Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 26 décembre 2018, et un mémoire enregistré le
7 mai 2019, M. A...B..., représenté par MeD..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de police du 20 février 2018 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. B...soutient que :
- l'arrêté est insuffisamment motivé ;
- seules les dispositions de l'article L. 521-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile trouvaient à s'appliquer car il justifiait de dix années de résidence régulière ;
- c'est à tort, et en méconnaissance de l'article R. 311-2 1°, que le tribunal administratif a considéré qu'il n'était pas en situation régulière pendant l'année suivant ses dix-huit ans ;
- si la carte de résident a été délivrée dix jours après son dix-neuvième anniversaire, ce léger décalage correspond au temps d'instruction de sa demande et de confection du titre plastifié ;
- l'expulsion relevait donc du ministre de l'intérieur et non du préfet de police ;
- elle n'était au demeurant pas justifiée par une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique ;
- à supposer que s'applique l'article L. 521-1, il ne représente pas une menace grave à l'ordre public ;
- l'arrêté porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale garantie par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire enregistré le 7 mai 2019, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- l'arrêté est suffisamment motivé ;
- M. B...n'apporte pas la preuve de sa résidence effective en France depuis plus de dix ans, les titres de séjour ne suffisant pas à faire foi à cet égard ;
- il représente une menace grave pour l'ordre public ;
- l'arrêté ne porte pas une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bernier,
- les conclusions de Mme Delamarre, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., représentant M.B....
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 20 février 2018, le préfet de police a prononcé l'expulsion de M. B..., ressortissant algérien. M. B...relève appel du jugement du 30 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le moyen tiré de l'erreur de base légale et de l'incompétence du préfet de police :
2. L'arrêté d'expulsion contesté a été pris par le préfet de police sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui dispose que " Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public ". L'article L. 521-2 du même code prévoit que : " Ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion que si cette mesure constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique et sous réserve que les dispositions de l'article L. 521-3 n'y fassent pas obstacle : / (...) 4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant " ; /(...) ".
3. Aux termes de l'article R. 522-1 du code du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile " L'autorité administrative compétente pour prononcer l'expulsion d'un étranger en application de l'article L. 521-1, après accomplissement des formalités prévues à l'article L. 522-1, est (...) à Paris, le préfet de police ". L'article R. 522-2 du même code dispose que : " L'autorité administrative compétente pour prononcer l'expulsion d'un étranger en application des articles L. 521-2 ou L. 521-3 est le ministre de l'intérieur ".
4. Par ailleurs, l'article L. 321-4 du code du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit qu'un titre de circulation pour étranger mineur est délivré de plein droit à l'étranger mineur résidant en France dont au moins l'un des parents est titulaire d'une carte de séjour temporaire, d'une carte de séjour pluriannuelle ou d'une carte de résident. L'article
D. 321-20, alors applicable, du même code dispose que : " Le document de circulation pour étranger mineur est délivré pour une durée de cinq ans, renouvelable. / Toutefois sa validité cesse, et il doit être restitué par son titulaire, lorsque sont expirés les délais prévus aux 1° et 2° de l'article R. 311-2 ou lorsqu'un titre de séjour ou un titre d'identité républicain lui est délivré... ". L'article R. 311-2 1°, qui traite notamment des conditions dans lesquelles sont délivrés les titres de séjour à l'étranger qui séjournait déjà en France lorsqu'il devient majeur, prévoit que : " La demande est présentée par l'intéressé dans les deux mois de son entrée en France. S'il y séjournait déjà, il présente sa demande : / 1° Soit, au plus tard, avant l'expiration de l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, si l'étranger peut obtenir de plein droit un titre de séjour en application soit de l'article L. 313-7-2, soit des 1°, 2°, 2° bis ou 10° de l'article L. 313-11, soit de l'article L. 313-13, soit de l'article L. 313-21, soit de l'article L. 313-24, soit des 8° ou 9° de l'article L. 314-11, soit de l'article L. 314-12 ; (...) ".
5. Il ressort des pièces du dossier que M. B...est entré en France le 6 juin 2004 sous couvert d'une procédure de regroupement familial et qu'il a été muni le 26 janvier 2005 d'un document de circulation pour étranger mineur valable jusqu'à sa majorité, soit le 31 mars 2007. A sa majorité, M. B...tenait des dispositions précitées du 1° de l'article R. 311-2 le droit de résider régulièrement en France, le temps qu'il présente une demande de titre de séjour dans l'année qui suivrait ses dix-huit ans. Il était donc, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Paris en situation régulière entre le 1er avril 2007 et le 1er avril 2008. Une carte de résident de dix ans, valable jusqu'au 9 avril 2018 lui a été délivré le 10 avril 2008. A la date de l'arrêté d'expulsion, il justifiait donc d'une présence régulière en France d'environ treize ans et sept mois. Si le préfet de police soutient qu'il n'est pas certain que M. B...aurait effectivement résidé en France entre le 6 juin 2004 et le 20 février 2018, les doutes qu'il a exposés pour la première fois en cause d'appel ne se fondent sur aucun élément précis. Il ressort au contraire de l'ensemble des pièces du dossier et notamment des relevés d'infraction et de détention, et des documents relatifs à la situation sociale et à la santé de M.B..., que la continuité de son séjour en France depuis 2004 ne saurait être sérieusement contestée. Si les trois années passées en prison doivent être déduites de cette durée de séjour régulier, M. B...justifiait néanmoins d'un séjour régulier en France de plus de dix ans. Il en résulte qu'il n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mais dans celles du 4° de l'article L. 521-2 de ce même code. Dès lors, le préfet de police n'avait compétence pour prendre une décision qui, en vertu des dispositions de l'article R. 522-2, relevait du ministre de l'intérieur.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
7. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à M. B...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1807494 du tribunal administratif de Paris du 30 novembre 2018 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet de police du 20 février 2018 est annulé.
Article 3 : L'Etat versera à M. B...la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 14 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Bouleau, premier vice-président,
- M. Bernier, président assesseur,
- Mme Pena, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 28 mai 2019.
Le rapporteur,
Ch. BERNIERLe président,
M. BOULEAULe greffier,
A. DUCHER
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
2
N° 18PA04043