Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 2 juin 2020 et 30 octobre 2020, Mme D..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du ministre du travail du 8 janvier 2019 ;
3°) de mettre à la charge de la société Hoche Eight, venant aux droits de la société WBA Saint-Honoré, et de l'Etat, la somme de 4 000 euros chacun au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision ministérielle du 8 janvier 2019 n'est pas suffisamment motivée ;
- la matérialité des faits de vol qui lui sont reprochés n'est pas établie ; il n'est pas démontré qu'une infraction a été commise ; si elle a avoué les faits, sa signature en vue d'une comparaison sur reconnaissance préalable de culpabilité a été illégalement recueillie, et elle s'est ensuite rétractée ; les images de vidéosurveillance de l'hôtel ne peuvent être utilisées pour établir sa culpabilité, dès lors que le dispositif n'a pas été régulièrement déclaré et qu'elle n'en a pas été régulièrement informée, ne lisant pas le français ; les faits qui lui sont reprochés ne lui sont pas imputables ;
- la décision litigieuse viole le principe de présomption d'innocence ;
- la demande d'autorisation de licenciement est en lien avec son mandat.
Par un mémoire en défense enregistré le 1er octobre 2020, la société Hoche Eight, venant aux droits de la société WBA Saint-Honoré, représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 novembre 2020, le ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Il renvoie à ses écritures de première instance.
La clôture de l'instruction a été fixée au 8 décembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de Mme Pena, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... a été recrutée par la société WBA Saint-Honoré par contrat à durée indéterminée conclu le 13 décembre 2014, en qualité de femme de chambre au sein de l'hôtel Sofitel Faubourg, à Paris. Elle a été élue en 2016 membre suppléante du collège employés de la délégation unique du personnel de l'hôtel. Par courrier du 26 mars 2018, son employeur a demandé à l'inspecteur du travail de l'autoriser à la licencier pour motif disciplinaire. Par une décision du 22 mai 2018, l'inspecteur du travail a refusé d'accorder l'autorisation sollicitée. Le 19 juillet 2018, la société WBA Saint-Honoré a formé un recours hiérarchique auprès du ministre du travail. Une décision implicite de rejet est née le 21 novembre 2018 du silence gardé par ce dernier sur le recours. Par une décision du 8 janvier 2019, le ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique, a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 22 mai 2018 et a autorisé le licenciement de Mme D.... Par un jugement du 26 février 2020 dont la requérante relève appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 8 janvier 2019.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, Mme D... invoque en appel le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision du 8 janvier 2019. Elle n'apporte cependant à l'appui de ce moyen, déjà soulevé devant le tribunal administratif de Paris, aucun élément nouveau susceptible de remettre en cause l'appréciation portée à juste titre par les premiers juges. Il y a dès lors lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par ces derniers.
3. En deuxième lieu, la circonstance que la signature par Mme D... du formulaire de convocation en vue d'une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité pour les faits de vol qui lui sont reprochés n'aurait pas été légalement recueillie, est sans incidence sur la régularité de la procédure administrative d'édiction de la décision d'autorisation de licenciement, distincte de la procédure pénale.
4. En troisième lieu, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail : " En cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. / Si un doute subsiste, il profite au salarié ".
5. Il ressort des pièces du dossier que le 17 février 2018, le vol de onze billets de cent dollars a été déclaré par le client occupant la chambre 434 de l'hôtel au sein duquel Mme D... était femme de chambre. Ce client, ressortissant turc, a signalé le vol tant à son ambassade qu'au siège du groupe Accord, dont relève l'hôtel Sofitel Faubourg. Or, il ressort également des pièces du dossier, notamment des images issues du dispositif de vidéosurveillance de l'établissement, que Mme D... est la seule personne à être entrée dans la chambre 434 entre 19h30 et 22h00, période au cours de laquelle le vol a été commis selon le client. Contrairement à ce que soutient la requérante, ces images ont été régulièrement recueillies, la société WBA Saint-Honoré ayant obtenu une autorisation préfectorale le 17 mars 2015 et ayant déclaré le dispositif à la CNIL
le 7 novembre 2014 et le 3 juillet 2017, le comité d'entreprise de l'établissement ayant été consulté, et l'intéressée ayant signé le règlement intérieur de l'hôtel portant à sa connaissance, de façon claire et compréhensible, les éléments du dispositif de vidéosurveillance, en application des dispositions des articles L. 1222-4 et L. 1221-9 du code du travail. Par ailleurs,
Mme D... a reconnu, lors de son audition en garde à vue par les services de police
le 8 mars 2018, avoir commis le vol qui lui est imputé ; alors que les policiers relevaient la veille que ses déclarations ne concordaient pas avec les images de la vidéosurveillance, elle a indiqué le lendemain, avec précision, les circonstances de l'infraction ainsi que l'utilisation qu'elle a faite de la somme dérobée, donnée à une amie devant se rendre en Guinée pour la transmettre à sa soeur malade ; la rétractation dont elle se prévaut n'est en outre intervenue que deux mois plus tard, le 26 mai 2018. Si la requérante fait valoir que deux autres collègues ont pu entrer dans la chambre 434 avant 19h30 ou en même temps qu'elle, et commettre le vol, elle ne l'établit pas. Enfin, par un jugement du 10 septembre 2020, la 10ème chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris a condamné Mme D... pour le vol de onze billets de cent dollars
le 17 février 2018, à une peine d'un mois d'emprisonnement avec sursis. Dans ces conditions, et alors même que ce jugement, frappé d'appel, n'est pas définitif, il y a lieu de tenir pour établie la matérialité des faits reprochés. La faute qu'ils constituent présente un caractère de gravité suffisant pour justifier une mesure de licenciement.
6. En quatrième lieu, Mme D... ne peut utilement invoquer une violation du principe de présomption d'innocence à l'encontre de la décision d'autorisation de licenciement attaquée, laquelle résulte d'une procédure administrative distincte de la procédure pénale.
7. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la demande d'autorisation de licenciement présentée par l'employeur de Mme D... a été formulée en raison de l'exercice par cette dernière de son mandat syndical. Il n'est notamment pas établi que ladite demande aurait été motivée par la dénonciation, par l'intéressée, de gestes inappropriés de la part d'un client le 23 février 2018.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par Mme D... et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière le versement d'une somme à la société Hoche Eight sur le fondement des mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la société Hoche Eight présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... D..., à la société Hoche Eight et au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 5 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- M. E..., premier vice-président,
- M. Bernier, président-assesseur,
- Mme C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 février 2021.
Le rapporteur,
G. C...Le président,
M. E...
Le greffier,
A. DUCHER
La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA01386