Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 21 octobre 2021, Mme A..., représentée par Me Mariette, demande à la Cour :
1°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
2°) d'annuler ce jugement ;
3°) d'annuler cet arrêté ;
4°) d'enjoindre au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de lui remettre un formulaire de saisine de l'OFPRA, dans un délai de trois jours ouvrés à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du
10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il n'a pas été statué sur le moyen tiré de la violation de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013, pourtant invoqué par elle lors de la procédure orale à l'audience ;
- l'arrêté est insuffisamment motivé, notamment concernant le critère de détermination de l'Etat responsable retenu ;
- l'arrêté est entaché d'un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle ;
- l'arrêté méconnaît l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'aucun des critères du chapitre III n'étant applicable, l'Etat membre responsable devait être le premier Etat membre auprès duquel elle avait introduit sa demande de protection, à savoir la Suède ;
- le moyen de défense de première instance du préfet de police tiré de ce que la responsabilité de l'Allemagne devait être reconnue sur le fondement des articles 3 et 18 1. d) du règlement (UE) n° 604/2013 est infondé ;
- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du
26 juin 2013 dès lors qu'elle ne s'est pas vu remettre les informations prévues par cet article en langue amharique ;
- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du
26 juin 2013 ;
- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article 23.2 du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- l'arrêté méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle risque d'être envoyée en Ethiopie en cas de retour en Allemagne ;
- en refusant de mettre en œuvre la dérogation prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013, le préfet de police a commis une erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée au préfet de police qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 23 décembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Mantz a été entendu au cours de l'audience publique.
- et les observations de Maître Mariette pour Mme A...,
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante éthiopienne née le 21 juillet 1988, est entrée irrégulièrement sur le territoire français et a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Par un arrêté du 3 septembre 2021, le préfet de police a décidé le transfert de Mme A... aux autorités allemandes. Mme A... relève appel du jugement du 29 septembre 2021 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...) l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président ".
3. Par une décision du 23 décembre 2021, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a admis Mme A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, il n'y a pas lieu d'accorder à celle-ci le bénéfice d'une admission provisoire à l'aide juridictionnelle.
Sur la régularité du jugement :
4. Il résulte de l'examen du jugement attaqué que si le premier juge a visé le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, que Mme A... soutient sans être contredite avoir invoqué lors de l'audience qui s'est tenue devant le tribunal administratif de Paris, il n'y a pas répondu dans les motifs de ce jugement. Par suite, la requérante est fondée à soutenir que, le premier juge ayant omis de statuer sur ce moyen, le jugement est irrégulier et doit être annulé.
5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Paris.
Sur la légalité de la décision de transfert :
6. En premier lieu, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement dont il est fait application pour déterminer cet Etat.
7. En l'espèce, l'arrêté contesté vise notamment le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mentionne que l'intéressée s'est vu remettre une attestation de demande d'asile " procédure Dublin " le 12 juillet 2021. Il mentionne également que les recherches entreprises sur le fichier Eurodac ont fait apparaître qu'elle a sollicité l'asile auprès des autorités suédoises le 4 février 2015 et auprès des autorités allemandes le 9 octobre 2019 et le 21 octobre 2019. Il mentionne également que les autorités allemandes, saisies le 6 août 2021 d'une demande de reprise en charge de Mme A..., ont accepté par accord explicite leur responsabilité dans l'examen de sa demande d'asile sur le fondement de l'article 18 1. d) du règlement (UE) n° 604/2013 et que celle-ci ne relève pas des dérogations prévues aux articles 3-2 ou 17 du règlement précité. Ainsi, la décision contestée mentionne de manière précise et circonstanciée les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Dès lors, le moyen tiré du défaut de motivation de cette décision doit être écarté comme manquant en fait.
8. En second lieu, il ressort de la motivation de l'arrêté en litige et des pièces du dossier que le préfet de police a procédé à un examen suffisant de la situation personnelle de Mme A....
