifs de la laparotomie et de l'entéroscopie " double ballon " en termes d'investigation, énoncés au point 3, de leurs éventuelles conséquences et de leurs risques, il y a lieu de fixer à 20 % la perte de chance de M. A... de refuser la laparotomie.
Sur les préjudices de M. A... :
En ce qui concerne le déficit fonctionnel temporaire :
7. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que si M. A... avait subi une entéroscopie " double ballon ", il aurait été hospitalisé pendant trois jours. Ces trois jours doivent ainsi être déduits de la période pendant laquelle l'intéressé a présenté un déficit fonctionnel temporaire total. Par suite, la période ouvrant droit à indemnité s'étend du
31 mai 2014 au 30 juin 2014. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi à ce titre en l'évaluant à la somme de 400 euros. En outre, M. A... a subi du fait des douleurs résultant de la laparotomie un déficit fonctionnel temporaire évalué par l'expert à 10 % pour la période comprise entre le 1er juillet et le 10 novembre 2014 et à 5 % pour la période comprise entre le 11 novembre 2014 et le 10 décembre 2015. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel en l'évaluant à la somme de 441 euros.
S'agissant des souffrances endurées :
8. Il résulte de l'instruction, comme il a été dit au point 7, qu'à la suite de la laparotomie, M. A... a ressenti des douleurs cicatricielles résiduelles pendant plusieurs mois. Les souffrances supportées par M. A... du fait de ces douleurs ainsi que celles dues à l'intervention chirurgicale elle-même ont été évaluées par l'expert à 2 sur une échelle de 7. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi à ce titre par le requérant ainsi que de son préjudice moral en le fixant à 2 000 euros.
S'agissant du préjudice esthétique :
9. Il résulte du rapport d'expertise que M. A... présente du fait de la laparotomie une cicatrice sus et sous-ombilicale dont la longueur totale est de 16 cm, qui est qualifiée par l'expert de " cicatrice esthétiquement de bonne qualité et peu visible " et normalement pigmentée. L'expert a évalué le préjudice esthétique de M. A... à 1 sur une échelle de 7. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par le requérant en le fixant à 1 000 euros.
S'agissant du préjudice d'agrément :
10. Si M. A... se prévaut d'une gêne à la baignade en piscine ou à la plage générée par la présence de la cicatrice médiane, ce préjudice relève du préjudice esthétique qui a été indemnisé au point 9. En outre, M. A... qui ne produit aucun justificatif, n'établit pas avoir pratiqué régulièrement la natation avant la laparotomie. Dans ces conditions, son préjudice d'agrément n'étant pas établi, M. A... n'est pas fondé à demander la condamnation du centre hospitalier de Marne-la-Vallée à lui verser la somme demandée à ce titre.
11. Le montant des préjudices subis par M. A... en raison du défaut d'information préalable à la laparatomie du 28 mai 2014 s'élève ainsi à la somme de 3 841 euros.
12. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu, compte tenu du taux de perte de chance retenu au point 6, de condamner le centre hospitalier de Marne-la-Vallée à verser à M. A... une indemnité de 768,20 euros.
Sur les frais d'expertise :
13. Il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Marne-la-Vallée les frais de l'expertise, taxés et liquidés par une ordonnance de la présidente de la Cour du
16 décembre 2021 à la somme de 2 652 euros.
Sur les frais liés à l'instance :
14. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Marne-la-Vallée le versement à Me Pire de la somme de 2 000 euros sous réserve que Me Pire, avocat de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
DÉCIDE :
Article 1er : Le centre hospitalier de Marne-la-Vallée est condamné à verser à M. A... la somme de 768,20 euros en réparation de ses préjudices.
Article 2 : Les frais taxés et liquidés à la somme de 2 652 euros sont mis à la charge du centre hospitalier de Marne-la-Vallée.
Article 3 : L'Etat versera à Me Pire, avocat de M. A..., la somme de 2 000 euros en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Pire renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., au centre hospitalier de
Marne-la-Vallée et à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne.
Délibéré après l'audience du 17 février 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Le Goff, président,
- M. Ho Si Fat, président assesseur,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2022.
La rapporteure,
V. LARSONNIER Le président,
R. LE GOFF
La greffière,
E. VERGNOLLa République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA03371