Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 7 août 2020 sous le numéro 20PA02181, le préfet de police demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement du 9 juillet 2020 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... B... devant le tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a estimé que son arrêté était entaché d'une méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et a ordonné, au vu du motif d'annulation, la délivrance à l'intéressé d'une attestation de demande d'asile en procédure normale ;
- les autres moyens soulevés par M. A... B... devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à M. A... B..., qui n'a pas produit d'observations.
II. Par une requête enregistrée le 20 août 2020 sous le numéro 20PA02355, le préfet de police demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2008333/8 du 9 juillet 2020 du tribunal administratif de Paris.
Il soutient que les conditions fixées par l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont en l'espèce remplies.
La requête a été communiquée à M. A... B..., qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission,
- le règlement (UE) n°603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013,
- le règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013,
- la directive 2011-95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011,
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- le code des relations entre le public et l'administration,
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant afghan né le 1er janvier 1995 à Kaboul, a sollicité le
13 mars 2020 son admission au séjour au titre de l'asile. La consultation du système " Eurodac " a fait apparaitre que ses empreintes avaient été relevées par les autorités belges le 29 octobre 2015, le 10 septembre 2017 et le 23 avril 2019. Le 20 mars 2020, le préfet de police a adressé aux autorités belges une demande de reprise en charge de M. A... B... en application des dispositions du b) du 1° de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du
26 juin 2013 et celles-ci ont accepté cette reprise en charge le 30 mars 2020. Par un arrêté en date du 2 juin 2020, le préfet de police a décidé de leur remettre M. A... B.... Par le jugement du
9 juillet 2020 dont il est fait appel, le tribunal administratif de Paris a admis M. A... B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a annulé l'arrêté contesté, a enjoint au préfet de police d'enregistrer la demande d'asile de l'intéressé et de lui délivrer l'attestation prévue à l'article
L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans le délai de dix jours à compter de la notification du jugement. Par la requête enregistrée sous le n° 20PA02181, le préfet de police relève appel de ce jugement. Par la requête enregistrée sous le n° 20PA02355, le préfet de police demande à la cour d'en prononcer le sursis à exécution.
Sur la jonction :
2. Les requêtes nos 20PA02181 et 20PA02355 portant sur le même jugement et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur la requête n° 19PA02181 :
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
3. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de ''homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Pour considérer que l'arrêté en litige méconnaissait les stipulations précitées, le tribunal administratif s'est fondé sur la circonstance que la demande d'asile de M. A... B... avait été définitivement rejetée par une décision du commissariat général aux réfugiés et aux apatrides, qu'une situation de violence généralisée prévalait en Afghanistan et particulièrement à Kaboul, cible de nombreux attentats et seul point d'entrée du territoire afghan par voie aérienne, et sur la circonstance que les autorités belges procédaient à des éloignements à destination de l'Afghanistan de demandeurs d'asile dont la demande avait été rejetée définitivement, pour en déduire que la remise aux autorités belges aurait pour conséquence un renvoi en Afghanistan, où l'intéressé serait exposé à un risque réel de traitements inhumains ou dégradants.
4. L'arrêté en litige a cependant pour seul objet de renvoyer M. A... B... en Belgique, Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et non dans son pays d'origine. M. A... B... ne produit aucun élément de nature à établir qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Belgique dans la procédure de traitement des demandes d'asile. En tout état de cause, alors même que la demande d'asile de M. A... B... aurait été définitivement rejetée par les autorités belges et que ce dernier ferait l'objet d'une mesure d'éloignement, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que ces autorités n'évalueront pas, avant de procéder à un éventuel éloignement de l'intéressé, les risques auxquels il serait exposé en cas de retour en Afghanistan. Ainsi, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a accueilli le moyen tiré de ce que l'arrêté méconnaîtrait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour annuler l'arrêté en litige.
5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... B... devant le tribunal administratif de Paris.
Sur les autres moyens soulevés par M. A... B... :
6. En premier lieu, par arrêté n°2020-00197 du 2 mars 2020, régulièrement publié au bulletin officiel de la ville de Paris du 10 mars 2020, le préfet de police a donné délégation à
Mme E..., attachée principale d'administration de l'Etat, pour signer tous les actes dans la limite de ses attributions, au nombre desquelles figurent les arrêtés de transfert. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué doit être écarté.
7. En deuxième lieu, l'arrêté prononçant le transfert de M. A... B... aux autorités belges vise le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le règlement n° 1560/2003 portant modalité d'application du règlement n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable d'une demande d'asile ainsi que le règlement n° 603/2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales. Il relève le caractère irrégulier de l'entrée en France de M. A... B..., rappelle le déroulement de la procédure suivie lorsque M. A... B... s'est présenté devant les services de la préfecture de police et précise que la consultation du système Eurodac a révélé que l'intéressé avait sollicité l'asile auprès des autorités belges. Il précise également que les autorités belges ont accepté le 30 mars 2020 de le reprendre en charge en application des dispositions du d) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 et qu'au regard des éléments de fait et de droit caractérisant sa situation, il ne relève pas des dérogations prévues aux articles 3-2 ou 17 dudit règlement. Enfin, il ressort des mentions de l'arrêté attaqué que le préfet de police a examiné la situation de M. A... B... au regard des stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et a conclu l'absence de risque personnel de nature à constituer une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités de l'Etat responsable de la demande d'asile. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision de transfert serait insuffisamment motivée ne peut qu'être écarté.
