Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 26 avril 2019, la compagnie nationale Royal Air Maroc, représentée par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cette décision ou de la décharger du paiement de l'amende ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il n'appartient pas à ses agents de se substituer à ceux de la police aux frontières aux fins de déterminer si un visa Schengen à entrées multiples, tamponné par de nombreux cachets d'entrée et de sortie du territoire, est valable ;
- à défaut de respecter les dispositions du 3. de l'annexe IV du règlement (UE) n° 2016/399 précité, les modalités d'apposition des nombreux cachets du passeport du passager, superposés sur la même page de manière aléatoire, ne permettent pas de faire regarder la péremption du visa comme manifeste ;
- il appartenait également aux agents de la police aux frontières, lors du précédent départ de France du passager le 23 janvier 2017, de constater l'annulation du visa par la simple apposition d'un cachet " annulé ", ce qui l'aurait empêché de revenir le 10 février 2017.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 octobre 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 ;
- le règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision R/17-0221 du 28 septembre 2017, le ministre de l'intérieur a infligé à la compagnie nationale Royal Air Maroc, sur le fondement de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une amende de 5 000 euros pour avoir, le 10 février 2017, débarqué sur le territoire français une personne de nationalité marocaine, titulaire d'un visa Schengen manifestement périmé. La compagnie nationale Royal Air Maroc relève appel du jugement du 27 février 2019 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 6421-2 du code des transports : " Le transporteur ne peut embarquer les passagers pour un transport international qu'après justification qu'ils sont régulièrement autorisés à atterrir au point d'arrivée et aux escales prévues ". Par ailleurs, selon l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un Etat avec lequel ne s'applique pas l'acquis de Schengen, un étranger non ressortissant d'un Etat de l'Union européenne et démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité est punie d'une amende d'un montant maximum de 10 000 euros. Toutefois, en vertu du 2° de l'article L. 625-5, l'amende n'est pas infligée lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste.
3. Ces dispositions imposent à l'entreprise de transport de vérifier que l'étranger est muni des documents de voyage et des visas éventuellement requis et que ceux-ci ne comportent pas d'irrégularité manifeste, décelable par un examen normalement attentif de ses agents. En l'absence d'une telle vérification, le transporteur encourt l'amende administrative prévue par les dispositions précitées.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni : / 1° Des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur (...) ". Aux termes de l'article 6 du règlement (CE) n° 399/2016 du 9 mars 2016 susvisé : " Pour un séjour prévu sur le territoire des Etats membres, d'une durée n'excédant pas 90 jours sur toute la période de 180 jours, ce qui implique d'examiner la période de 180 jours précédant chaque jour de séjour, les conditions d'entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes : a) être en possession d'un document de voyage en cours de validité autorisant son titulaire à franchir la frontière qui remplisse les critères suivants (...) ; b) être en possession d'un visa en cours de validité si celui-ci est requis en vertu du règlement (CE) no 539/2001 du Conseil sauf s'ils sont titulaires d'un titre de séjour ou d'un visa de long séjour en cours de validité (...) ". L'article 1er du règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 susvisé dispose que les ressortissants des pays tiers figurant sur la liste de l'annexe I doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des Etats membres, à l'exclusion du transit aéroportuaire. Le Maroc fait partie des pays figurant sur la liste de cette annexe.
5. En premier lieu, il résulte de l'examen du passeport du passager incriminé que les tampons des dates d'entrée et de sortie qui y sont apposés, alors même qu'ils se chevauchent, sont clairement lisibles et établissent que l'intéressé est entré sur le territoire français le 26 octobre 2016 et l'a quitté le 23 janvier 2017. Par suite, et compte tenu de ce qui a été dit au point 3, la compagnie nationale Royal Air Maroc ne peut utilement faire valoir que les agents de la police aux frontières n'auraient pas apposé les différents cachets l'un à côté de l'autre, sur la même page et dans le même sens pour en permettre une meilleure lecture. Elle ne peut davantage invoquer les modalités d'apposition des cachets telles qu'elles résultent des dispositions du 3. de l'annexe IV du règlement n° 2016/399 du 9 mars 2016 susvisé, lesquelles, à supposer qu'elles n'aient pas été respectées en l'espèce, n'ont en tout état de cause que valeur de recommandation.
6. En second lieu, il résulte de l'instruction que le passager débarqué par la compagnie requérante le 10 février 2017 était muni d'un visa Schengen valable pour des séjours d'une durée maximale de 90 jours par période de 180 jours entre le 18 octobre 2016 et le 17 octobre 2017. Par suite, dès lors que la lecture de son passeport faisait apparaître qu'il avait séjourné en France du 26 octobre 2016 au 23 janvier 2017, soit pendant une durée de 90 jours, alors qu'il ne s'était pas écoulé une période de 180 jours, soit approximativement six mois, depuis la date de début de son visa, ce dernier ne l'autorisait manifestement plus, à la date du 10 février 2017, à entrer de nouveau sur le territoire français, ce que pouvait aisément déceler un agent d'embarquement formé au contrôle des documents de voyage, sans que, contrairement à ce que soutient la compagnie nationale Royal Air Maroc, cela excède les limites de ses attributions ou de ses obligations. En outre, la compagnie requérante n'est en tout état de cause pas fondée à soutenir que les agents de la police des frontières auraient pu utilement, lors de la précédente sortie de l'intéressé du territoire français le 23 janvier 2017, annuler son visa Schengen, dès lors que si à la date du 10 février 2017, celui-ci avait atteint la durée maximale autorisée de séjour dans l'espace Schengen pendant une première période de 180 jours, il aurait pu à nouveau séjourner au sein de cet espace au cours d'une seconde période à venir de 180 jours et recouvrer, de ce fait, la validité de son visa. Dans ces conditions, le ministre de l'intérieur a pu légalement faire application des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et infliger à la compagnie nationale Royal Air Maroc une amende sur ce fondement.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la compagnie nationale Royal Air Maroc n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la compagnie nationale Royal Air Maroc est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la compagnie nationale Royal Air Maroc et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 8 janvier 2021 à laquelle siégeaient :
- Mme A..., président de chambre,
- Mme D..., présidente assesseure,
- M. B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 janvier 2021.
Le rapporteur,
P. B...
Le président,
M. A... Le greffier,
S. GASPAR
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA01437