Procédure devant la Cour :
I°/ Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 10 novembre 2020 et le 28 avril 2021 sous le n° 20PA03305, le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la décision litigieuse était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, alors que la vulnérabilité de l'intéressé est établie du fait de sa proximité personnelle et professionnelle avec les autorités militaires et diplomatiques d'une puissance étrangère ;
- les autres moyens de la requête de première instance ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 15 mars 2021 et le 12 mai 2021, M. B..., représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
II°/ Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 10 novembre 2020 et le 29 avril 2021 sous le n° 20PA03306, le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale demande à la Cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du 8 octobre 2020 du Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que les conditions fixées par l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont remplies.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 mars 2021, M. B... conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale ;
- la décision du Conseil du 23 septembre 2013 concernant les règles de sécurité aux fins de la protection des informations classifiées de l'Union européenne ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'arrêté du premier ministre du 30 novembre 2011 portant approbation de l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,
- les observations de Me F... pour M. B...,
- et les observations de M. G... pour le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., conseiller en coopération judiciaire au département des opérations X... depuis le 1er janvier 2018, a présenté le 12 janvier 2018 une demande d'habilitation secret-défense auprès de la secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale. Le 11 octobre 2018, celle-ci a rendu un avis défavorable à l'habilitation demandée. M. B... a alors formé un recours gracieux contre cet avis le 21 décembre 2018, qui a été rejeté le 23 janvier 2019. M. B... a alors saisi le Tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation de ces deux décisions. Le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale relève appel du jugement du 8 octobre 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé les décisions attaquées, lui a enjoint de réexaminer la situation de M. B... dans un délai d'un mois et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur le motif d'annulation retenu par le premier juge :
2. La décision du Conseil du 23 septembre 2013 concernant les règles de sécurité aux fins de la protection des informations classifiées de l'Union européenne (ICUE) soumet l'accès à ces informations à l'obtention préalable d'une habilitation de sécurité. Le point 18 de l'annexe I de cette décision, relative aux mesures de sécurité concernant le personnel dispose : " A l'issue de l'enquête de sécurité, l'ANS notifie à l'autorité de sécurité du SGC les conclusions de l'enquête en question, à l'aide du modèle-type prévu par le comité de sécurité pour la correspondance. / (...) b) Lorsque, à l'issue de l'enquête de sécurité, on n'obtient pas [l'assurance qu'il n'existe pas de renseignements défavorables de nature à mettre en doute la loyauté, l'intégrité et la fiabilité de l'intéressé], l'autorité investie du pouvoir de nomination (AIPN) du SGC en informe l'intéressé, qui peut demander à être entendu par l'AIPN. Celle-ci peut demander à l'ANS compétente tout éclaircissement complémentaire qu'elle est en mesure de donner conformément à ses dispositions législatives et réglementaires nationales. En cas de confirmation des résultats, il n'est pas accordé d'autorisation aux fins de l'accès à des ICUE ". Le point 19 de cette même annexe précise : " L'enquête de sécurité et ses résultats obéissent aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur dans l'État membre concerné, y compris celles relatives aux recours ". Aux termes de l'article 24 de l'instruction générale interministérielle n° 1300 du 30 novembre 2011 sur la protection du secret de la défense nationale : " L'enquête de sécurité menée dans le cadre de la procédure d'habilitation est une enquête administrative permettant de déceler chez le candidat d'éventuelles vulnérabilités (...) L'enquête administrative est fondée sur des critères objectifs permettant de déterminer si l'intéressé, par son comportement ou par son environnement proche, présente une vulnérabilité, soit parce qu'il constitue lui-même une menace pour le secret, soit parce qu'il se trouve exposé à un risque de chantage ou de pressions pouvant mettre en péril les intérêts de l'Etat, chantage ou pressions exercés par un service étranger de renseignement, un groupe terroriste, une organisation ou une personne se livrant à des activités subversives ".
3. Il ressort des pièces du dossier que pour émettre un avis de sécurité défavorable, la secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale s'est fondée sur la proximité personnelle et professionnelle de M. B... avec des autorités militaires et diplomatiques israéliennes, et notamment sur le fait qu'il a exercé des fonctions au parquet général militaire de l'Etat d'Israël, comme juriste puis comme procureur militaire en Judée et au département international du ministère de la justice israélien, qu'il est toujours réserviste de l'armée israélienne, qu'il se rend régulièrement en Israël où réside sa famille proche et où il est propriétaire de deux appartements, qu'il entretient des liens personnels avec des militaires, avocats, juges et représentants diplomatiques israéliens en poste à La Haye et qu'il est membre actif de l'organisation non gouvernementaleT..., qu'il a créée en 2010 et qui a pour but de promouvoir le droit humanitaire dans la société israélienne. Si M. B... établit qu'il n'est plus réserviste de l'armée israélienne, il n'apporte toutefois pas la preuve de l'inexactitude des autres faits qui permettent, à eux-seuls, d'établir qu'il se trouve exposé à un risque de chantage ou de pressions pouvant mettre en péril les intérêts de l'Etat. S'il fait valoir que sa conduite professionnelle a toujours été irréprochable, qu'il a eu à connaître de données sensibles dans le cadre de ses précédents postes et qu'il a exercé pendant plusieurs années le métier d'avocat, ces circonstances sont sans incidence sur l'appréciation de sa vulnérabilité. Dans ces conditions, la secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation de la vulnérabilité de l'intéressé.
