Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 24 mai et 24 août 2018, la société Adderley Trading Ltd, représentée par MeA..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1620674/1-2 du 27 mars 2018 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- conformément à la doctrine fiscale BOI-CF-PGR-10-70-2015-02-04, reprise de la doctrine fiscale DB 13L1218 § 4 publiée le 1er juillet 2002 et de la doctrine BOI-CF-PGR-10-70-20120912 § 30 publiée le 12 septembre 2012, l'administration ne pouvait exercer un droit de reprise de dix ans, dès lors qu'elle doit être considérée comme un établissement secondaire de l'entreprise individuelle Peter Vezan ;
- ces doctrines sont opposables à l'administration ;
- dès lors qu'elle a commis une erreur en ne déclarant pas son activité en France, le délai de reprise de 10 ans n'était pas applicable ;
- dès lors qu'elle s'est faite connaître auprès des services de la DNVSF - Service de traitement des déclarations rectificatives (" STDR ") dès le 17 juillet 2014 avant toute procédure de vérification de comptabilité, elle ne pouvait faire l'objet d'une procédure de contrôle ;
- elle ne disposait pas d'établissement stable en France ;
- son activité n'était pas intégralement exercée par l'intermédiaire d'un établissement stable établi en France ;
- au regard de la convention franco-américaine, il ne peut lui être imputé que les résultats réalisés par l'intermédiaire d'un établissement stable établi en France ;
- étant immatriculée aux Etats-Unis, elle n'avait pas l'obligation de conserver durant dix ans ses documents comptables, ceux-ci étant prescrits par trois ans ;
- les résultats des sociétés Domaines Direct LTD et Adderley Trading Ltd auraient dû être traitées de manière consolidée pour les besoins de la déductibilité des versements sur le plan de pension ;
- la pénalité de 80 % pour activité occulte est injustifiée, l'activité n'étant pas occulte et la société s'étant fait connaître avant le début du contrôle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 août 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention franco-américaine du 31 août 1994 ;
- le code de commerce ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Magnard,
- les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant la société Adderley Trading Ltd.
Considérant ce qui suit :
1. La société Adderley Trading Ltd, qui exerce une activité d'intermédiaire et de courtier en vins, a, à la suite d'une visite domiciliaire effectuée dans le cadre des dispositions de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre des années 2004 à 2013. Estimant que cette société disposait d'un établissement stable en France, et après avoir constaté qu'elle n'avait déposé aucune déclaration fiscale à raison de l'activité de cet établissement et ne s'était pas fait connaître d'un centre de formalités des entreprises, l'administration a mis à sa charge, par voie de taxation d'office, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés assorties de pénalités pour les années 2006 à 2013. La société Adderley Trading Ltd relève appel du jugement du 27 mars 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et pénalités.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 209 du code général des impôts : " I. Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés d'après les règles fixées par les articles 34 à 45, 53 A à 57 et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France (...) ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions ". Aux termes de l'article 7 de la convention franco-américaine du 31 août 1994 dans sa rédaction applicable : "1. Les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre Etat mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à cet établissement stable. /2. Sous réserve des dispositions du paragraphe 3, lorsqu'une entreprise d'un Etat contractant exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé, il est imputé, dans chaque Etat contractant, à cet établissement stable les bénéfices qu'il aurait pu réaliser s'il avait constitué une entreprise distincte et indépendante exerçant des activités identiques ou analogues dans des conditions identiques ou analogues. /3. Pour déterminer les bénéfices d'un établissement stable, sont admises en déduction les dépenses qui ont un lien raisonnable avec ces bénéfices, y compris les dépenses de direction et les frais généraux d'administration, que ces dépenses soient exposées dans l'Etat où est situé cet établissement stable ou ailleurs. ".
