Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 16 février et 28 juin 2018, M.E..., représenté par MeB..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 21 décembre 2017 ;
2°) de prononcer la décharge de l'obligation de payer les intérêts de retard en cause ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat, outre les entiers dépens, la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa demande est recevable ;
- la doctrine administrative BOI-CTX-PREA-10-10-20120912 est à cet égard opposable à l'administration sur le fondement des articles L. 80 A et L. 80 B du Livre des procédures fiscales ;
- les avis de mise en recouvrement émis en 2015 sont hors délai car émis au-delà du délai de reprise fixé à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales ;
- il n'est pas débiteur des intérêts de retard dans leur intégralité mais seulement à proportion de sa part dans le capital de la société à la date de l'exigibilité de l'impôt, soit à concurrence de 50 % ;
- l'administration était en conséquence tenue de poursuivre MadameA..., en sa qualité d'associée de la SCI Kléber, mais faute d'avoir exercé la moindre poursuite dans les délais, elle a laissé prescrire sa créance à son égard ;
- l'administration ne peut se prévaloir du protocole d'accord transactionnel conclu entre son ex-épouse et lui-même le 11 juillet 2014 pour l'obliger au paiement des intérêts de retard dont le règlement incombe à cette dernière ;
- l'article 1727 du code général des impôts rend les intérêts de retard exigibles à compter de 2008, année au cours de laquelle l'imposition a été mise en recouvrement ;
- le fait générateur des intérêts de retard opposable aux associés est intervenu en 2008 et ne saurait être repoussé par l'émission d'avis de mise en recouvrement en 2015, ainsi que le prévoit la doctrine administrative BOI-REC-SOLID-20-10-10-20120912 n°180.
Par un mémoire en défense enregistré le 18 mai 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les conclusions tendant à la décharge des intérêts sont irrecevables ;
- les moyens soulevés par M. E...ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 11 juin 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au
28 juin 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Magnard,
- les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., représentant M.E....
1. Considérant qu'à la suite d'un rehaussement d'impôt sur les sociétés dont a fait l'objet la société civile immobilière (SCI) Immobilière Kléber dont M. E...est associé, celui-ci s'est vu réclamer le paiement de l'intégralité des intérêts de retard dus par ladite société, les droits et pénalités ayant été réglés dans leur totalité ; que par la présente requête, M. E...relève appel du jugement en date du 21 décembre 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge de cette obligation de payer ;
Sur les conclusions tendant à la décharge des intérêts de retard :
2. Considérant que par le jugement attaqué, dont la régularité n'est pas contestée par M. E..., le tribunal a statué sur sa demande analysée comme tendant à la décharge de l'obligation de payer les intérêts litigieux et ressortissant au contentieux du recouvrement ; que par suite, M. C...n'est pas recevable à présenter en appel les conclusions susmentionnées tendant à la décharge desdits intérêts et ressortissant au contentieux de l'assiette ; que la doctrine administrative BOI-CTX-PREA-10-10-20120912 relative à la recevabilité des réclamations contentieuses fiscales n'est pas de nature à faire obstacle à cette irrecevabilité ;
Sur les conclusions tendant à la décharge de l'obligation de payer :
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 256 du livre des procédures fiscales : " Un avis de mise en recouvrement est adressé par le comptable public compétent à tout redevable des sommes, droits, taxes et redevances de toute nature dont le recouvrement lui incombe lorsque le paiement n'a pas été effectué à la date d'exigibilité. " ; qu'aux termes de l'article 1857 du code civil : " A l'égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements. " ; qu'aux termes de l'article 1727 du code général des impôts : " I. - Toute créance de nature fiscale, dont l'établissement ou le recouvrement incombe aux administrations fiscales, qui n'a pas été acquittée dans le délai légal donne lieu au versement d'un intérêt de retard. A cet intérêt s'ajoutent, le cas échéant, les sanctions prévues au présent code. (...) IV. 1 - L'intérêt de retard est calculé à compter du premier jour du mois suivant celui au cours duquel l'impôt devait être acquitté jusqu'au dernier jour du mois du paiement. (...) " ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'après paiement de la dette en droits et pénalités due par la SCI Kléber, le paiement des intérêts de retard litigieux a été recherché par le comptable public en application de l'article 1727 du code général des impôts précité auprès de la société redevable par deux avis de mise en recouvrement en date des 13 août et 23 septembre 2015 suivis de deux mises en demeure de payer en date des 10 septembre et 7 octobre 2015 ; que le comptable public a par la suite adressé à M. E...un avis de mise en recouvrement du
