Procédure devant la Cour :
I. Par une requête, enregistrée le 8 octobre 2018 sous le n° 18PA03278, M. B..., représenté par MeA..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris n° 1812916-8 du 10 septembre 2018 rejetant sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de police du 12 juillet 2018 portant transfert aux autorités suédoises ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de police, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile et de lui remettre un formulaire de demande d'asile, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'omissions à statuer dès lors que le tribunal administratif n'a pas répondu aux moyens tirés de la méconnaissance des articles 5 et 17 du règlement (UE)
n° 604/2014 du 26 juin 2013 , de la violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et du citoyen et de l'absence de prise en compte par le préfet du rejet de la demande d'asile de l'intéressé en Suède ;
- il est insuffisamment motivé ;
- l'arrêté a été pris en méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du
26 juin 2013 dès lors que l'agent de la préfecture n'était pas qualifié pour mener l'entretien prévu par cette disposition ;
- il méconnaît l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors que le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas application de ces stipulations ;
- il méconnaît l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors que le préfet de police a saisi les autorités suédoises d'une demande de reprise en charge sur le fondement du 1) b) de l'article mentionné ci-dessus, alors que sa demande d'asile avait été rejetée en Suède ;
- il méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 janvier 2019, le préfet de police, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B...ne sont pas fondés.
II - Par une requête enregistrée le 8 octobre 2018 sous le n° 18PA03279, M. C...B..., représenté par MeA..., demande à la Cour :
1°) d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-17 du code de justice administrative, qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du magistrat désigné par le président Tribunal administratif de Paris n° 1812916/8 du 10 septembre 2018 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que l'arrêté litigieux est illégal, par les mêmes moyens que ceux exposés dans le cadre de l'instance n° 18PA03278, et que son renvoi en Suède aurait des conséquences difficilement réparables.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 janvier 2019, le préfet de police de Paris conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du 14 novembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013,
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013,
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et son décret d'application n° 91-1266 du 19 décembre 1991,
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- le code des relations entre le public et l'administration,
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Even a été entendu cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., ressortissant afghan, né le 16 octobre 1997, est entré en France en avril 2018 selon ses déclarations. Il s'est présenté le 23 avril 2018 à la préfecture de police afin d'y déposer une demande d'asile. Le relevé de ses empreintes digitales et la consultation du fichier " Eurodac " ayant révélé qu'il avait été enregistré en Suède le 16 octobre 2015, le préfet de police a saisi les autorités suédoises, le 27 avril 2018, d'une demande de reprise en charge, à laquelle elles ont répondu favorablement le 3 mai 2018. Le préfet a en conséquence, par un arrêté du 12 juillet 2018, décidé de transférer l'intéressé aux autorités suédoises. M. B...fait appel du jugement du 10 septembre 2018 par lequel le magistrat désigné du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :
2. Le président du bureau d'aide juridictionnelle du Tribunal de grande instance de Paris a, par une décision du 14 novembre 2018, admis M. B...au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, les conclusions présentées par l'intéressé aux fins d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire sont devenues sans objet.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient
M.B..., le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Paris a répondu aux points 8, 11 et 13, aux moyens tirés de la méconnaissance des articles 5 et 17 du règlement (UE) 604/2014 du 26 juin 2013, et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et du citoyen. Le moyen tiré de l'absence de prise en compte par le préfet du rejet de la demande d'asile de l'intéressé en Suède pour édicter l'arrêté attaqué n'avait pas en revanche été soulevé devant les premiers juges. Par suite, le magistrat désigné du Tribunal administratif de Paris n'avait pas à y répondre.
4. En second lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative " Les jugements sont motivés " Il ressort des termes du jugement dont il est fait appel, que le premier juge a suffisamment répondu à l'ensemble des moyens qui lui ont été soumis par M. B.... Par suite, l'intéressé ne peut utilement soutenir que ce jugement serait irrégulier au motif qu'il méconnaîtrait l'article 9 précité du code de justice administrative.
