Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 4 septembre 2020, M. E..., représenté par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Polynésie française du 16 juin 2020 ;
2°) d'annuler la décision du 1 er juillet 2019 autorisant son licenciement ;
3°) de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les faits qui lui ont été reprochés reposent sur un procédé illicite d'administration de la preuve ; le tribunal n'a pas répondu à tous les moyens qu'il avait soulevés à cet égard ;
- il n'a fait l'objet d'aucune poursuite devant une juridiction répressive ; la composition pénale n'a pas abouti puisqu'il n'a pas reconnu les faits ;
- le procès-verbal de la douane ne retient pas l'existence d'une fraude et aucune procédure n'a été ouverte par le service des douanes ;
- la matérialité des faits qui lui sont reprochés n'est pas établie : les bouteilles étaient placées dans les bagages de sa mère et non dans les siens ; il a présenté deux factures qui expliquent la présence des deux bouteilles de champagne ; Air France n'établit pas que les bouteilles de champagne et de whisky trouvées dans les valises de sa mère auraient été celles manquantes dans l'avion ; il est d'usage que la famille des membres de l'équipage reçoive parfois quelques mignonnettes d'alcool et des trousses de toilettes ;
- la valeur totale des marchandises inventoriées par la responsable de secteur " personnel navigant commercial " de la base de Papeete s'élève à environ 150 euros ;
- compte tenu de la valeur minime des marchandises en litige, il n'a pas commis une faute d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2020, la société Air France, représentée par la SELARL MDLC conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 300 000 francs Pacifique soit mise à la charge de M. E... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le moyen tiré du caractère illicite du mode d'administration de la preuve est inopérant ;
- les bouteilles d'alcool ont été irrégulièrement soustraites et le requérant a fabriqué des justificatifs pour dissimuler son larcin ;
- le manquement au devoir d'exemplarité et de probité justifie le licenciement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 décembre 2020, la Polynésie française, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. E... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les preuves ont été recueillies au terme d'une procédure exempte de déloyauté ;
- les faits sont établis et le requérant a manqué à son devoir d'exemplarité.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail de la Polynésie française,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bernier, président-assesseur,
- et les conclusions de Mme Pena, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., recruté en 1999 comme steward par la compagnie Air France, occupait depuis 2007 les fonctions de chef de cabine. Il a été élu membre titulaire du comité d'entreprise le 12 avril 2018. Le 10 mai 2019, son employeur a saisi l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement de M. E... pour des faits de détournement de bouteilles d'alcool en cabine. L'inspectrice du travail a fait droit à cette demande le 1er juillet 2019. M. E... relève appel du jugement du 16 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande d'annulation de la décision de l'inspectrice du travail.
Sur la régularité du jugement :
2. Le tribunal administratif, qui a répondu à tous les moyens soulevés devant lui, a suffisamment motivé son jugement qui n'est pas entaché d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article LP 2511 du code du travail de la Polynésie française, en vigueur à la date de la décision attaquée : " L'inspecteur du travail et, le cas échéant, l'autorité compétente pour l'examen du recours hiérarchique examinent notamment si la mesure de licenciement envisagée est en rapport avec le mandat détenu, brigué ou antérieurement exercé par l'intéressé. ". Aux termes de l'article LP 1225-1 du même code : " En cas de litige, le juge (...) forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et, au besoin, après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié ".
4. En vertu des dispositions précitées du code du travail de la Polynésie française, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives ou de fonctions de conseiller prud'homme, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Un agissement du salarié intervenu en-dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat. Enfin, il résulte des dispositions de l'article LP. 1225-1 du code du travail que, lorsqu'un doute subsiste au terme de l'instruction diligentée par le juge sur l'exactitude matérielle des faits à la base des griefs formulés par l'employeur contre le salarié, ce doute profite au salarié.
