Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 2 septembre 2020, Mme A..., représentée par
Me E..., demande à la Cour tant en son nom et qu'en sa qualité d'ayant droit de
M. F... A..., son père aujourd'hui décédé :
1°) d'annuler le jugement n° 1717556/6-3 du 9 juillet 2020 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 167 647,74 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable dès lors qu'elle a été enregistrée dans les délais de recours et qu'elle est accompagnée du jugement attaqué ; elle justifie de sa qualité de harki au même titre que son père ;
- le jugement est irrégulier ; la motivation du jugement est insuffisante ; elle est en outre erronée car elle n'a jamais soutenu qu'elle avait vécu avec sa famille dans le camp de Bias ;
- c'est à tort que le tribunal administratif de Paris s'est déclaré incompétent pour connaître des conclusions tendant à l'indemnisation de ses préjudices liés au défaut d'intervention de la France en Algérie pour protéger les anciens supplétifs de l'armée française et leurs familles ;
- la prescription quadriennale ne lui est pas opposable ; le ministre des armées n'avait pas compétence pour l'opposer ; elle ignorait l'existence de sa créance, le droit à indemnisation n'ayant été reconnu que par un arrêt du Conseil d'Etat du 3 octobre 2018 ;
- il est de notoriété publique que les harkis ont été accueillis en France dans des conditions déplorables ; elle a vécu avec sa famille dans des conditions indignes pendant de nombreuses années et a été exposée à des actes d'hostilité de la population française ; la responsabilité de l'Etat est engagée du fait de l'absence de prise en charge, et alors même que sa famille n'aurait pas été soumise au régime particulier imposé aux harkis hébergés dans des camps ;
- elle a droit à une indemnité compensatrice du préjudice matériel qu'elle évalue à 51 754, 94 euros correspondant à la perte de ses propriétés en Algérie alors qu'elle n'a pas pu bénéficier des lois d'indemnisation en faveur des rapatriés ;
- elle a droit à une indemnité compensatrice du préjudice moral qu'elle évalue à
65 892, 80 euros calculée par référence aux lois d'indemnisation en faveur des harkis ;
- elle a droit à une indemnité réparatrice des préjudices matériels et moraux qu'elle évalue à 50 000 euros au titre de dont 20 000 euros pour M. F... A... et 30 000 euros pour elle-même, les propositions de lois tendant à une meilleure reconnaissance des anciens supplétifs n'ayant pas été adoptées.
Par lettre du 14 octobre 2020, Me E... a informé la Cour du décès de M. A....
Par un mémoire, enregistré le 23 décembre 2020, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le jugement est suffisamment motivé ;
- la juridiction administrative est incompétente pour connaître des représailles subies par les harkis après le 18 mars 1962, les préjudices subis résultant d'actes non détachables de la conduite des relations internationales ;
- les conclusions tendant à la réparation des préjudices subis par le père de la requérante sont irrecevables ;
- les conclusions tendant à la réparation des préjudices subis par la requérante elle-même excédant celles réclamées en première instance sont également irrecevables ;
- la créance est prescrite ; le ministre des armées a compétence pour opposer la prescription ; Mme A... avait connaissance de l'existence de sa créance à sa majorité ;
- ni les conditions dans lesquelles la requérante et sa famille ont vécu après leur arrivée en France, ni la faute de l'Etat, ni les préjudices ne sont justifiés.