Sur la légalité de l'arrêté contesté :
5. En premier lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du
26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur (...). 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
6. Il ressort des pièces du dossier que M. B...a bénéficié d'un entretien individuel le 23 avril 2018 dans les locaux de la préfecture de police, dans le cadre de l'instruction de la procédure de transfert. L'intéressé ne fait état d'aucun élément laissant supposer que cet entretien ne se serait pas déroulé dans les conditions prévues par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement précité. Si le résumé de cet entretien ne comporte pas le nom et la qualité de l'agent qui l'a conduit, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a été reçu par un agent du 12ème bureau en charge des demandeurs d'asile à la préfecture de police. Il n'est pas établi que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée au sens du 5 de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013. L'absence d'indication de l'identité de l'agent ayant conduit l'entretien individuel n'a pas privé l'intéressé de la garantie tenant au bénéfice de cet entretien et à la possibilité de faire valoir toutes observations utiles.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 18 du même règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de: (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre ; d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre. (...) ".
8. Il ressort des pièces du dossier que les autorités françaises ont demandé aux autorités suédoises, le 27 avril 2018, la reprise en charge de M. B... sur le fondement des dispositions précitées de l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et que les autorités suédoises, après les vérifications nécessaires, ont accepté, le 3 mai 2018, cette reprise en charge sur le fondement des dispositions précitées du d) du paragraphe 1 de cet article 18. La circonstance que les autorités suédoises auraient antérieurement rejeté la demande d'asile de M. B... ne fait pas obstacle à son transfert dans ce pays. Le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait contraire à ces stipulations ne peut donc qu'être écarté.
9. En troisième lieu, aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
10. M. B...soutient qu'il sera renvoyé en Afghanistan en cas de transfert vers la Suède en raison du rejet de sa demande d'asile par les autorités de ce pays, de l'interdiction de retour prononcé à son encontre dans ce pays et qu'il serait exposé à des risques de traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour en Afghanistan.
11. La Suède ayant accepté la reprise en charge de M.B..., l'interdiction de retour qu'elle avait antérieurement édictée à son encontre est devenue caduque. En outre, la Suède, Etat membre de l'Union européenne, est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut de réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. M B...ne produit aucun élément de nature à établir qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Suède dans la procédure d'asile ou que les autorités suédoises ne traiteraient pas sa demande dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Il ne ressort pas en particulier des pièces du dossier que M. B... ne pourrait faire valoir le cas échéant des éléments nouveaux pour solliciter des autorités suédoises le réexamen de sa demande d'asile. La décision de transfert contestée n'ayant pas pour effet d'éloigner M. B...vers son pays d'origine, le moyen invoqué par l'intéressé tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour en Afghanistan est inopérant.
12. Enfin, l'article 17 du règlement UE n° 604/2013 du 26 juin 2013 dispose que : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée (...) même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés par le présent règlement (...) ". La faculté pour les autorités françaises d'examiner une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un Etat tiers, alors même que cet examen ne leur incombe pas, relève de l'entier pouvoir discrétionnaire du préfet, et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Il ne ressort pas en l'espèce des pièces du dossier que le préfet de police aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage du pouvoir discrétionnaire qu'il tient de cet article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles afférentes aux frais de justice ne peuvent qu'être écartées.
Sur le sursis à exécution :
14. Dès lors qu'il est statué, par le présent arrêt, sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Paris du 10 septembre 2018, les conclusions de la requête de M. B... enregistrées sous le numéro n° 18PA03279 tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont devenues sans objet.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. B...tendant à l'octroi de l'aide juridictionnelle provisoire et au sursis à l'exécution du jugement attaqué.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... enregistrées sous le
n° 18PA03278 est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 23 avril 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Even, président de chambre,
- Mme Hamon, président assesseur,
- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 mai 2019.
Le président-rapporteur,
B. EVENLe président assesseur,
P. HAMON
La greffière,
S. GASPARLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 18PA03278...