Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 avril 2017 et
2 mars 2019, M.B..., représenté par MeC..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de la Polynésie française n° 1600141 du 24 janvier 2017 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 669 794,30 euros, soit 89 926 550 francs CFP, en réparation du préjudice matériel subi du fait de l'illégalité de la décision du 17 avril 2007 par laquelle le directeur général de l'aviation civile a rejeté sa demande tendant à la prolongation de son affectation en Polynésie française au motif qu'il n'y avait pas transféré le centre de ses intérêts moraux et matériels ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 83 300 euros, soit 10 000 000 francs CFP, en réparation du préjudice moral subi du fait de l'illégalité de cette même décision ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision du directeur général de l'aviation civile du 17 avril 2007 rejetant sa demande tendant à la prolongation de son affectation en Polynésie française au motif qu'il n'y avait pas transféré le centre de ses intérêts moraux et matériels a été annulée par un arrêt du Conseil d'Etat du 22 février 2012 ;
- il a été dans l'obligation de demander son placement en disponibilité ce qui lui a occasionné une perte de traitement et de ses accessoires du mois d'août 2007 au mois de juillet 2011, une absence de majoration de son traitement de juillet 2011 à août 2012, ainsi qu'un retard dans le déroulement de sa carrière, qui doivent être indemnisés ;
- il sollicite également la réparation de son préjudice moral en raison de cette période d'instabilité administrative personnelle qui a eu un effet néfaste sur l'état de santé de sa fille.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juin 2017, le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- le décret n° 96-1026 du 26 novembre 1996 relatif à la situation des fonctionnaires de l'Etat et de certains magistrats dans les territoires d'outre-mer de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis et Futuna ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme d'Argenlieu,
- et les conclusions de MmeA....
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., ingénieur des études et de l'exploitation de l'aviation civile, a été affecté au service d'Etat de l'aviation civile en Polynésie française pour exercer les fonctions de délégué à la sûreté, à la facilitation défense et à l'environnement, du 1er août 2003 au 31 juillet 2005, puis jusqu'au 31 juillet 2007 en application des dispositions du décret susvisé du 26 novembre 1996. Il a sollicité la prolongation de son affectation en Polynésie française. Toutefois, cette demande lui a été refusée par une décision du 17 avril 2007 du directeur général de l'aviation civile au motif que l'intéressé n'y avait pas transféré le centre de ses intérêts moraux et matériels. Ne souhaitant pas rentrer en métropole, M. B...a, à sa demande, été placé en disponibilité d'office jusqu'au
1er juillet 2011. M. B...a contesté la décision du 17 avril 2007 devant le Tribunal administratif de la Polynésie française. Cette juridiction a, par un jugement du 18 décembre 2007, rejeté cette demande. Par un arrêt du 22 février 2012, le Conseil d'Etat a annulé ce jugement, ainsi que la décision du 17 avril 2007 au motif que M. B...devait être regardé comme ayant, à la date de cette décision, transféré le centre de ses intérêts matériels et moraux en Polynésie Française.
M. B...a alors adressé à l'Etat une demande tendant à être indemnisé des préjudices matériel et moral résultant de l'illégalité fautive de cette décision du 17 avril 2007. Il n'y a pas été répondu.
M. B...a alors saisi le Tribunal administratif de la Polynésie Française en vue d'obtenir la condamnation de l'Etat à lui verser une somme totale de 89 926 550 francs CFP en réparation des conséquences dommageables de l'illégalité fautive dont était entachée la décision du 17 avril 2007. Par un jugement du 24 janvier 2017, dont l'intéressé fait appel, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté cette demande.
Sur la responsabilité de l'Etat :
2. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public auquel un refus de prolongation d'affectation dans les territoires d'outre-mer de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna a été irrégulièrement opposé, a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente un lien direct de causalité.
En ce qui concerne la faute commise :
3. Aux termes de l'article 1er du décret n° 96-1026 du 26 novembre 1996 relatif à la situation des fonctionnaires de l'Etat et de certains magistrats dans les territoires d'outre-mer de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna : " Le présent décret est applicable, sous réserve des dispositions de l'article 3 ci-après, aux fonctionnaires titulaires et stagiaires de l'Etat, ainsi qu'aux magistrats de l'ordre judiciaire, affectés dans les territoires d'outre-mer de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna, qui sont en position d'activité ou détachés auprès d'une administration ou d'un établissement public de l'Etat dans un emploi conduisant à pension civile ou militaire de retraite. Il ne s'applique ni aux personnels dont le centre des intérêts moraux et matériels se situe dans le territoire où ils exercent leurs fonctions, ni aux membres des corps de l'Etat pour l'administration de la Polynésie française, ni aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale ". Aux termes de l'article 2 de ce même décret : " La durée de l'affectation dans les territoires d'outre-mer de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna est limitée à deux ans. Cette affectation peut être renouvelée une seule fois à l'issue de la première affectation. Une affectation dans l'un des territoires d'outre-mer énumérés au premier alinéa du présent article ne peut être sollicitée qu'à l'issue d'une affectation d'une durée minimale de deux ans hors de ces territoires ou de Mayotte. Toutefois, cette période de deux ans peut être accomplie dans un territoire d'outre-mer distinct du territoire d'affectation ou à Mayotte, si le centre des intérêts moraux et matériels de l'agent se situe dans l'un de ces territoires ou dans cette collectivité ".
