Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire ampliatif, enregistrés les 16 novembre et
10 décembre 2015, le préfet du Pas-de-Calais demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1508501 du 26 octobre 2015 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D...devant le Tribunal administratif de Melun.
Le préfet du Pas-de-Calais soutient que :
- il n'a pas entaché son arrêté d'un défaut d'examen de la situation personnelle de M. D...;
- le droit de M. D...à être entendu n'a pas été méconnu ;
- M. D...n'a à aucun moment manifesté son intention de former une demande d'asile auprès des autorités françaises.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatif au statut de réfugiés ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Appèche,
- les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public ;
1. Considérant que M.D..., ressortissant syrien né le 1er janvier 1982 selon ses déclarations, a été interpellé par les services de la police aux frontières du Pas-de-Calais le
22 octobre 2015 ; que, par arrêté du même jour, le préfet du Pas-de-Calais l'a obligé à quitter le territoire français, sans délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit à la frontière et l'a placé en rétention administrative ; que le préfet du Pas-de-Calais relève appel du jugement n° 1508501 du 26 octobre 2015 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun a annulé cet arrêté ;
2. Considérant qu'il ressort du jugement attaqué que, pour annuler l'arrêté du préfet du Pas-de-Calais du 22 octobre 2015, le magistrat désigné a estimé que la décision portant obligation de quitter le territoire français avait méconnu le droit de M. D...à être entendu, dès lors qu'il ne lui a jamais été demandé s'il souhaitait présenter en France une demande d'asile ; que, toutefois, si le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour, ce droit n'implique pas toutefois que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement ; que M. D...a pu présenter ses observations, lesquelles ont été consignées dans un procès-verbal d'audition établi par les forces de l'ordre à la suite de son interpellation, le 22 octobre 2015 ; que l'intéressé a été interrogé spécifiquement sur les conditions de son entrée et de son séjour sur le territoire français ainsi que sur sa situation personnelle et familiale en France et dans son pays d'origine ; qu'il a également été avisé du fait qu'il pouvait faire l'objet d'une mesure d'éloignement et d'un placement en rétention et a été mis à même de présenter des observations sur cette éventualité ; qu'il n'est ni établi, ni même allégué, que M. D...aurait disposé d'autres informations tenant à sa situation personnelle qu'il aurait été empêché de porter à la connaissance de l'administration avant que ne soit prise à son encontre la décision d'éloignement contestée et qui, si elles avaient pu être communiquées à temps, auraient été de nature à faire obstacle à l'édiction d'une telle mesure ; qu'ainsi, le droit de M. D...à être entendu n'a pas été méconnu, quand bien même les services de police, qui n'étaient pas tenus de le faire, ne l'auraient pas expressément invité à formuler une demande d'asile ; qu'il s'ensuit que le premier juge ne pouvait annuler, pour ce motif, l'obligation de quitter le territoire et, par voie de conséquence, la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire, celle fixant le pays de destination et la décision de placement en rétention administrative ;
3. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D...tant en première instance que devant elle ;
En ce qui concerne le moyen dirigé contre l'ensemble des décisions contenues dans l'arrêté litigieux :
4. Considérant que par un arrêté n° 2015-10-57 du 16 février 2015, publié au recueil spécial n° 16 du même jour des actes administratifs de la préfecture du Pas-de-Calais, le préfet de ce département a donné délégation à M. C... B..., chef du bureau de l'immigration et de l'intégration, à l'effet de signer, notamment, les décisions contestées ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions attaquées manque en fait et doit être écarté ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
5. Considérant, en premier lieu, que la décision attaquée vise notamment les dispositions utiles du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que, d'ailleurs, la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'elle mentionne également de façon suffisamment précise les considérations de fait qui en constituent le fondement ; que, par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision litigieuse manque en fait ; qu'il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que l'autorité préfectorale n'aurait pas procédé à un examen sérieux et particulier de la situation de M. D...avant de prendre la décision attaquée ;
6. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 741-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'un étranger, se trouvant à l'intérieur du territoire français, demande à bénéficier de l'asile, l'examen de sa demande d'admission au séjour relève de l'autorité administrative compétente " ; qu'aux termes de l'article L. 741-3 du même code : " L'admission au séjour ne peut être refusée au seul motif que l'étranger est démuni des documents et des visas mentionnés à l'article L. 211-1 " ; qu'aux termes de l'article L. 742-5 du même code : " Dans le cas où l'admission au séjour a été refusée pour l'un des motifs mentionnés aux 2° à 4° de l'article L. 741-4, l'étranger qui souhaite bénéficier de l'asile peut saisir l'office de sa demande. Celle-ci est examinée dans les conditions prévues au second alinéa de l'article L. 723-1 " ; qu'il résulte de ces dispositions que le préfet ne peut décider d'obliger un étranger à quitter le territoire français avant d'avoir statué sur sa demande d'admission au séjour déposée au titre de l'asile ; que ce n'est que dans l'hypothèse où sa demande d'admission au séjour a été expressément ou implicitement rejetée par lui sur le fondement des dispositions des 2° à 4° de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le préfet peut décider de prendre à son encontre une mesure d'éloignement ;
7. Considérant que si M. D...soutient que ses déclarations aux services de police étaient susceptibles de caractériser un besoin de protection internationale, il n'établit ni même n'allègue qu'il aurait présenté une demande d'asile en France et il ne ressort pas de ses déclarations, retranscrites dans le procès verbal d'audition susmentionné, qu'il ait entendu présenter une telle demande ; que, dès lors, en l'absence de toute demande de protection auprès des autorités françaises, M. D...ne peut utilement soutenir que le préfet aurait dû se prononcer sur son admission au séjour au titre de l'asile ;
