Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 20 février et 18 octobre 2018, la société Vénus Création, représentée par Me B...A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1610710/2-2 du 21 décembre 2017 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de faire droit à sa demande de restitution du crédit d'impôt recherche au titre des années 2011 à 2013 présentée devant ce tribunal ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 413 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé, les premiers juges n'ayant pas répondu au moyen tiré de l'irrégularité de la décision de rejet du 7 décembre 2015 ;
- cette décision est irrégulière au regard des dispositions des articles R. 198-10 et R. 199-1 du livre des procédures fiscales ou 408 de l'annexe II au code général des impôts ;
- à défaut de décision de rejet régulière et notifiée, elle pouvait saisir le tribunal administratif à l'expiration d'un délai de 6 mois, comme elle l'a fait le 11 juillet 2006 ;
- elle établit la réalité de son activité d'élaboration de nouvelles collections car elle assume, pour le compte de ses clients, la création puis la fabrication des modèles issus des collections périodiques élaborées par son bureau de style ;
- en application des dispositions du 1° du h du II de l'article 244 quater B du code général des impôts et de la doctrine administrative référencée 4 A-4151, n°3 du 9 mars 2001 et au BOI-BIC-RICI-10-10-40, n°30 du 12 septembre 2012, les entreprises qui sous-traitent leur fabrication à des tiers peuvent bénéficier du crédit d'impôt pour dépenses de frais de collection dès lors qu'elles sont propriétaires de la matière première et qu'elles assurent tous les risques de la fabrication et de la commercialisation ; telle est bien sa situation ;
- l'activité de " stricte fabrication " de la société n'a pas été prise en compte pour la détermination du crédit d'impôt recherche ;
- le service ne peut régulièrement se fonder sur la valeur nette des immobilisations de matériels industriels pour apprécier le caractère industriel de l'activité de la société dès lors que la relative ancienneté des acquisitions et le montant des amortissements comptabilisés sont sans incidence sur la capacité de fabrication du matériel industriel détenu par la société ; en outre, elle a acquis en 2012 et 2013 de nouvelles immobilisations lui permettant d'accroître sa capacité de fabrication ; elle possédait donc au 31 décembre 2013, un matériel industriel suffisant pour fabriquer les modèles issus de ses collections ;
- les travaux à façon réalisés par la société peuvent être pris en compte pour la détermination du crédit d'impôt recherche dès lors qu'ils portent sur des modèles élaborés par le bureau de style et fabriqués à partir de matières premières dont la société est propriétaire ;
- le montant du crédit d'impôt recherche dont il est demandé le remboursement a été déterminé en tenant compte de 80% à 75% des rémunérations et des charges sociales de deux ou trois stylistes modélistes, lesquels participent à l'activité créatrice ; l'activité de " stricte fabrication " consistant en la fabrication pour le compte de sociétés tierces de modèles créés par ses clients n'a pas été prise en considération pour le calcul du montant du crédit d'impôt dès lors qu'elle n'engendre aucune intervention de son bureau de style.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 juin 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- aucun des moyens de la requête n'est fondé ;
Par ordonnance du 4 octobre 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 18 octobre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Appèche,
- et les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public.
1. Considérant que la société Vénus Création, qui exerce une activité de fabrication de vêtements en cuir, a sollicité auprès de l'administration fiscale le remboursement d'un crédit d'impôt relatif aux dépenses d'élaboration de nouvelles collections au titre des années 2011, 2012 et 2013 pour des montants respectifs de 66 949 euros, 65 846 euros et 59 381 euros ; que la société a ensuite fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2012
au 31 décembre 2013 ; qu'au cours de cette vérification, elle a déposé de nouvelles déclarations rectificatives relatives au crédit d'impôt pour dépenses de frais de collection au titre des années 2011, 2012 et 2013 ; qu'à l'issue d'une procédure contradictoire, l'administration ayant rejeté, par une décision du 7 décembre 2015, ses demandes de remboursement des crédits d'impôt au titre des années 2011 à 2013, la société Vénus Création a demandé en vain au Tribunal administratif de Paris le remboursement du crédit d'impôt pour les dépenses de frais de collection engagées au titre des années 2011, 2012 et 2013, à concurrence des montants respectifs de 48 693 euros, 39 276 euros et 31 513 euros ; qu'elle relève appel du jugement n° 1610710/2-2 en date du 21 décembre 2017 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative :
" Les jugements sont motivés " ; que les premiers juges, après avoir à bon droit analysé la demande de la société Vénus Création comme tendant au remboursement du crédit d'impôt litigieux ont suffisamment motivé leur jugement ; qu'en effet ils n'étaient pas tenus de répondre aux moyens, inopérants invoqués par la société Vénus Création et tirés des vices entachant, selon elle, la décision par laquelle l'administration fiscale a statué sur sa réclamation :, ou de ce qu'elle n'aurait pas reçu indication des voies et délais de recours, aucune tardiveté ne lui ayant été opposée ni par l'administration fiscale ni par le tribunal ;
Sur la régularité de la procédure :
3. Considérant que pour les mêmes motifs, les moyens analysés au point précédent et repris en appel doivent être écartés ;
Sur le droit à crédit d'impôt :
En ce qui concerne la charge de la preuve :
4. Considérant que, sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l'impôt, au vu de l'instruction et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si des dépenses sont éligibles au dispositif du crédit d'impôt prévu par les dispositions du 1° du h du II de l'article 244 quater B du code général des impôts ;
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
5. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 244 quater B du code général des impôts dans sa rédaction alors applicable : " I. Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel (...) peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. (...) II. Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt sont : (...) h) Les dépenses liées à l'élaboration de nouvelles collections exposées par les entreprises industrielles du secteur textile-habillement-cuir et définies comme suit : 1° Les dépenses de personnel afférentes aux stylistes et techniciens des bureaux de style directement et exclusivement chargés de la conception de nouveaux produits et aux ingénieurs et techniciens de production chargés de la réalisation de prototypes ou d'échantillons non vendus ; 2° Les dotations aux amortissements des immobilisations créées ou acquises à l'état neuf qui sont directement affectées à la réalisation d'opérations visées au 1° ; 3° Les autres dépenses de fonctionnement exposées à raison de ces mêmes opérations ; ces dépenses sont fixées forfaitairement à 75 p. 100 des dépenses de personnel mentionnées au 1° ; 4° Les frais de dépôt des dessins et modèles. 5° Les frais de défense des dessins et modèles, dans la limite de 60 000
par an ; (...) " ;
6. Considérant qu'en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu, par l'octroi d'un avantage fiscal, soutenir l'industrie manufacturière en favorisant les systèmes économiques intégrés qui allient la conception et la fabrication de nouvelles collections ; qu'il en résulte que le bénéfice du crédit d'impôt est ouvert sur le fondement de ces dispositions aux entreprises qui exercent une activité industrielle dans le secteur du textile, de l'habillement et du cuir lorsque les dépenses liées à l'élaboration de nouvelles collections sont exposées en vue d'une production dans le cadre de cette activité ; que, dans le cas d'une société exerçant, dans le secteur du textile, de l'habillement et du cuir, d'une part, une activité de fabrication, en qualité de sous-traitant, de produits pour le compte d'entreprises tierces et, d'autre part, une activité de conception et de commercialisation, sous sa propre marque, d'articles dont elle confie l'entière fabrication à des sous-traitants établis à l'étranger, cette société ne peut bénéficier du crédit d'impôt recherche pour les dépenses liées à l'élaboration de nouvelles collections engagées dans le seul cadre de son activité de commercialisation et non dans celui de son activité industrielle au sens de ces dispositions ;
7. Considérant que la société Vénus Création soutient exercer deux activités distinctes, l'une dite de " création-fabrication " requérant l'intervention de son propre bureau de style, lequel établit les fiches de patronage et les prototypes et ainsi élabore les collections qui sont ensuite fabriquées et présentées à la clientèle, l'autre dite de " stricte fabrication ", consistant dans la fabrication, pour le compte de tiers, de modèles créés par leurs bureaux de style ;
8. Considérant qu'au sens des dispositions du II de l'article 244 quater B du code général des impôts, revêtent un caractère industriel, les entreprises du secteur textile-habillement-cuir exerçant une activité de fabrication ou de transformation de biens corporels mobiliers qui nécessite d'importants moyens techniques ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'activité de fabrication des modèles élaborés par le bureau de style de la société Vénus Création, exercée directement par elle, puisse être qualifiée d'activité industrielle au sens de ces dispositions ; qu'en effet, la société Vénus Création, dont l'effectif salarié au cours des exercices en cause s'établit à 11, 14 et
9 employés, y compris les employés du bureau de style, ne disposait que d'un matériel industriel limité et pour l'essentiel ancien ; que la valeur brute de ce matériel s'établissait à 20 239 euros en 2001 et pour les deux exercices suivants à 22 875 euros et 24 375 euros, montants incluant les nouvelles machines d'une valeur de 1 136 euros et 1 500 euros acquises en 2012 et 2013; que si la société Vénus Création fabrique avec son outillage les prototypes, elle admet avoir eu recours, au moins partiellement, à la sous-traitance, pour la fabrication des articles issus de ses collections et ne saurait, pour démontrer le caractère industriel, au sens des dispositions rappelées ci-dessus, de l'activité dans le cadre de laquelle ont été engagées les dépenses d'élaboration de ses nouvelles collections, se prévaloir des modalités de cette sous-traitance, et notamment de la circonstance qu'elle serait propriétaire de la matière première et qu'elle assumerait les risques de fabrication et de commercialisation ; qu'il en résulte que, sur le terrain de la loi, la société requérante ne peut être regardée comme remplissant les conditions ouvrant droit au crédit d'impôt dont elle demande le bénéfice, faute de la mise en oeuvre de moyens techniques importants dans le cadre de son activité de " création-fabrication " ;
En ce qui concerne l'application de la doctrine :
9. Considérant que la société Vénus Création se prévaut, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la documentation administrative de base 4 A-4151, n° 3, du
9 mars 2001, reprise au BOI-BIC-RICI-10-10-40, selon laquelle " les entreprises industrielles qui sous-traitent leur fabrication à des tiers peuvent bénéficier du crédit d'impôt. Le bénéfice du dispositif ne peut donc être refusé aux entreprises ayant recours à la sous-traitance dès lors qu'elles sont propriétaires de la matière première et qu'elles assurent tous les risques de la fabrication et de la commercialisation " ; qu'il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges, d'écarter ce moyen ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Vénus Création n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que les conclusions de la requête tendant à l'annulation du jugement et au remboursement du crédit d'impôt litigieux doivent, par suite, être rejetées ; qu'il en va de même, par voie de conséquence, de celles présentées sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative, l'Etat n'ayant pas dans la présente instance la qualité de partie perdante ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Vénus Création est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Vénus Création et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- Mme Appèche, président assesseur,
- M. Magnard, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 21 novembre 2018.
Le rapporteur,
S. APPECHELe président,
I. BROTONS
Le greffier,
S. DALL'AVA
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA00595