8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... B... s'est vu remettre, les 12 et 13 mars 2020, l'ensemble des informations nécessaires au suivi de sa demande et à l'engagement de la procédure de transfert, et tout particulièrement, la brochure d'information sur le règlement " Dublin III " contenant une information générale sur la demande d'asile et le relevé d'empreintes (brochure A), la brochure d'information pour les demandeurs d'asile dans le cadre de la procédure " Dublin III " (brochure B), la brochure d'information, rédigée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés, relative à la base de données " Eurodac " ainsi que le guide du demandeur d'asile, rédigés en langue dari, langue que l'intéressé avait préalablement déclaré comprendre. Si le requérant a soutenu devant le tribunal qu'il n'aurait pas reçu les éléments d'information requis par les dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 dans une langue qu'il comprend, il ressort des pièces du dossier que, lors de l'entretien individuel réalisé en langue dari, il a confirmé comprendre les termes de cet entretien et n'a émis aucune réserve lors de la remise des brochures. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que M. A... B... n'aurait pas reçu, dans une langue qu'il comprend, les éléments d'information requis par les dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne peut qu'être écarté.
9. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... B... a été reçu à la préfecture de police le 13 mars 2020, par un agent de la préfecture. M. A... B... a été assisté d'un interprète en langue dari lors de l'entretien individuel ainsi que lors de la notification de l'arrêté attaqué. L'entretien a été mené par une personne qualifiée au sens de l'article 5 du règlement
n° 604/2013 du 26 juin 2013 et il ressort de son résumé que l'intéressé, qui n'a fait état d'aucune difficulté dans la compréhension de la procédure mise en oeuvre à son encontre et qui était assisté d'un interprète assermenté en langue dari, a pu faire valoir à cette occasion toutes observations utiles concernant sa situation personnelle et ses conditions d'entrée, et à la fin duquel il a indiqué qu'il n'avait rien à déclarer. Par ailleurs, l'article 5 de ce règlement n'exige pas que le résumé de l'entretien individuel mentionne l'identité et la qualité de l'agent qui l'a mené et ce résumé, qui, selon cet article 5, peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type, ne saurait être regardé comme une correspondance au sens de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, la circonstance que la qualification ainsi que la qualité et l'identité de l'agent ayant mené l'entretien n'apparaît pas sur le résumé de l'entretien individuel mené avec M. A... B... est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie. Enfin, si M. A... B... soutient ne s'être pas vu remettre le compte rendu de cet entretien, il n'établit pas en avoir fait la demande. Par suite, sans autres précisions de la part du requérant sur les garanties dont il aurait été privé lors de cet entretien, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, du principe du contradictoire et du droit de présenter des observations, reconnu par les dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration doivent être écartés.
10. En cinquième lieu, il résulte de l'article 23 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride que, lorsque l'autorité administrative saisie d'une demande de protection internationale estime, au vu de la consultation du fichier Eurodac, que l'examen de cette demande ne relève pas de la France, il lui appartient de saisir le ou les Etats qu'elle estime responsable de cet examen dans un délai maximum de deux mois à compter de la réception du résultat de cette consultation. À défaut de saisine dans ce délai, la France devient responsable de cette demande. Selon l'article 25 du même règlement, l'Etat requis dispose, dans cette hypothèse, d'un délai de deux semaines au-delà duquel, à défaut de réponse explicite à la saisine, il est réputé avoir accepté la reprise en charge du demandeur. Le juge administratif, statuant sur des conclusions dirigées contre la décision de transfert et saisi d'un moyen en ce sens, prononce l'annulation de la décision de transfert si elle a été prise alors que l'Etat requis n'a pas été saisi dans le délai de deux mois ou sans qu'ait été obtenue l'acceptation par cet Etat de la reprise en charge de l'intéressé. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur ce point au vu de l'ensemble des éléments versés au dossier par les parties. S'il peut écarter des allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l'auteur du recours que ce dernier apporte la preuve des faits qu'il avance.
11. Le préfet de police a produit en première instance la lettre de la direction générale des étrangers en France du ministère de l'intérieur du 12 mars 2020 qui justifie du résultat positif des recherches entreprises sur le fichier européen Eurodac à partir du relevé décadactylaire établi le même jour pour M. A... B... lors de la présentation de sa demande d'asile. Il a également produit le formulaire adressé aux autorités belges en vue de la reprise en charge de M. A... B.... Enfin, a été produit l'accord explicite des autorités belges en vue de la reprise en charge de M. A... B... du 30 mars 2020. Eu égard au rapprochement des dates des 12 mars et 30 mars 2020 mentionnées ci-dessus, ces éléments suffisent à tenir pour établi que les autorités belges ont été saisies d'une requête aux fins de reprise en charge dans les délais impartis par les articles précités. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles 23 et 25 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit ainsi être écarté.
12. En dernier lieu, aux termes de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Par ailleurs, selon l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
13. Eu égard à ce qui a été dit au point 4, le préfet n'a ni méconnu les stipulations de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ni commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 en édictant l'arrêté de transfert de transfert litigieux.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 2 juin 2020, lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de M. A... B... et de lui délivrer l'attestation prévue à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans le délai de dix jours à compter de la notification du jugement. Il y a lieu, par suite, d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement attaqué, et de rejeter la demande présentée par M. A... B... devant le tribunal à l'exception de sa demande d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Sur la requête n° 20PA02355 :
15. Le présent arrêt statuant sur les conclusions de la requête du préfet de police tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête tendant à ce que soit ordonné le sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a donc pas lieu d'y statuer.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 20PA02355 du préfet de police.
Article 2 : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2008333 du 9 juillet 2020 du tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 3 : Les conclusions à fin d'annulation, d'injonction et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 présentées par M. A... B... devant le tribunal administratif de Paris sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et M. F... A... B.... Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 5 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- M. D... premier vice-président,
- M. Bernier, président-assesseur,
- Mme C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 février 2021.
Le rapporteur,
G. C...Le président,
M. D...Le greffier,
A. DUCHER
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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