Procédure devant la cour :
Par une requête et trois mémoires enregistrés les 2 juillet 2020, 25 novembre 2020, 22 décembre 2020 et 9 février 2021, la société Veolia Eau d'Île-de-France, représentée par Me C..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de rejeter les demandes de première instance ainsi que les conclusions d'appel des sociétés Choisy Laur et Laurethane ;
3°) de mettre à la charge des sociétés Choisy Laur et Laurethane la somme de 2 500 euros chacune au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'ordonnance attaquée a été prise en violation du principe d'égalité des armes, dès lors que le constat d'huissier et le rapport d'expertise produits par les sociétés Choisy Laur et Laurethane n'ont pas été établis de manière contradictoire ; le premier juge a ainsi violé l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, alors par ailleurs qu'il n'a pas retenu le rapport de Ciblexperts du fait de son caractère non contradictoire ;
- c'est à tort que le premier juge a estimé que les sociétés Choisy Laur et Laurethane démontraient l'existence d'une obligation non sérieusement contestable ; le lien de causalité entre la fuite d'une canalisation d'eau potable et les désordres dont elles demandent réparation n'est pas établi par le constat d'huissier, ni par le rapport d'expertise du cabinet Texa ;
- l'obligation dont se prévalent les sociétés est sérieusement contestable dans son montant ; la nécessité de réparer les armoires frigorifiques du fait du sinistre n'est pas démontrée et le coût de cette réparation est surévalué ; les sociétés Choisy Laur et Laurethane n'établissent pas que la caisse enregistreuse, l'onduleur électrique, les gondoles et les étiquettes devaient être changés en raison d'infiltrations d'eau causées par l'inondation ; le lien de causalité entre la perte de marchandises, dont une partie aurait en tout état de cause été détruite du fait de sa péremption, et l'inondation n'est pas établi ; la perte de marge brute ne saurait être indemnisée sur une période excédant dix jours.
Par trois mémoires enregistrés les 19 novembre 2020, 8 décembre 2020 et 22 décembre 2020, les sociétés Choisy Laur et Laurethane, représentées par Me D..., concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 9 646,51 euros soit mise à la charge de la société Veolia Eau d'Île-de-France sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
La clôture de l'instruction est intervenue le 26 février 2021.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,
- les observations de Me E..., représentant la société Veolia Eau d'Île-de-France,
- et les observations de Me A..., représentant les sociétés Choisy Laur et Laurethane.
Considérant ce qui suit :
1. Le 5 mars 2018 est survenue une fuite sur une canalisation du réseau de distribution d'eau géré par la société Veolia Eau d'Île-de-France, à Choisy-le-Roi. Les sociétés Choisy Laur, propriétaire d'un fonds de commerce, et Laurethane, locataire gérante d'un magasin à l'enseigne Franprix, ont demandé à la société Véolia Eau d'Île-de-France, par courrier reçu le 5 avril 2018, d'indemniser les préjudices qu'elles ont subis du fait de l'inondation consécutive à cette fuite mais cette demande a été rejetée. La société Veolia Eau d'Île-de-France relève appel de l'ordonnance du 30 avril 2020 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Melun l'a condamnée à verser aux sociétés Choisy Laur et Laurethane, à titre provisionnel, les sommes respectives de 34 780 euros et de 202 000 euros.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. La société Veolia Eau d'Île-de-France soutient que l'ordonnance attaquée a été rendue au terme d'une procédure non contradictoire, en méconnaissance du droit au procès équitable garanti par les stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il n'est toutefois pas contesté que l'ensemble des pièces sur lesquelles s'est fondé le premier juge a été communiqué aux parties. Par ailleurs, la circonstance que le constat d'huissier et le rapport d'expertise produits par les sociétés Choisy Laur et Laurethane en première instance n'ont pas été établis en sa présence ne saurait entacher l'ordonnance d'irrégularité, dès lors que ces éléments lui ont été communiqués et qu'elle a pu utilement les contester. Si, enfin, la requérante fait valoir que le juge des référés du tribunal n'a pas tenu compte du rapport produit par son cabinet d'expertise, Ciblexperts, au motif qu'il n'aurait pas été établi de manière contradictoire, il résulte des termes mêmes de l'ordonnance que le premier juge a seulement estimé que ce document était peu probant dès lors que l'expert qui l'a rédigé, à la différence de l'huissier, ne s'était pas rendu sur les lieux du sinistre. Au demeurant, cette contestation porte sur le bien-fondé de l'appréciation du juge du référé dont l'ordonnance n'est pas entachée d'irrégularité.
Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :
3. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ".
4. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel.