La clôture de l'instruction est intervenue le 11 janvier 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C... ;
- et les conclusions de Mme Pena, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A..., née le 1er mai 1960 à Ghazaouet, commune du département de Tlemcen qui s'appelait Nemours avant que l'Algérie devienne indépendante, est la fille de
M. F... A..., aujourd'hui décédé, qui a combattu jusqu'en 1962 en qualité de harki au sein des forces supplétives et assimilées. Elle a demandé au tribunal administratif de condamner l'Etat à réparer les préjudices résultant des violences subies en Algérie après le cessez-le-feu du 18 mars 1962 et la proclamation de l'indépendance de l'Algérie le 5 juillet 1962 et de l'absence de mesures prises pour assurer, à son père et à sa famille, un accueil décent après leur arrivée en France. Elle relève appel du jugement du 9 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. Pour rejeter la demande de Mme A..., les premiers juges ont considéré qu'elle ne justifiait ses dires par aucune pièce, qu'elle ne fournissait aucun détail sur son parcours et que le lien de parenté avec M. A... n'était pas établi. Ce faisant, le tribunal administratif de Paris, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments de la requérante, a suffisamment motivé son jugement. Si Mme A... fait valoir que c'est à tort d'une part que le tribunal a envisagé qu'elle aurait pu être hébergée au camp de Bias, d'autre part que les préjudices résultant des représailles et des massacres dont les harkis ont été victimes sur le territoire algérien après le
18 mars 1962, qui résultent de choix non détachables de la conduite des relations entre la France et l'Algérie, ne sauraient engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement de la faute, l'erreur susceptible d'avoir été commise par le tribunal sur ces points ne relève pas de la régularité du jugement mais de son bien-fondé. Ainsi donc, le jugement attaqué n'est pas entaché d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement :
Sur la faute commise par l'Etat en ne protégeant pas les harkis contre les violences subies par eux en Algérie :
3. Mme A... soutient que les sévices et les mauvais traitements subis par son père en Algérie, après le 8 juillet 1962 jusqu'à ce qu'il ait pu quitter le territoire de cet Etat ont été rendus possibles par les choix des autorités françaises d'abandonner les hommes qui s'étaient battus pour lui. Cependant, les préjudices physiques, matériels et moraux qui en ont résulté pour lui ne sont pas détachables de la conduite des relations entre la France et l'Algérie et ne sauraient par suite engager la responsabilité de l'État sur le fondement de la faute. Mme A... ne saurait dès lors rechercher la réparation de préjudices liés à l'absence d'intervention de la France en Algérie pour protéger les anciens supplétifs de l'armée française.
Sur la faute commise par l'Etat en n'assurant pas aux harkis et à leurs familles installés en France un accueil et des conditions de vie décentes :
4. Si Mme A... fait état de la situation d'abandon dans laquelle son père a été laissé dès qu'il a été en mesure de rejoindre le territoire français, des difficultés rencontrées par sa famille quand elle a pu le rejoindre en France, des manifestations d'hostilité et les propos racistes de la part de certains individus, des conditions de vie difficile, de l'impossibilité de bénéficier d'une scolarité normale, de la perte de chance d'obtenir des conditions d'existence meilleures, de l'impossibilité dans laquelle sa famille s'est trouvée de solliciter ou d'obtenir les aides spécifiques créées par le législateur au bénéfice des rapatriés, elle ne produit à l'appui de ses dires que le récit de son existence. Ce récit, qui n'est pas assorti du moindre élément justificatif, est insuffisant pour permettre à la Cour de déterminer les conditions précises dans lesquelles
M. A... et sa famille ont vécu après leur arrivée en France, la durée de leur situation de précarité et d'apprécier l'existence d'une faute de l'Etat et l'étendue des préjudices pour lesquels Mme A... demande réparation. En l'absence de faute dont la réalité serait établie par les pièces du dossier, la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée.
5. Par ailleurs et pour le surplus, plusieurs lois ont été adoptées en vue d'améliorer la situation des rapatriés d'Algérie, de les indemniser pour la perte de leurs biens et pour réparer les préjudices particuliers subis par les membres des forces supplétives. La circonstance que
M. A... et sa famille n'auraient pas bénéficié de ces lois dont ils auraient ignoré l'existence ne saurait en elle-même engager la responsabilité de l'Etat sur le terrain de la faute. La circonstance que des propositions de loi tendant à reconnaitre la responsabilité de l'Etat dans l'abandon des harkis et à leur accorder une indemnisation complémentaire de leurs préjudices, déposées en 2015 et en 2016, n'auraient pas abouti ne saurait ouvrir droit à une indemnité réparatrice de ses préjudices matériels et moraux.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception de prescription quadriennale soulevée par le ministre et sur la fin de non-recevoir tirée du caractère nouveau en appel de certaines conclusions aux fins d'indemnisation, que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que Mme A... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt notifié à Mme B... A... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 19 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- M. D..., premier vice-président,
- M. C..., président-assesseur,
- Mme Mornet, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 février 2021.
Le rapporteur,
Ch. C...Le président,
M. D...
Le greffier,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 20PA02552