3. Si la société Adderley Trading Ltd soutient devant la Cour ne pas disposer en France d'un établissement stable, elle ne conteste pas y disposer de locaux où M. V., son unique actionnaire et dirigeant, effectue l'ensemble des actes de gestion courante, ainsi qu'il résulte des nombreux documents, liasses fiscales, pièces bancaires, factures clients et fournisseurs et bons de commande, qui ont été saisis dans ces locaux, dans le cadre de la procédure de visite domiciliaire et de saisie qui a été diligentée le 26 septembre 2013 en application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales. Elle était par suite taxable en France sur les résultats de cet établissement, à raison de l'activité de son dirigeant, sans qu'elle puisse utilement se prévaloir des stipulations du 6. de l'article 5 de la convention précitée, qui exclut de la qualification d'établissement stable la seule présence dans un Etat signataire d'un courtier, d'un commissionnaire général ou de tout autre agent jouissant d'un statut indépendant. La charge de la preuve de l'exagération des impositions lui incombe, lesdites impositions ayant été établies selon la procédure de taxation d'office. Si elle fait valoir que la totalité de ses résultats ne procèdent pas de cet établissement, dès lors que le travail de prospection d'importateurs américains, qui n'auraient pas accepté de travailler avec elle sans l'existence d'une structure de droit américain, se déroulait aux Etats-Unis et que son chiffre d'affaires n'aurait pu être réalisé sans ces activités, elle n'apporte à l'appui de son argumentation aucun élément permettant d'en apprécier le bien-fondé. Notamment elle n'apporte aucun document permettant d'établir qu'elle disposait d'un établissement stable aux Etats-Unis au sens des stipulations précitées du 1. de l'article 7 de la convention.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : " Pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. (...) Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque le contribuable exerce une activité occulte. L'activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et soit n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, soit s'est livré à une activité illicite. ".
5. D'une part, il est constant que la société Adderley Trading Ltd n'a pas fait connaître son activité auprès d'un centre de formalité des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce ni n'a procédé aux déclarations fiscales afférentes à ses activités auprès de l'administration fiscale pour les exercices en litige. Le délai de reprise de dix ans prévu par les dispositions précitées était par suite applicable, alors même que M. V. son dirigeant, aurait procédé à la régularisation de ses avoirs détenus à l'étranger auprès du service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) de la direction nationale des vérifications de situations fiscales le 17 juillet 2014. La circonstance que M. V. ait lui-même déclaré l'activité qu'il exerçait dans le cadre d'une entreprise individuelle ne saurait être à cet égard utilement invoquée, la société requérante constituant un contribuable distinct de M. V. et ne pouvant, contrairement à ce qui est soutenu, être regardée comme un établissement secondaire de l'entreprise exploitée par ce dernier.
6. D'autre part, la constatation de l'exercice occulte d'une activité professionnelle au sens des dispositions précitées de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales implique que le contribuable ne soit pas en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ses obligations déclaratives. S'agissant d'un contribuable qui fait valoir qu'il a satisfait à l'ensemble de ses obligations fiscales dans un Etat autre que la France, la justification de l'erreur commise doit être appréciée en tenant compte tant du niveau d'imposition dans cet autre Etat que des modalités d'échange d'informations entre les administrations fiscales des deux Etats. En se bornant à faire valoir qu'elle était immatriculée aux Etats-Unis, qu'elle y déclarait ses résultats, y payait ses impôts et qu'elle pouvait légitimement en déduire qu'elle n'avait rien à déclarer en France, la société requérante, qui est établie dans le Delaware et qui ne justifie ni de la réalité des déclarations dont elle se prévaut ni du montant des impositions payées dans cet Etat, n'établit pas l'erreur de bonne foi qu'elle aurait commise et qui justifierait qu'elle ne se soit acquittée d'aucune de ses obligations déclaratives.
7. Enfin, les doctrines administratives invoquées, aux termes desquelles l'activité d'un établissement secondaire ne saurait être regardée comme occulte dès lors que l'activité principale a été régulièrement déclarée, ne font en tout état de cause pas de la loi fiscale une interprétation différente de ce qui précède, et ne sauraient par suite être valablement invoquée sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 123-22 du code du commerce : " Les documents comptables et les pièces justificatives sont conservés pendant dix ans ". Exerçant, ainsi qu'il a été dit au point 3., ses activités sur le territoire français, la société Adderley Trading Ltd était tenue aux obligations de conservation de ses documents comptables conformément aux dispositions précitées de l'article 123-22 du code de commerce. Le moyen tiré de ce qu'étant immatriculée aux Etats-Unis, elle ne saurait être tenue aux obligations procédant de la législation française ne peut dès lors qu'être écarté.