S'agissant du lien de causalité et de la responsabilité :
5. Il résulte de l'instruction, et il n'est pas contesté par la société requérante, que l'inondation survenue le 5 mars 2018 à Choisy-le-Roi à l'angle des avenues Victor Hugo et d'Alfortville, a eu pour origine un déboitement de canalisation du réseau de distribution d'eau géré par la société Veolia Eau d'Île-de-France. Il ressort du constat rédigé par l'huissier qui s'est rendu sur les lieux quatre heures seulement après le début de l'inondation, ainsi que d'un rapport du 14 mars 2018 du cabinet Texa, mandaté par l'assureur des sociétés Choisy Laur et Laurethane que le magasin Franprix, situé 6 avenue Victor Hugo, à proximité immédiate des canalisations qui s'étaient déboitées, a été envahi le 5 mars 2018 au matin par 30 centimètres d'eaux boueuses, comme l'ont été au demeurant la voie publique faisant face à ce commerce et le rez-de-chaussée des immeubles environnants, l'ampleur des désordres affectant le magasin et ses abords étant attestée par de très nombreuses photographies. Si la société Véolia fait valoir que le lien de causalité entre la rupture de canalisation et l'inondation du magasin n'est pas établi avec une absolue certitude, car ni l'huissier ni l'expert d'assurance n'avaient compétence pour se prononcer sur cette question et elle n'a pas été associée à leurs opérations, cette causalité se déduit nécessairement d'une part de l'exacte concomitance entre les deux événements, d'autre part de l'emplacement du magasin situé dans la zone d'inondation, et enfin de l'attitude de la société Véolia elle-même qui a mandaté la société de pompage Polygon pour procéder au pompage et au nettoyage des commerces affectés par l'inondation, dont celui de la société Franprix, et qui a invité par voie de presse les victimes à la contacter. Si la société Veolia Eau d'Île-de-France se réfère à une note technique rédigée le 23 juillet 2019 par son cabinet d'expertise, Ciblexperts, cette étude qui se borne à contester le chiffrage des prétentions des sociétés Choisy Laur et Laurethane ne contient aucun élément susceptible de remettre en cause l'origine de l'inondation et la responsabilité de la société requérante dans les désordres. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que la société Polygon, qui a procédé au pompage et au nettoyage des locaux pour le compte de la société Véolia, aurait fait part à son mandataire de doutes sur le lien entre la rupture de la canalisation et l'inondation du magasin Franprix. Dans ces conditions, l'obligation dont se prévalent les sociétés Choisy Laur et Laurethane, tiers à l'ouvrage en cause, du fait des dommages causés par l'inondation imputable à la société requérante, présente le caractère non sérieusement contestable exigé par les dispositions précitées de l'article R. 541-1 du code de justice administrative.
S'agissant de l'évaluation des préjudices :
6. Il résulte de l'instruction, notamment de devis, de factures et de bons de commandes produits par les sociétés Choisy Laur et Laurethane, que les sociétés Choisy Laur et Laurethane ont exposé des frais pour le remplacement de la caisse enregistreuse du magasin Franprix, la réparation des dommages subis par les armoires réfrigérées, et le remplacement des gondoles. Si, pour contester le montant des réparations sur le matériel, notamment électrique, dont la nécessité n'est pas contestable ni au demeurant contestée par des arguments sérieux, la société Véolia Eau d'Île-de-France se réfère aux remarques contenues dans la note technique Ciblexperts, ces observations présentent un caractère sommaire et ne sont pas de nature à remettre en cause le choix fait par la société Franprix de remplacer sa caisse enregistreuse dont le système électrique avait été affecté par les eaux, et les étiquettes endommagées par l'humidité, de procéder à la réparation du matériel de conservation par le froid existant en vue de permettre le réouverture à bref délai du magasin plutôt que de le remplacer par des équipements neufs, à commander. Par ailleurs, les indications chiffrées contenues dans cette note technique ne sont justifiées par aucun élément susceptible d'établir que les frais de réparation engagés par les sociétés victimes de l'inondation auraient été sans lien avec le sinistre, inutiles, somptuaires ou surfacturés. S'agissant des marchandises et produits alimentaires gâtés par l'inondation, que l'expert a chiffrés à 188 053,60 euros HT, tandis que la société Texa, mandatée par l'assureur des sociétés Choisy Laur et Laurethane, les a évalués à la somme de 140 349 euros, leur détérioration irrémédiable est exclusivement imputable au contact avec les eaux boueuses ou à la rupture de la chaine du froid qui les rendaient impropres à la consommation. Les pertes correspondantes doivent donc être intégralement mises à la charge de la société Véolia sans qu'il y ait lieu de leur appliquer un " taux de casse " correspondant à l'hypothèse d'un retrait des biens alimentaires qui n'auraient pas été vendus à la date de péremption. Enfin, les réparations et remises en ordre exigées par le sinistre ont contraint ces sociétés à la fermeture du magasin durant seize jours, du 5 au 21 mars 2018. Si la société requérante, qui ne conteste pas le taux de marge brute retenu pour évaluer le préjudice subi, estime que dix jours de fermeture auraient suffi, elle se fonde pour cela sur les estimations assez péremptoires du cabinet Ciblexperts, sans qu'il résulte de l'instruction que les sociétés victimes de l'inondation auraient, de quelque manière que ce soit, tardé à réparer le matériel, à rétablir les conditions d'hygiène et de salubrité exigées d'un commerce alimentaire et à reconstituer un stock de marchandises mis à la benne après l'envahissement des eaux.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la société Veolia Eau d'Île-de-France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Melun l'a condamnée à verser aux sociétés Choisy Laur et Laurethane, à titre provisionnel, les sommes respectives de 34 780 euros et de 202 000 euros.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge des sociétés Choisy Laur et Laurethane, qui ne sont pas parties perdantes dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la société Veolia Eau d'Île-de-France et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière le versement de la somme de 1 000 euros à chacune des deux sociétés Choisy Laur et Laurethane, sur le fondement des mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Veolia Eau d'Île-de-France est rejetée.
Article 2 : La société Veolia Eau d'Île-de-France versera la somme de 1 000 euros à chacune des deux sociétés Choisy Laur et Laurethane, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Veolia Eau d'Île-de-France, à la société Choisy Laur et à la société Laurethane.
Délibéré après l'audience du 18 mai 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Jayer, premier conseiller,
- Mme B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juin 2021.
Le rapporteur,
G. B...Le président de la formation de jugement,
Ch. BERNIER
Le greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne au préfet du Val-de-Marne, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA01602