Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 15 octobre 2020 et 15 février 2021, le préfet de police demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 16 septembre 2020 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a estimé que son arrêté était entaché d'un défaut d'examen de la situation personnelle de M. A... ;
- les autres moyens soulevés par ce dernier devant le tribunal administratif ne sont pas davantage fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 mars 2021, M. A..., représenté par Me Brocard, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'État au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du
10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le préfet n'a pas procédé à un examen sérieux de sa situation ;
- l'arrêté est insuffisamment motivé.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 janvier 2021 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Paris.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... A..., ressortissant sénégalais né le 19 avril 1991, est entré en France le
9 août 2017 selon ses déclarations. Par un arrêté du 9 juin 2020, le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 16 septembre 2020 dont il est fait appel, le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de police de réexaminer la situation de M. A... dans le délai de deux mois en lui délivrant, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. Pour annuler l'arrêté attaqué, le tribunal administratif a estimé que M. A... devait être regardé comme ayant sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que l'arrêté ne comportait pas la mention d'un examen effectué sur ce fondement. Il ressort toutefois du procès-verbal établi le 9 juin 2020 par l'officier de police judiciaire ayant procédé à l'audition de l'intéressé que celui-ci, qui a déclaré être entré en France afin de demander l'asile, a été interrogé sur l'origine de ses ressources et sur l'existence d'un contrat de travail, et qu'il s'est borné à indiquer " Je souhaite être régularisé. Je n'ai jamais fait aucune bêtise en France ". M. A... n'a ainsi pas fait état de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels d'admission au séjour. Dès lors, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a retenu le moyen tiré d'un défaut d'examen pour annuler l'arrêté contesté.
3. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Paris.
Sur les autres moyens soulevés par M. A... :
4. En premier lieu, Mme C... B..., adjointe au chef de section des reconduites à la frontière à la préfecture de police, a reçu, par arrêté n° 2019-00794 du 27 septembre 2019, régulièrement publié au bulletin municipal officiel de la ville de Paris du 4 octobre 2019, délégation pour signer les décisions portant obligation de quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de cette décision manque en fait et doit être écarté.
5. En deuxième lieu, il ressort des termes de l'arrêté contesté que, pour obliger M. A... à quitter le territoire français, le préfet de police s'est fondé sur les dispositions du 1° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, a retenu que l'intéressé ne justifiait pas être entré régulièrement sur le territoire français et qu'il ne pouvait se prévaloir des dispositions conventionnelles conclues entre le pays dont il est ressortissant et la France portant dispense de visa consulaire. En outre, pour prendre cette décision, le préfet a retenu que, compte tenu des circonstances propres au cas d'espèce, il n'était pas porté une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale. L'arrêté litigieux mentionne dès lors les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation ne peut qu'être écarté.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : a) le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ". Si les dispositions de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne sont pas en elles-mêmes invocables par un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement telle qu'une obligation de quitter le territoire français, celui-ci peut néanmoins utilement faire valoir que le principe général du droit de l'Union européenne, relatif au respect des droits de la défense, impose qu'il soit préalablement entendu et mis à même de présenter toute observation utile sur la mesure d'éloignement envisagée. Toutefois, une atteinte à ce droit n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle la décision défavorable est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision, ce qu'il lui revient, le cas échéant, d'établir devant la juridiction saisie.
7. En l'espèce, il ressort du procès-verbal dressé le 9 juin 2020 par l'officier de police judiciaire ayant procédé à l'audition de M. A..., que la situation de l'intéressé au regard du droit au séjour en France ainsi que la perspective de son éloignement ont été clairement évoquées, de même que son activité professionnelle. En outre, il ne ressort d'aucune autre pièce du dossier et n'est pas même soutenu que M. A... aurait sollicité en vain un entretien avec les services préfectoraux, ni qu'il aurait été empêché de présenter ses observations avant que ne soit pris l'arrêté contesté. Par suite, le moyen tiré de ce qu'il aurait été privé de son droit à être entendu ne peut qu'être écarté.
8. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
9. M A... fait valoir qu'il travaille depuis deux ans pour le même employeur, et qu'il subvient à ses besoins comme à ceux de ses proches qui demeurent au Sénégal. Devant le premier juge, M. A... a notamment produit son contrat à durée indéterminée conclu avec la société Fraka le 2 juillet 2018, ainsi que ses bulletins de paie de juillet 2018 à février 2020. Toutefois, l'entrée en France de M. A... demeure récente. En outre, il ressort des pièces du dossier que la famille de l'intéressé, à qui il a régulièrement transféré de l'argent entre le 20 décembre 2017 et le 7 avril 2020, se trouve dans son pays d'origine, dans lequel il a vécu jusqu'à l'âge de vingt-six ans. Dès lors, dans les circonstances de l'espèce, le préfet de police n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale en l'obligeant à quitter le territoire français et n'a ainsi pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, l'arrêté attaqué n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. A....
10. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du
9 juin 2020. Il y a lieu par suite d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement attaqué et de rejeter les conclusions à fin d'annulation, d'injonction et tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 présentées par M. A... devant le tribunal, ainsi que ses conclusions d'appel.
D É C I D E :
Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2008698/5-3 du 16 septembre 2020 du tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : Les conclusions à fin d'annulation, d'injonction et celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Paris, ainsi que ses conclusions d'appel, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 7 septembre 2021 à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,
- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 septembre 2021.
La rapporteure,
G. D...Le président,
I. LUBENLa greffière,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA02960