8. Considérant, en troisième lieu, que M.D... ne peut utilement invoquer, à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français, la méconnaissance du principe de non-refoulement énoncé notamment par les articles 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, dont le paragraphe 1 stipule qu'" aucun des États contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ", dès lors que l'obligation de quitter le territoire français n'a pas pour objet de déterminer le pays à destination duquel M.D... sera renvoyé et n'a en elle-même ni pour objet ni pour effet de contraindre M.D... à retourner dans son pays d'origine ;
9. Considérant, en dernier lieu, que M. D...ne détenait aucun titre l'autorisant à séjourner ou à circuler sur le territoire français et n'est pas parvenu à justifier être entré régulièrement en France et n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; qu'il se trouvait donc dans le cas, prévu par les dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, où l'autorité préfectorale peut édicter une obligation de quitter le territoire français sans délai à l'encontre d'un étranger qui risque de se soustraire à cette obligation ; que le fait que l'obligation de quitter le territoire français aurait été assignée à M. D... après un contrôle opéré à l'occasion de l'opération d'évacuation par les forces de l'ordre d'une partie du domaine public de la commune de Calais constituée de la zone dite " jungle de Calais ", ne saurait suffire à établir que l'autorité préfectorale n'aurait pas, en édictant cette obligation, poursuivi les objectifs en vue desquels lui ont été conférés les pouvoirs afférents à la police spéciale des étrangers, et qu'elle aurait seulement, ce faisant, entendu permettre l'évacuation de cette zone ; que le fait que l'obligation de quitter le territoire aurait été notifiée à la suite de l'évacuation de cette zone, qu'une centaine d'étrangers aient fait l'objet du même type de mesure ou encore que le ministre de l'intérieur ait déclaré vouloir contribuer à l'accueil des réfugiés, ne démontrent pas que le préfet aurait agi dans un but étranger à celui tendant au respect des règles relatives à l'entrée et au séjour des étrangers en France ; que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;
En ce qui concerne la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :
10. Considérant que dès lors que la décision portant obligation de quitter le territoire prise à son encontre n'est pas illégale, M. D... n'est pas fondé à exciper de son illégalité à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision par laquelle le préfet du Pas-de-Calais a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
11. Considérant, en premier lieu, que la décision fixant le pays à destination duquel pourra être exécutée la mesure d'éloignement, mentionne notamment la nationalité de M. D...et vise le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, d'ailleurs également, les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation et du défaut d'examen particulier de la situation de l'intéressé doivent être écartés comme manquant en fait ;
12. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : / 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Ou à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; / 3° Ou à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. " ;
13. Considérant qu'il ressort des termes de la décision attaquée que la mesure d'éloignement qui frappe M. D... doit être exécutée à destination de tout pays dans lequel il établirait être légalement admissible ; qu'un tel dispositif est conforme aux dispositions précitées ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en raison de l'absence de détermination du pays de destination doit être écarté comme manquant en fait ;
14. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ;
15. Considérant que, dans ses écritures produites devant le tribunal administratif, M.D... se borne à faire valoir qu'il encourrait des risques de mauvais traitements en cas de retour dans son pays, sans assortir cette allégation d'aucun élément ni de précisions suffisantes permettant d'établir la réalité et la nature des risques auxquels il serait personnellement soumis dans ce pays ; qu'il n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que le préfet a méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle ;
En ce qui concerne la décision portant placement en rétention :
16. Considérant, en premier lieu, qu'eu égard à ce qui précède, le moyen tiré de ce que la décision portant placement en rétention serait dépourvue de base légale à raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté ;
17. Considérant, en second lieu, qu'aux termes du II l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger dispose d'un délai de trente jours à compter de sa notification et peut solliciter, à cet effet, un dispositif d'aide au retour dans son pays d'origine. (...) Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...)3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque est regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants:/ (...) d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) / f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité, ou qu'il a dissimulé des éléments de son identité, ou qu'il n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente, ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues par les articles L. 513-4, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2. (...) " ;
18. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. D...ne pouvait justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité ; qu'il n'établissait pas davantage disposer d'une adresse fixe et stable en France ; que, dès lors, il ne présentait pas de garanties de représentation suffisantes justifiant que fût privilégiée une mesure d'assignation à résidence ; que dans ces conditions, le préfet du Pas-de-Calais pouvait, sans méconnaître les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, placer M. D...en rétention ;
19. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais est fondé à obtenir l'annulation du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun a fait droit à la demande de M. D...et le rejet de la demande présentée par ce dernier devant ce tribunal ;
DECIDE
Article 1er : Le jugement n° 1508501 du 26 octobre 2015 du Tribunal administratif de Melun est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. D...devant le Tribunal administratif de Melun est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A...D....
Copie en sera adressée au préfet du Pas-de-Calais.
Délibéré après l'audience du 30 novembre 2016 à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- Mme Appèche, président assesseur,
- Mme Jimenez, premier conseiller,
Lu en audience publique le 14 décembre 2016.
Le rapporteur,
S. APPECHELe président,
I. BROTONS
Le greffier,
S. DALL'AVA
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15PA04137
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