4. Il résulte de ce qui précède que le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont accueilli ce moyen pour annuler la décision litigieuse du 11 octobre 2018. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le Tribunal administratif de Paris et devant la Cour.
Sur les autres moyens :
5. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2311-10 du code de la défense : " Sous l'autorité du Premier ministre, la secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale est chargé d'étudier, de prescrire et de coordonner sur le plan interministériel les mesures propres à assurer la protection des secrets intéressant la défense nationale. Il a qualité d'autorité nationale de sécurité pour le secret de la défense nationale, pour l'application des accords et traités internationaux prévoyant une telle autorité. (...) ". Aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du gouvernement " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : / 2° Les (...) sous-directeurs (...) ".
6. Mme D... E..., nommée sous-directrice en charge de la protection et de la sécurité de la défense nationale à la direction de la protection de la sécurité de l'Etat du secrétariat général de la défense et de la sécurité à compter du 1er septembre 2018, par un arrêté du 16 août 2018 publié au Journal officiel de la République française du 18 août suivant, avait compétence, eu égard aux attributions de cette sous-direction, pour signer l'avis attaqué au nom du Premier ministre. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence doit être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; (...) ". Et aux termes de l'article L. 311-5 du même code : " I.- Ne sont pas communicables : (...) 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : / (...) b) Au secret de la défense nationale (...) ". Il résulte de ces dispositions que les décisions qui refusent ou retirent l'habilitation secret-défense sont au nombre de celles dont la communication des motifs est de nature à porter atteinte au secret de la défense nationale. Le moyen tiré du défaut de motivation doit donc être écarté.
8. En troisième lieu, les dispositions de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration, relatives aux demandes de communication des motifs des décisions implicites, ne peuvent être utilement invoquées à l'encontre d'une décision expresse. Le moyen tiré de ce que la secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale a commis une erreur de droit en ne lui communiquant pas les motifs de sa décision doit dès lors être écarté.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 25 de l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale : " La décision d'habilitation ou de refus d'habilitation est prononcée par l'autorité d'habilitation au regard des conclusions du service enquêteur. Quel que soit le sens de l'avis de sécurité, auquel il n'est d'ailleurs fait aucune référence dans la décision, l'autorité d'habilitation peut admettre ou rejeter une demande d'habilitation. L'autorité d'habilitation peut décider, lorsque l'enquête a mis en valeur des éléments de vulnérabilité, de n'accorder l'habilitation qu'après avoir pris des précautions particulières. Ainsi, afin de garantir le plus efficacement possible la protection des informations ou supports classifiés, l'attention de l'employeur, par une procédure de mise en garde, ou celle de l'intéressé lui-même, par une procédure de mise en éveil, est attirée sur les risques auxquels l'un ou l'autre se trouve exposé. Les procédures de mise en garde et de mise en éveil peuvent être cumulées ".
10. Les procédures de " mise en garde " et de " mise en éveil ", prévues par les dispositions précitées, ne sont pas applicables à la procédure d'habilitation spécifique prévue pour l'accès aux informations classifiées de l'Union européenne, régie par les dispositions de la décision du conseil du 23 septembre 2013 concernant les règles de sécurité aux fins de la protection des informations classifiées de l'Union européenne. Le moyen tiré de ce que la secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale a commis une erreur de droit en ne mettant pas en oeuvre ces procédures doit par conséquent être écarté comme inopérant.
11. En cinquième et dernier lieu, aux termes de l'article 5 de la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale : " Conformément aux obligations fondamentales énoncées à l'article 2 de la présente Convention, les Etats parties s'engagent à interdire et à éliminer la discrimination raciale sous toute ses formes et à garantir le droit de chacun à l'égalité devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d'origine nationale ou ethnique, notamment dans la jouissance des droits suivants : (...) i) Droits au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail, à la protection contre le chômage, à un salaire égal pour un travail égal, à une rémunération équitable et satisfaisante ".
12. M. B... soutient qu'il a été victime d'une discrimination à l'emploi en raison de sa double nationalité. Toutefois, il n'apporte aucun élément de nature à établir que la décision par laquelle la secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale a émis un avis défavorable à son habilitation présentait un caractère discriminatoire alors que l'administration établit que celle-ci était justifiée par la proximité de l'intéressé avec des autorités militaires et diplomatiques israéliennes, et non par le fait qu'il possède une double nationalité.
13. Il résulte de ce qui précède que le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a annulé ses décisions du 11 octobre 2018 et du 23 janvier 2019.
Sur la demande de sursis à exécution :
14. Le présent arrêt statuant sur la demande d'annulation du jugement n° 1904944/5-1 du 8 octobre 2020 du Tribunal administratif de Paris, les conclusions de la requête n° 20PA03306 tendant au sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 20PA03306 du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale.
Article 2 : Le jugement n° 1904944 du Tribunal administratif de Paris du 8 octobre 2020 est annulé.
Article 3 : La demande de M. B... présentée devant le Tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au Premier ministre.
Copie en sera adressée au secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale.
Délibéré après l'audience du 21 mai 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme C..., président,
- M. Mantz, premier conseiller,
- Mme Mach, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juin 2021.
Le président-rapporteur,
M. C... L'assesseur le plus ancien,
P. MANTZ Le greffier,
A. BENZERGUA
La République mande et ordonne au Premier ministre qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 20PA03305...