Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 5 octobre 2018, M.B..., représenté par Me Père, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1811228/8 du 16 août 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de police du 26 juin 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asile et un formulaire OFPRA ou, à défaut, de procéder à un réexamen de sa situation, dans un délai de cinq jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté attaqué méconnaît les dispositions des articles 3-2 et 5-5 du règlement (UE)
n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, ainsi que les stipulations des articles 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 janvier 2019, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B...ne sont pas fondés.
M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris du 18 décembre 2018.
Des pièces, enregistrées le 18 avril 2019, ont été produites pour M.B....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 du Parlement européen et du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hamon,
- et les observations de Me Père en présence de M.B....
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., ressortissant afghan, né le 2 mai 1994, est entré en France après avoir transité notamment par la Bulgarie. Il a déposé une demande d'asile qui a été enregistrée par le préfet de police le 19 avril 2018. Ce dernier estimant, à la suite de la consultation du fichier " Eurodac ", que les autorités bulgares étaient responsables de l'examen de cette demande d'asile, a saisi celles-ci le 24 avril 2018 aux fins de prise en charge de l'intéressé. A la suite d'une décision d'acceptation de cette prise en charge intervenue le 24 avril 2018, le préfet de police a, par un arrêté du 26 juin 2018, décidé de transférer M. B...vers la Bulgarie.
M. B...relève appel du jugement du 16 août 2018 par lequel le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article 3 du règlement du Parlement européen et du Conseil n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un Etat membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier Etat membre auprès duquel la demande a été introduite, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable devient l'Etat membre responsable ". Ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 16 février 2017,
affaire n° C-578/16 PPU : " L'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être interprété en ce sens que : même en l'absence de raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques dans l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile, le transfert d'un demandeur d'asile dans le cadre du règlement n° 604/2013 ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l'intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de cet article ".
3. En l'espèce, M. B...fait valoir, sans être sérieusement contredit par le préfet, que lors de son passage en Bulgarie il a été volé, insulté et frappé par des policiers, retenu dans un commissariat pendant 24 heures avec pour seule nourriture un morceau de pain, que ses empreintes digitales ont été relevées de force sans aucune explication, qu'il a ensuite été emmené au camp de Lyubimets où il est resté pendant 21 jours dans une cellule avec une vingtaine de personnes, sans possibilité de sortir, sans soins et avec très peu de nourriture, avant d'être à nouveau transféré vers un camp où les autorités bulgares lui ont signifié qu'il devait quitter le territoire dans un délai de trois mois sous peine d'être emprisonné avant d'être renvoyé en Afghanistan. La circonstance que M. B...n'ait pas fait état de ces faits, concordants avec les certificats médicaux qu'il produit, lors de l'entretien individuel préalable à la décision attaquée est par elle-même sans incidence sur la légalité de cette décision. Dans ces conditions, sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré de ce qu'il y aurait de sérieuses raisons de croire qu'il existe des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Bulgarie, M. B...est fondé à soutenir que son transfert vers la Bulgarie entraîne un risque qu'il y subisse à nouveau des traitements inhumains et dégradants.
4. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de la requête, que M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 juin 2018 ordonnant son transfert aux autorités bulgares.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Aux termes de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé. ". Compte tenu de ses motifs, le présent arrêt implique nécessairement, en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, qu'il soit enjoint au préfet de police de délivrer une autorisation provisoire de séjour à M. B...et de statuer à nouveau sur son cas, dans un délai qu'il y a lieu de fixer, dans les circonstances de l'espèce, à un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de justice :
6. M. B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, sous réserve que Me Père, avocat de M.B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à
Me Père de la somme de 1 500 euros.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1811228/8 du 16 août 2018 et l'arrêté du préfet de police du 26 juin 2018 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de délivrer une autorisation provisoire de séjour à
M. B...et de réexaminer sa situation, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Maître Père, avocat de M.B..., une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...B..., à Maître A...Père, au préfet de police et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 23 avril 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Even, président de chambre,
- Mme Hamon, président assesseur,
- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 mai 2019.
Le rapporteur,
P. HAMONLe président,
B. EVENLe greffier,
S. GASPAR
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA03282