Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 19 février 2020 et 1er avril 2021, Mme B..., représentée par Me C..., demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 1900109 du 19 novembre 2019 par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française a limité à la somme de 250 000 francs CFP l'indemnité au versement de laquelle il a condamné l'Etat en réparation du préjudice moral qu'elle a subi ;
2°) de porter à la somme de 2 000 000 francs CFP le montant de l'indemnité due au titre de son préjudice moral ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 497 092 francs CFP au titre de son préjudice financier ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 300 000 francs CFP sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la procédure de reclassement qu'elle avait demandée dès février 2014 a été diligentée avec retard en dépit de ses démarches répétées ; ce délai excessif constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- elle a subi un préjudice financier évalué à la somme de 5 497 092 francs CFP ;
- elle a subi un préjudice moral évalué à la somme de 2 000 000 francs CFP.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 18 septembre 2020 et 16 avril 2021, le vice-recteur de la Polynésie française conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 68-20 du 5 janvier 1968 ;
- le décret n° 84-1051 du 30 novembre 1984 ;
- le décret n° 90-680 du 1er août 1990 ;
- le décret n° 2003-1260 du 23 décembre 2003 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mach, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., professeur des écoles du corps de l'Etat pour l'administration de la Polynésie française, a été placée en congé de longue maladie du 14 avril 2014 au 13 octobre 2016 et a été reconnue inapte à l'exercice de ses fonctions par avis du comité médical des 29 janvier et 26 avril 2016. A la suite de sa demande de reclassement, Mme B... a été reclassée par détachement dans le corps des adjoints administratifs de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur à compter du 15 octobre 2018 par arrêté du vice-recteur de la Polynésie française. Mme B... a adressé une réclamation préalable par courrier du 28 décembre 2018, reçu le 16 janvier 2019, tendant à la réparation des préjudices résultant du délai excessif de l'administration pour mettre en oeuvre son reclassement, qui a été implicitement rejetée. Mme B... relève appel du jugement du 19 novembre 2019 du Tribunal administratif de la Polynésie française en tant qu'il a limité à la somme de 250 000 francs CFP l'indemnité au versement de laquelle il a condamné l'Etat.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 63 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique d'Etat : " Lorsque les fonctionnaires sont reconnus, par suite d'altération de leur état physique, inaptes à l'exercice de leurs fonctions, le poste de travail auquel ils sont affectés est adapté à leur état physique. Lorsque l'adaptation du poste de travail n'est pas possible, ces fonctionnaires peuvent être reclassés dans des emplois d'un autre corps s'ils ont été déclarés en mesure de remplir les fonctions correspondantes. En vue de permettre ce reclassement, l'accès à des corps d'un niveau supérieur, équivalent ou inférieur est ouvert aux intéressés, quelle que soit la position dans laquelle ils se trouvent, selon les modalités retenues par les statuts particuliers de ces corps, en exécution de l'article 26 ci-dessus et nonobstant les limites d'âge supérieures, s'ils remplissent les conditions d'ancienneté fixées par ces statuts. Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles le reclassement, qui est subordonné à la présentation d'une demande par l'intéressé, peut intervenir. / Il peut être procédé au reclassement des fonctionnaires mentionnés à l'alinéa premier du présent article par la voie du détachement dans un corps de niveau équivalent ou inférieur. (...) ". Aux termes de l'article 2 du décret du 30 novembre 1984 pris en application de l'article 63 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat en vue de faciliter le reclassement des fonctionnaires de l'Etat reconnus inaptes à l'exercice de leurs fonctions, dans sa rédaction applicable au litige : " Dans le cas où l'état physique d'un fonctionnaire, sans lui interdire d'exercer toute activité, ne lui permet pas de remplir les fonctions correspondant aux emplois de son grade, l'administration, après avis du comité médical, invite l'intéressé à présenter une demande de reclassement dans un emploi d'un autre corps. " Aux termes de l'article 3 du même décret : " Le fonctionnaire qui a présenté une demande de reclassement dans un autre corps doit se voir proposer par l'administration plusieurs emplois pouvant être pourvus par la voie du détachement. L'impossibilité, pour l'administration, de proposer de tels emplois doit faire l'objet d'une décision motivée. (...) / La procédure de reclassement telle qu'elle résulte du présent article doit être conduite au cours d'une période d'une durée maximum de trois mois à compter de la demande de l'agent. ".