9. En quatrième lieu, le moyen tiré de ce que les résultats des sociétés Domaines Direct LTD et Adderley Trading Ltd auraient dû être traitées de manière consolidée pour les besoins de la déductibilité des versements opérés sur un plan de pension n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant à la Cour d'en apprécier le bien-fondé et la portée. La seule circonstance qu'une déclaration commune aurait été présentée aux autorités fiscales américaines ne permet pas, à elle-seule, de regarder les deux sociétés susmentionnées, qui constituent deux personnes morales distinctes, comme une seule entité au regard de la loi fiscale française. En outre, et en tout état de cause, aucune disposition légale ou réglementaire en vigueur ne permet de traiter les résultats de deux contribuables distincts de manière consolidée pour les seuls besoins de la déductibilité de charges.
10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 1728 du code général des impôts :
" 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : (..) ; c. 80 % en cas de découverte d'une activité occulte ". Il résulte de ces dispositions que, dans le cas où un contribuable n'a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, l'administration doit être réputée apporter la preuve, qui lui incombe, de l'exercice occulte de l'activité professionnelle si le contribuable n'est pas lui même en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ses obligations déclaratives.
11. D'une part, il résulte de ce qui a été dit au point 5. que la société Adderley Trading Ltd, qui ne pouvait ignorer qu'elle disposait en France d'un établissement stable au titre duquel lui incombait des obligations déclaratives, n'a pas fait connaître son activité auprès d'un centre de formalité des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce ni n'a procédé aux déclarations fiscales afférentes à ses activités auprès de l'administration fiscale pour les exercices en litige. En se bornant à faire valoir que M. V. a lui-même déclaré l'activité qu'il exerçait dans le cadre d'une entreprise individuelle, la société requérante, qui d'ailleurs n'établit ni même n'allègue que ce dernier aurait déclaré l'ensemble des résultats réalisés par l'établissement stable dont elle disposait en France, ne fournit pas à la Cour les éléments permettant de constater que les carences susmentionnées procéderaient d'une erreur de sa part. Enfin, et ainsi qu'il a été déjà dit ci-dessus au point 6., en se bornant à faire valoir qu'elle était immatriculée aux Etats-Unis, qu'elle y déclarait ses résultats, y payait ses impôts et qu'elle pouvait légitimement en déduire qu'elle n'avait rien à déclarer en France, la société requérante, qui est établie dans le Delaware, et qui ne justifie pas ni la réalité des déclarations dont elle se prévaut ni du montant des impositions payées dans cet Etat, n'établit pas l'erreur de bonne foi qu'elle aurait commise et qui justifierait qu'elle ne se soit acquittée d'aucune de ses obligations déclaratives.
12. D'autre part, la société Adderley Trading Ltd entend se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la circulaire du 21 juin 2013 du ministre délégué chargé du budget, qui fixe les conditions de traitement des déclarations rectificatives des contribuables détenant des avoirs à l'étranger, et prévoyant, dans certains cas, une réduction des amendes. Toutefois, ce moyen est en tout état de cause inopérant dès lors que la circulaire invoquée concerne le traitement des contribuables qui ont spontanément entendu régulariser leur situation, ce qui, comme cela ressort du point 5., n'a pas été le cas de la société Adderley Trading Ltd.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Adderley Trading Ltd n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que la société requérante demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Adderley Trading Ltd est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Adderley Trading Ltd et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au chef des services fiscaux chargé de la direction de contrôle fiscal
d'Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 15 mai 2019, à laquelle siégeaient :
-Mme Brotons, président de chambre,
- Mme Appèche, président assesseur,
- M. Magnard, premier conseiller,
Lu en audience publique le 29 mai 2019.
Le rapporteur,
F. MAGNARDLe président,
I. BROTONS
Le greffier,
S. DALL'AVA
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA01780