5. M. E..., après avoir effectué un vol à bord d'un appareil de son employeur en tant que personnel navigant entre Los Angeles et Tahiti-Faa'a, a fait l'objet à son arrivée, le 29 mars 2019, d'un contrôle du service des douanes basé dans l'aéroport, qui a concerné l'ensemble des membres d'équipage ainsi que deux accompagnants de ce personnel, dont Mme A... E..., mère du requérant. Ce contrôle a consisté en un contrôle des bagages de chacune de ces personnes, une fouille à corps et une analyse médicale destinée à rechercher des produits stupéfiants. A l'occasion de la fouille de ces bagages, Mme G..., chef de cabine principale, qui était la supérieure hiérarchique directe de M. E..., a constaté la présence dans les bagages de la mère du requérant de deux bouteilles de champagne de marque Heidsieck, d'une bouteille de whisky de marque Jack's Daniel, de deux petites bouteilles de vin rouge d'une contenance de 25 cl, de seize mignonettes de cognac d'une contenance de 3 cl, d'une mignonette de Scotch Label d'une contenance de 5 cl, et de trois mignonettes de vinaigrette d'une contenance de 3 cl et de deux trousses de confort business jamais utilisées. Elle en a fait rapport à sa hiérarchie. La compagnie Air France, qui a considéré que ces produits lui avaient été subtilisés par M. E..., a sollicité à l'inspection du travail, qui a fait droit à cette demande, l'autorisation de licencier son salarié.
6. La société Air France a fait valoir qu'une bouteille de whisky de la marque Jack's Daniel d'une contenance de 35 cl, déjà entamée, avait été trouvée dans les bagages de Mme E... alors qu'une bouteille de ce type manquait lors de l'inventaire du bar de la cabine business de l'appareil d'Air France. Cependant, les documents photographiques produits au dossier ne permettent pas de déterminer avec certitude la contenance de la bouteille trouvée dans les bagages alors que M. E... produit une facture dont il peut se déduire qu'il a acheté une bouteille de Jack's Daniels de 75 cl lors d'une escale à Los Angeles. Par ailleurs, l'employeur ne justifie pas du type de bouteille et de la marque de whisky servie aux passagers. Dans ces conditions, le détournement de cet alcool ne saurait être tenu pour établi.
7. Si la société Air France fait valoir que les deux bouteilles de champagne de marque Heidsieck auraient été également détournées, il ressort des pièces du dossier que ce type de vin n'a été servi aux passagers que de juin à octobre 2018, et que lui ont été substitués un champagne Canard -Duchêne de novembre 2018 à février 2019, puis à partir de mars 2019 un champagne Chassenay d'Arce. Il ne saurait dès lors être tenu pour établi que le champagne Heidsieck aurait été encore servi aux passagers en juin 2019. Par ailleurs, les bagages de la mère du requérant contenaient d'autres bouteilles de vins dont il n'a jamais été soutenu qu'elles auraient toutes appartenu à la compagnie Air France. Dans ces conditions, et alors même que M. E... a cru à tort que sa cause serait confortée par la production tardive d'une facture d'achat d'authenticité très douteuse, il ne saurait être tenu pour certain que les deux bouteilles litigieuses, dont l'une était fraiche et l'autre tiède, auraient été subtilisées du réfrigérateur de la compagnie.
8. Les deux petites bouteilles de vin rouge d'une contenance de 25 cl et d'une mignonette de Scotch Label d'une contenance de 5 cl peuvent avoir été servies au moment du repas à la mère du requérant qui ne les a pas consommées, et leur présence dans ses bagages ne caractérise pas un détournement.
9. En revanche, il n'est pas sérieusement contesté que les seize mignonettes de cognac d'une contenance de 3 cl, les trois mignonettes de vinaigrette d'une contenance de 3 cl et les deux trousses de confort business jamais utilisées ont été prélevées par M. E... sur les produits destinés aux passagers et détournées pour un usage privatif et familial. Si cette indélicatesse présente un caractère indiscutablement fautif, pouvant justifier une sanction disciplinaire, elle n'était pas d'une gravité suffisante, eu égard notamment à la valeur minime de ce détournement, à l'existence de pratiques parfois tolérées par les compagnies aériennes au bénéfice de leurs employés, à l'ancienneté de M. E... dans son emploi et à l'absence de tout précédent disciplinaire, pour justifier le licenciement de l'intéressé.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 1er juillet 2019 autorisant son licenciement.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Polynésie française la somme que demande M. E... sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions que la Polynésie française et la société Air France présentent à ce titre.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 16 juin 2020 du tribunal administratif de la Polynésie française et la décision du 1er juillet 2019 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé la compagnie Air France à licencier M. E... sont annulés.
Article 2 : Les conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... E..., à la compagnie Air France et à la Polynésie française.
Délibéré après l'audience du 19 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- M. B..., premier vice-président,
- M. Bernier, président-assesseur,
- Mme Mornet, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 février 2021.
Le rapporteur,
Ch. BERNIERLe président,
M. B...
Le greffier,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne au ministre des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 20PA02560