9. En troisième lieu, il résulte des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application de ce règlement doit se voir remettre, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par l'article 5 du même règlement, l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de cet article 4. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative des brochures prévues par ces dispositions constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
10. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... s'est vu remettre, les 9 et 12 juillet 2021, contre signature, deux documents, l'un rédigé en amharique, l'autre en anglais mais traduit oralement en amharique, langue que la requérante a déclaré comprendre, dont l'un est intitulé " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " (Brochure A), et l'autre " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " (Brochure B). La remise en deux temps de ces documents n'a pas privé l'intéressée d'une garantie. Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement 604/2013, en ce que la requérante ne se serait pas vu remettre les brochures prévues par ces dispositions, dans une langue comprise par elle, doit être écarté comme manquant en fait.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / [...] 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national [...] ".
12. Il ressort des pièces du dossier, notamment des mentions du compte-rendu de l'entretien individuel qui s'est déroulé dans les locaux de la préfecture le 12 juillet 2021, que Mme A... a été personnellement reçue par un agent de la préfecture de police, lequel doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener cet entretien au sens du paragraphe 5 de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, et a été assistée d'un interprète en langue amharique de l'association ISM Interprétariat. Mme A... a déclaré avoir compris la procédure engagée à son encontre et a pu utilement formuler toute observation sur sa situation personnelle. Par ailleurs, elle n'a fait état dans ses écritures d'aucun élément laissant supposer que cet entretien ne se serait pas déroulé dans le respect des règles de confidentialité prévues au même paragraphe. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.
13. En cinquième lieu, aux termes de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Lorsqu'un État membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre État membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac ("hit"), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) n° 603/2013 (...) ".
14. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de police a produit l'accusé de réception " DubliNet " généré par le point d'accès national de l'Etat requis justifiant qu'il a saisi, le 6 août 2021, soit dans le délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac, le 12 juillet 2021, les autorités allemandes d'une requête aux fins de reprise en charge de Mme A.... Ces dernières ont d'ailleurs répondu explicitement à cette demande le 9 août 2021, en faisant référence à la demande du 6 août 2021. Par suite, le moyen tiré de la violation de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
15. En sixième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du
26 juin 2013 : " (...) 2. Lorsque aucun Etat membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier Etat membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen (...) ". Aux termes de l'article 18 du même règlement : " 1. L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre ; (...) ; d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre (...) ". Et aux termes de l'article 26 de ce règlement : " 1. Lorsque l'Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l'Etat membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l'Etat membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale (...) ".
16. Il ressort des pièces du dossier, notamment du relevé Eurodac du 9 juillet 2021, que Mme A... a déposé des demandes d'asile successivement le 4 février 2015 auprès des autorités suédoises et les 9 octobre 2019 et 21 octobre 2019 auprès des autorités allemandes. Sur la base de ce relevé, le préfet de police a notamment saisi, le 6 août 2021, les autorités allemandes d'une demande de reprise en charge de Mme A..., sur le fondement de l'article 18 1 b) du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par une décision du 9 août 2021, ces autorités ont fait connaître leur accord en se référant explicitement à l'article 18 1 d) du même règlement. L'Allemagne s'étant ainsi reconnue Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile de Mme A... sur la base des critères énumérés dans ce règlement, le préfet de police était légalement fondé, en application de l'article 26 du règlement, à décider le transfert de celle-ci aux autorités allemandes, alors même que la Suède, qui a refusé le 17 août 2021 la reprise en charge de Mme A..., était le premier Etat membre dans lequel cette dernière avait sollicité l'asile. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du 2. de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
17. Enfin, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Par ailleurs, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
18. Mme A... soutient qu'elle risque de subir des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Ethiopie, pays vers lequel elle risque d'être renvoyée en cas de retour en Allemagne, et où prévaudrait une situation de violence aveugle d'une intensité exceptionnelle. Toutefois, en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe en Allemagne des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'alors même que sa demande d'asile aurait été définitivement rejetée dans ce pays, les autorités allemandes n'évalueront pas, avant de procéder à un éventuel éloignement de Mme A..., les risques auxquels elle serait exposée en cas de retour en Ethiopie. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision litigieuse aurait méconnu les stipulations précitées et serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne peut qu'être écarté.
19. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 3 septembre 2021 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités allemandes responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme A... tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
Article 2 : Le jugement n° 2119091/8 du tribunal administratif de Paris du 29 septembre 2021 est annulé.
Article 3 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 11 mars 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, présidente,
- M. Mantz, premier conseiller,
- Mme Portes, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 mars 2022.
Le rapporteur,
P. MANTZLa présidente,
M. HEERSLa greffière,
V. BREME
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA05484