3. Aux termes de l'article 2 du décret du 23 décembre 2003 fixant les dispositions statutaires applicables aux professeurs des écoles du corps de l'Etat créé pour la Polynésie française : " Le vice-recteur prend les décisions relatives au recrutement, à la nomination, à la position de non-activité prévue à l'article 27 du décret du 1er août 1990 susvisé et à la suspension prévue à l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée ainsi que les décisions mentionnées au II de l'article 14-1 du décret du 5 janvier 1968 susvisé. Il prononce les sanctions disciplinaires des troisième et quatrième groupes ainsi que celles infligées aux stagiaires. / Le ministre du gouvernement de la Polynésie française chargé de l'éducation prend les autres décisions relatives à la gestion et à la carrière des professeurs des écoles du corps de l'Etat créé pour la Polynésie française, et notamment les affectations. Il prononce les sanctions disciplinaires des premier et deuxième groupes. ". Aux termes de l'article 14-1 du décret du 5 janvier 1968 fixant les conditions d'application de la loi n° 66-496 du 11 juillet 1966 relative la création de corps de fonctionnaires de l'Etat pour l'administration de la Polynésie française : " (...) / II - En ce qui concerne les fonctionnaires de l'Etat visés au I, la titularisation, la cessation progressive d'activité, la cessation définitive de fonctions, le déplacement dans l'une des positions énumérées aux articles 41 à 54 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat sont prononcés par l'autorité de l'Etat investie du pouvoir de nomination ou l'autorité de l'Etat ayant reçu délégation de cette dernière ". Il résulte de ces dispositions que le reclassement d'un professeur des écoles du corps de l'Etat créé pour la Polynésie française par la voie du détachement relève de la seule compétence du vice-recteur agissant au nom de l'Etat.
4. Il résulte de l'instruction que le comité médical de la Polynésie française a, dans ses avis des 29 janvier et 22 avril 2016, déclaré Mme B... inapte à reprendre ses fonctions d'enseignante mais apte à un reclassement à déterminer avec le médecin de prévention. D'une part, si Mme B... se prévaut de la demande de reclassement qu'elle a adressée par courriers des 10 février 2014 et 30 septembre 2014 au vice-recteur de la Polynésie française, il est constant qu'à la date de ses demandes, elle n'avait pas été déclarée inapte à l'exercice de ses fonctions d'enseignante par suite d'altération de son état physique et ne pouvait présenter une demande de reclassement dans un emploi d'un autre corps. D'autre part, si Mme B... a présenté une demande de reclassement par courrier du 14 septembre 2016 adressé au ministre de l'éducation et de l'enseignement supérieur et par courrier du 6 octobre 2016 au président de la Polynésie française, il ne résulte pas de l'instruction que ces courriers aient été transmis par le gouvernement de la Polynésie française au vice-recteur. Si les autorités du gouvernement de la Polynésie française ont saisi en novembre 2016 le vice-recteur et le Haut-commissaire sur la possibilité pour l'Etat de reclasser certains enseignants du corps d'Etat reconnus inaptes à l'exercice de leurs fonctions et ne pouvant être reclassés sur des postes administratifs de la direction générale de l'éducation et des enseignements, ces échanges, qui ne portent sur aucun cas individuel précis, ne mentionnent pas expressément la situation de Mme B....