4. Le Conseil d'Etat a, par un arrêt du 22 février 2012, annulé la décision du directeur général de l'aviation civile du 17 avril 2007 au motif que cette autorité avait commis une erreur d'appréciation en considérant que M. B...n'avait pas, à la date de cette décision, transféré ses intérêts matériels et moraux en Polynésie française. L'Etat a donc commis une illégalité fautive de nature à engager sa responsabilité.
En ce qui concerne les préjudices subis :
S'agissant du préjudice résultant de la perte de rémunération :
5. En refusant, par la décision du 17 avril 2007, de reconnaître le transfert du centre des intérêts matériels et moraux de M. B...en Polynésie française, l'administration a empêché un renouvellement sur place de l'affectation de l'intéressé. Si cette décision a finalement été annulée par un arrêt du Conseil d'Etat, l'intéressé disposait néanmoins, en avril 2007, d'un droit à retrouver un poste en métropole au sein de la direction générale de l'aviation civile. Il résulte d'ailleurs de l'instruction qu'en septembre 2008, cinq postes situés à Paris lui ont été proposés, et que l'année suivante, il a été invité à présenter sa candidature pour deux autres postes situés à Paris et à Lyon. Toutefois, l'appelant a refusé ces différentes propositions et a demandé à être placé en position de disponibilité jusqu'au 1er juillet 2011, date à laquelle il a réintégré en qualité de chargé de mission le secrétariat général de la DGAC à Paris. Dans ces conditions, la perte de rémunération subie par
M. B...ne peut être regardée comme présentant un lien direct avec la décision illégale
du 17 avril 2007 refusant de reconnaître le transfert du centre de ses intérêts matériels et moraux en Polynésie française, mais comme résultant de son choix de demander une mise en disponibilité pour convenances personnelles. Par suite, ce préjudice matériel ne saurait être indemnisé.
S'agissant du préjudice résultant du coût des frais de déménagement et de réinstallation à Paris :
6. Le refus de reconnaître le transfert des intérêts matériels et moraux de M. B...en Polynésie française a nécessairement eu pour effet d'interdire un renouvellement sur place de l'affectation de l'intéressé. Il a ainsi été contraint à rentrer en métropole pour poursuivre sa carrière. Par suite, le préjudice matériel découlant des frais générés par ce retour doit être regardé comme en lien direct avec la décision illégale du 17 avril 2007. Toutefois, M. B...n'établissant pas la réalité de ce préjudice, il ne saurait par suite être indemnisé.
S'agissant du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence :
7. Le refus illégal de reconnaître le transfert des intérêts matériels et moraux a nécessairement placé M. B...devant l'obligation d'effectuer un choix entre une mise en disponibilité afin de préserver sa vie privée outre-mer et un retour en métropole, à un moment où sa fille cadette, dont le médecin traitant avait indiqué qu'un déménagement aurait un impact négatif sur son état de santé, rencontrait de graves problèmes médicaux. Dans ces conditions, et compte tenu notamment des quatre années environ durant lesquelles M. B...est resté en disponibilité, cette décision fautive a directement généré pour lui un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence, qui seront évalués dans le cadre d'une juste appréciation à la somme de 7 000 euros.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à être indemnisé du préjudice moral résultant de l'illégalité de la décision du 17 avril 2007.
Sur les frais de justice :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à M. B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de la Polynésie française n° 1600141 du 24 janvier 2017 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. B...une indemnité de 7 000 (sept mille) euros.
Article 3 : L'Etat versera à M. B...une somme de 2 000 (deux mille) euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...B...et à la ministre auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
Délibéré après l'audience du 12 mars 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Even, président de chambre,
- Mme Hamon, président assesseur,
- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 1er avril 2019.
Le rapporteur,
L. d'ARGENLIEU
Le président,
B. EVENLe greffier,
I. BEDR
La République mande et ordonne à la ministre auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports, en ce qui la concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 17PA01374