Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 1er juin 2020, M. A... représenté par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Melun du 7 février 2020 ;
2°) de condamner la société du Grand Paris à lui verser la somme de 300 000 euros au titre de la perte de chance de vente du fonds ou, à défaut, la somme de 240 000 euros au titre de la perte de valeur de son fonds avant et après travaux ;
3°) de condamner la société du Grand Paris à lui verser les sommes de 38 000 euros et 10 000 euros correspondant à la perte de son compte courant et à son apport au titre du capital social et d'assortir cette somme des intérêts au taux légal et de leur capitalisation à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de la société du Grand Paris à la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le refus de la société du Grand Paris d'indemniser la société pharmacie A..., dont il était le gérant, des préjudices qu'elle a subis à la suite de la réalisation des travaux de la ligne 15 du métro présente un caractère fautif ;
- ce refus d'indemnisation est la cause de la liquidation de la société ;
- son préjudice en sa qualité d'associé unique, doit être évalué à la somme de 300 000 euros au titre de la perte de chance de vendre son fonds de commerce ou, à défaut, à 240 000 euros au titre de la perte de valeur de son fonds de commerce ; s'y ajoutent la somme de 38 000 euros correspondant à la perte de son compte courant et la somme de 10 000 correspondant à un apport de capital social ;
- les gênes et nuisances occasionnés par les travaux, ont excédé celles que les riverains des voies publiques sont normalement tenus de supporter et ont entrainé une baisse sensible de son activité et notamment une baisse de sa marge ;
- son préjudice est anormal et spécial ;
- l'officine de pharmacie n'est pas un commerce comme un autre.
Par un mémoire enregistré le 7 décembre 2020, la société du Grand Paris représentée par la SELARL Le Sourd Desforges, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de M. A... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant la société du Grand Paris.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., dont la pharmacie " La Fourchette " était située au 36 avenue Salengro à Champigny-sur-Marne a demandé, une première fois, à la commission d'indemnisation amiable mise en place par la société du Grand Paris de l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des travaux de la ligne 15 du Grand Paris Express. Cette première demande a été rejetée par une décision du 2 mars 2016. Une seconde demande présentée le 15 novembre 2016 ayant été implicitement rejetée, M. A... a fermé son officine le 3 février 2017 et sa société a été mise en liquidation judiciaire le 3 avril 2017. M. A... relève appel du jugement du
8 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à ce que la société du Grand Paris soit condamnée à l'indemniser des préjudices qu'il impute à la gêne causée par ces travaux.
Sur la responsabilité :
2. La responsabilité du maître de l'ouvrage est engagée, même sans faute, à raison des dommages que l'ouvrage public dont il a la garde peut causer aux tiers. Il appartient toutefois au riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers d'établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués, et, d'autre part, le caractère anormal et spécial de son préjudice, les riverains des voies publiques étant tenus de supporter, sans contrepartie, les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général. Si en principe, les modifications apportées à la circulation générale et résultant soit de changements effectués dans l'assiette, la direction ou l'aménagement des voies publiques, soit de la création de voies nouvelles, ne sont pas de nature à ouvrir droit à indemnité, il en va autrement dans le cas où ces modifications ont pour conséquence d'interdire ou de rendre excessivement difficile l'accès des riverains à la voie publique.
3. M. A... soutient que les nuisances liées aux restrictions de circulation ont excédé celles que les riverains des voies publiques sont normalement tenus de supporter et que la baisse sensible de son activité consécutive aux travaux est à l'origine de la déconfiture de son officine.
4. Cependant, il résulte de l'instruction que la baisse du chiffre d'affaires de son officine, passé de 1 040 864 euros en 2012, à 950 035 euros en 2013, à 954 147 euros en 2014, à 882 058 euros en 2015 et à 879 573 euros en 2016 s'inscrit dans un tendance longue, indépendante des travaux, qui peut tenir aux difficultés du secteur ainsi que l'admet le requérant lui-même, mais aussi à la sociologie du quartier, aux choix de la clientèle ou aux changements de ses habitudes de consommation, et à la concurrence entre les officines. Cette baisse de la fréquentation de l'officine de M. A... a été lente et assez régulière, elle a débuté bien avant le commencement des travaux en avril 2015, et ceux-ci n'ont au plus contribué qu'à une baisse de 6% de l'activité de la pharmacie. Par ailleurs, l'accès à sa pharmacie n'a pas été rendu impossible par la réalisation des travaux, aucun engin ne se trouvait devant sa devanture, sa visibilité n'a pas été compromise et la suppression de places de stationnement à proximité de son officine a été compensée par la création de nouvelles places à très faible distance. Il n'est pas établi que les pharmacies d'officine, dont la clientèle est généralement constituée d'habitants du quartier fidèles à leurs habitudes plutôt que de clients de passage ou d'occasion, serait plus que d'autres commerces sensibles aux gênes occasionnées par des travaux sur la voie publique et qu'elles justifieraient d'une problématique qui leur serait particulière. Si les pertes d'exploitation se sont aggravées dans les derniers mois d'existence de l'officine, le lien entre des difficultés financières, la baisse très modérée de la fréquentation que reflète l'évolution du chiffre d'affaires et les travaux eux-mêmes n'est pas établi. Ainsi, c'est à bon droit que la société du Grand Paris, qui ce faisant n'a commis aucune faute, a refusé de verser à M. A..., dont le préjudice n'était pas au demeurant anormal et spécial, l'indemnisation qu'il réclamait sur le fondement de l'égalité devant les charges publiques.
5. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a refusé de lui accorder une indemnisation.
Sur les frais liés au litige :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mis à la charge de la société du Grand Paris, qui n'est pas la partie perdante, les frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions présentées par la société du Grand Paris sur le fondement de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société du Grand Paris sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... A... et à la société du Grand Paris.
Copie en sera adressée pour information au préfet de Paris, préfet de la région Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 2 février 2021, à laquelle siégeaient :
- M. C..., premier vice-président,
- M. B..., président-assesseur,
- Mme Jayer, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 février 2021.
Le rapporteur,
Ch. B...Le président,
M. C...Le greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire et au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui les concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 20PA01380