5. Il résulte en revanche de l'instruction que Mme B... a adressé au vice-recteur un courriel du 28 février 2017, reçu au plus tard le 6 mars 2017, qui doit être regardé comme présentant une demande de reclassement. D'une part, les dispositions citées au point 2, en subordonnant le reclassement à la présentation d'une demande par l'intéressée, ont pour objet d'interdire à l'employeur d'imposer un reclassement, qui ne correspondrait pas à la demande formulée par l'agent, mais ne le dispensent pas de l'obligation de chercher à reclasser celui-ci, et n'imposent nullement que la demande qu'il présente ait à préciser la nature des emplois sur lesquels il sollicite son reclassement. Le vice-recteur n'est, dès lors, pas fondé à soutenir qu'il ne pouvait initier la procédure de reclassement qu'à compter de la réception, le 6 mars 2018, du dossier complet de Mme B... précisant sa demande de reclassement. D'autre part, et contrairement à ce que soutient le vice-recteur, le comité médical s'est prononcé sur l'inaptitude de l'intéressée à l'exercice de ses fonctions et a préconisé son reclassement dans ses avis des 29 janvier et 22 avril 2016. S'il est constant que le vice-recteur, qui ne justifie pas de l'absence de postes à pourvoir par la voie de détachement sur la période litigieuse, a entrepris en mars 2018 les démarches nécessaires afin de reclasser Mme B..., il n'a été fait droit à cette demande de reclassement que le 15 octobre 2018, date à laquelle elle a été détachée dans le corps des adjoints administratifs de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur par arrêté du vice-recteur de la Polynésie française. Dans ces conditions, Mme B... est fondée à soutenir que l'administration n'a pas statué sur sa demande de reclassement dans le délai de trois mois prévu par les dispositions du dernier alinéa de l'article 3 du décret du 30 novembre 1984. Ce délai supplémentaire de seize mois pour y procéder constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
6. Le retard de l'Etat à procéder au reclassement de Mme B... a fait perdre à cette dernière la possibilité d'être reclassée avant le 15 octobre 2018 et de percevoir un plein traitement pendant la période au cours de laquelle elle était rémunérée à demi-traitement. Mme B... ne peut toutefois utilement se prévaloir d'un préjudice financier pour la période d'octobre 2015 au 6 juin 2017, qui est sans lien direct avec le retard fautif de l'Etat à procéder au reclassement sollicité par le courrier reçu le 6 mars 2017. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de retenir comme base de calcul, pour évaluer le préjudice financier subi par Mme B... pendant seize mois à compter du 7 juin 2017, la différence entre la rémunération nette de 252 353 francs CFP qu'elle a effectivement perçue et la rémunération nette de 506 041 francs CFP qu'elle aurait perçue sur le poste où elle a été reclassée. Par suite, il y a lieu d'allouer à Mme B... une indemnité de 4 059 008 francs CFP au titre de son préjudice financier.
7. Mme B... soutient qu'elle vit seule avec ses enfants à charge et que la faute de l'administration a eu des conséquences sur son état de santé. Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation du préjudice moral ainsi subi par Mme B... en lui allouant la somme de 250 000 francs CFP.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française a limité à la somme de 250 000 francs CFP l'indemnité allouée en réparation des préjudices subis.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Mme B... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à Mme B... une somme 4 059 008 francs CFP au titre du préjudice financier.
Article 2 : Le jugement n° 1900109 du 19 novembre 2019 du Tribunal administratif de la Polynésie française est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... et au Haut-Commissariat de la République en Polynésie française.
Copie en sera adressée au vice-rectorat de la Polynésie française.
Délibéré après l'audience du 7 mai 2021 à laquelle siégeaient :
- Mme A..., président de chambre,
- Mme Portes, premier conseiller,
- Mme Mach, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mai 2021.
Le rapporteur,
A-S MACHLe président,
M. A...Le greffier,
S. GASPARLa République mande et ordonne au Haut-Commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20PA00647