22 décembre 2015 puis deux mises en demeure de payer datées du 24 décembre 2015 ;
5. Considérant, en premier lieu, qu'il n'est pas soutenu que les intérêts de retard mis en recouvrement le 30 septembre 2008, qui n'avaient d'ailleurs pas besoin de faire l'objet d'une interruption spécifique de prescription distincte de celle qui est faite pour les droits en principal, ne l'auraient pas été dans le délai de reprise prévu à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales ; que les intérêts correspondant à la période postérieure à l'avis de mise en recouvrement en date du 30 septembre 2008 ont pour objet de réparer les préjudices de toute nature subis par l'Etat à raison du non respect par la société redevable de l'obligation de payer l'impôt mis à sa charge par ledit avis ; qu'ils ne relèvent pas des règles relatives à l'assiette de l'impôt limitant le droit de reprise de l'administration fiscale ; que par suite, le moyen tiré de ce que les avis de mise en recouvrement émis en 2015 sont hors délai car émis au-delà du délai de reprise fixé à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales ne peut qu'être écarté ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que l'exigibilité des intérêts en cause est intervenue à l'occasion de la notification de l'avis de mise en recouvrement du 30 septembre 2008, s'agissant des intérêts figurant dans cet avis ; que, pour leur part, les intérêts nés du retard de paiement au cours de la période postérieure à cette mise en recouvrement sont devenus exigibles au fur et à mesure de l'écoulement du temps, à compter de la date de mise en recouvrement des droits et pénalités jusqu'à l'achèvement du paiement des sommes en cause ; que si, en vertu de l'article 262 du code civil, aux termes duquel, dans sa rédaction applicable, " Le jugement de divorce est opposable aux tiers, en ce qui concerne les biens des époux, à partir du jour où les formalités de mention en marge prescrites par les règles de l'état civil ont été accomplies. ", M. E...doit être regardé, à compter du 3 octobre 2014, date d'enregistrement de la convention du 11 juillet 2014 par laquelle, dans le cadre de la liquidation de leur régime matrimonial, son ex-épouse lui a cédé ses parts, comme intégralement solidaire des dettes de la société, une telle cession est sans influence sur le régime de solidarité des dettes devenues exigibles antérieurement ; que les intérêts courus au 3 octobre 2014 ne peuvent par suite être recouvrés à l'égard de M. E...pour une proportion supérieure à ses parts dans la société jusqu'à cette date, soit 50 % ; que le protocole d'accord transactionnel conclu entre M. E...et son ex-épouse le 11 juillet 2014, par lequel il s'obligeait au paiement des dettes passées et futures de la SCI Kleber, et qui n'est pas opposable aux tiers pour la période antérieure à son enregistrement, ne saurait faire obstacle aux dispositions de l'article 1857, alinéa 1er, du Code civil qui prévoient que la contribution au paiement des associés se fait "à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité", et ne peut par suite être invoqué par le service pour justifier la mise à la charge de M. E...d'une obligation de payer qui excèderait, pour ladite période, celle résultant de ce qu'il ne possédait que la moitié des parts de ladite SCI ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il convient d'accorder à M. E...la décharge de l'obligation de payer la moitié des intérêts mis à sa charge courus au 3 octobre 2014 ; que, pour le surplus, M. E...étant, en conséquence de son obligation de solidarité, intégralement solidaire du paiement des intérêts courus après cette date et ne pouvant en conséquence pas se prévaloir à cet égard de l'absence de poursuite à l'égard de son ex-épouse, et la doctrine administrative référencée BOI-REC-SOLID-20-10-10-20120912 n°180 ne faisant pas de la loi fiscale une interprétation différente de ce qui précède, l'intéressé n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DECIDE :
Article 1er : M. E...est déchargé de l'obligation de payer les sommes qui lui sont réclamées au titre des intérêts de retard dus par la société civile immobilière Kléber, dans la limite de la moitié des intérêts courus au 3 octobre 2014.
Article 2 : Le jugement n°s 1605704/2-2, 1702158/2-2 du 21 décembre 2017 du Tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. E...la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. E...est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...E...et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris.
Délibéré après l'audience du 26 septembre 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Appèche, président,
- M. Magnard, premier conseiller,
- Mme Jimenez, premier conseiller.
Lu en audience publique le 10 octobre 2018.
Le rapporteur,
F. MAGNARDLe président assesseur,
En application de l'article R. 222-26 du code
de justice administrative
S. APPECHE
Le greffier,
S. DALL'AVA
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA00557