Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 3 octobre 2017, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 1712914/8 du 14 août 2017 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D...devant ce tribunal.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a estimé qu'il n'avait pas respecté les dispositions de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en l'absence de mention du nom et des coordonnées de l'interprète et que M. D... avait, en conséquence, été privé d'une garantie dont il était en droit de bénéficier ;
- les autres moyens invoqués par M. D...à l'encontre des arrêtés pris à son encontre ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à M. D...qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Une mise en demeure a été adressée le 29 novembre 2017 à M.D....
Par une ordonnance du 7 février 2018, la clôture d'instruction a été fixée au
21 février 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Jimenez a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que M. D..., ressortissant afghan né le 10 février 1998 a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile ; que, par arrêté du 10 août 2017, le préfet de police a décidé son transfert aux autorités bulgares après avoir relevé que l'examen de sa demande relevait de ces autorités et que celles-ci avaient accepté de le reprendre en charge ; que par un second arrêté du même jour, le préfet de police a prononcé l'assignation à résidence de l'intéressé ; que par jugement n° 1712914/8 du 14 août 2017, le Tribunal administratif de Paris a annulé les arrêtés du 10 août 2017, enjoint au préfet de police de réexaminer la situation de
M. D...dans un délai de trois mois suivant la notification du jugement, mis à la charge de l'Etat le versement à Me A...de la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et rejeté le surplus des conclusions de la requête ; que le préfet de police relève appel de ce jugement ;
Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Paris :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n°604/2013 du
26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. L'entretien individuel peut ne pas avoir lieu lorsque: (...) b) après avoir reçu les informations visées à l'article 4, le demandeur a déjà fourni par d'autres moyens les informations pertinentes pour déterminer l'État membre responsable. L'État membre qui se dispense de mener cet entretien donne au demandeur la possibilité de fournir toutes les autres informations pertinentes pour déterminer correctement l'État membre responsable avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1.(...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. " ; qu'aux termes de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger. " ;
3. Considérant que le magistrat désigné du Tribunal administratif a relevé que M. D...soutenait que l'entretien individuel du 3 mai 2017 s'était tenu en langue pachtou et non en langue dari et que l'absence de mention du nom et des coordonnées de l'interprète ne permettait pas de vérifier la langue utilisée durant cet entretien, de sorte que l'intéressé avait été privé d'une garantie ; qu'il ressort toutefois des mentions figurant sur le compte rendu d'entretien que M. D...a bénéficié le 3 mai 2017, lors de son entretien individuel, ainsi que le permettent les dispositions précitées, des services téléphoniques d'un interprète en langue dari de l'organisme d'interprétariat ISM, agréé par l'administration ; que si le nom et les coordonnées de l'interprète n'ont pas été indiquées par écrit au requérant, l'omission de telles indications ne saurait être regardée comme ayant privé M. D...d'une garantie et n'a pas été de nature à exercer une influence sur le sens de la décision de transfert prise ; que le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris ne pouvait, dès lors, se fonder sur la violation des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour annuler la décision de transfert de M. D... aux autorités bulgares ;
4. Considérant toutefois qu'il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D...devant le Tribunal administratif de Paris ;
Sur les autres moyens :
5. Considérant, en premier lieu, que par un arrêté n° 2017-00296 du 21 avril 2017, régulièrement publié au bulletin municipal officiel de la ville de Paris du 28 avril 2017, le préfet de police a donné à M. B...C..., adjoint au chef du 10ème bureau à la sous-direction de l'administration des étrangers de la direction de la police générale de la préfecture de police, signataire des décisions attaquées, délégation à l'effet de signer de telles décisions en cas d'absence ou d'empêchement d'autorités dont il n'est pas établi qu'elles n'étaient pas absentes ou empêchées lors de la signature de l'acte attaqué ; qu'il suit de là que le moyen tiré de ce que les arrêtés attaqués seraient entachés d'incompétence doit être écarté comme manquant en fait ;
6. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. " ;
7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. D... s'est vu délivrer, le 3 mai 2017, deux brochures d'informations, dites " A " (J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - Quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande d'asile ') et " B " (Je suis sous procédure Dublin - Qu'est-ce que cela signifie ') dont la page de garde, rédigée en langue farsi, comportent la signature de l'intéressé ; que ces documents constituent la brochure commune visée au paragraphe 3 de l'article 4 du règlement précité et contiennent l'intégralité des informations prévues au paragraphe 1 de cet article ; que ces brochures ont été remises à l'intéressé dans leur traduction en langue farsi, langue très proche de la langue dari, qui use du même alphabet, et peut être lue par les locuteurs des deux langues ; que, dans ces conditions, M. D... n'est pas fondé à soutenir que les dispositions de l'article 4 du règlement précité auraient été méconnues ;
8. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. " ;
9. Considérant que le système européen commun d'asile a été conçu de telle sorte qu'il est permis de supposer que l'ensemble des Etats y participant respectent les droits
fondamentaux ; qu'ainsi, il est présumé que la Bulgarie, Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, assure un traitement des demandeurs d'asile respectueux de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; que, cependant, cette présomption peut être renversée s'il y a des raisons sérieuses de croire qu'il existe des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte ;
10. Considérant que si le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a demandé, en janvier 2014, la suspension temporaire des réadmissions vers la Bulgarie, le préfet de police fait valoir, sans être contesté, que le HCR ne recommande plus, depuis le mois d'avril 2014, cette suspension, mais seulement que les Etats s'assurent que la remise de l'étranger aux autorités bulgares s'avère compatible avec la protection des droits fondamentaux ; que l'article du 28 janvier 2016 émanant de " The UN refugee Agency " invoqué par le requérant, au demeurant non produit, ne permet pas de tenir pour établis les risques allégués de traitements inhumains et dégradants en Bulgarie à l'endroit des demandeurs d'asile à la date de la décision contestée, ni l'atteinte qui serait portée au droit d'asile et l'absence d'examen des demandes d'asile dans le respect des garanties exigées par les conventions internationales ; que si M. D... affirme avoir été maltraité en Bulgarie où il aurait été mordu par un chien, le certificat médical du 11 août 2017 qu'il produit ne suffit pas à corroborer ses dires ; qu'ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées au paragraphe précédent et de celui de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés ;
11. Considérant, en dernier lieu, qu'il résulte de ce qui précède que l'exception d'illégalité de la décision de transfert, soulevée à l'encontre de la décision d'assignation à résidence, doit être écartée ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 14 août 2017, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé ses arrêtés du 10 août 2017 par lesquels le il a ordonné le transfert de M. D... aux autorités bulgares en vue de l'examen de sa demande d'asile et l'a assigné à résidence ; qu'il suit de là que la demande présentée par M. D... devant le Tribunal administratif de Paris doit être rejetée ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1712914/8 du 14 août 2017 du magistrat désigné du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le Tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à M. E....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 11 avril 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- Mme Appèche, président assesseur,
- Mme Jimenez, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 mai 2018.
Le rapporteur,
J. JIMENEZLe président,
I. BROTONS
Le greffier,
P. LIMMOIS
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA03174