I- Sous le numéro 20PA04146, par une requête, enregistrée le 21 décembre 2020, M. D..., représenté par Me C..., demande à la Cour :
1°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
2°) d'annuler ce jugement du 23 novembre 2020 ;
3°) d'annuler l'arrêté du 1er juillet 2020 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé son transfert aux autorités allemandes en vue de l'examen de sa demande d'asile ;
4°) d'enjoindre au préfet d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale dans le délai de deux semaines suivant la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, le cas échéant, de procéder au réexamen de sa situation administrative dans le même délai et sous même astreinte ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me C... ou à lui verser, en cas de refus du bénéfice de l'aide juridictionnelle, en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis a méconnu les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 dès lors que la brochure A lui a été communiquée en langue anglaise alors qu'il ne comprend que le tibétain, que la traduction orale en tibétain n'est ni suffisante ni complète, que les pièces produites par le préfet ne sont pas de nature à établir qu'il a effectivement obtenu une traduction complète en tibétain et que la compétence de l'interprète n'est pas établie ;
- doivent être demandés, dans le cadre du pouvoir d'instruction de la Cour, la production du tableau de l'OFII et l'avis d'ISM Interprétariat.
II- Sous le numéro 21PA00418, par une requête, enregistrée le 25 janvier 2021, M. D..., représenté par Me C..., demande à la Cour :
1°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
2°) d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-17 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement n° 2006302 du Tribunal administratif de Montreuil en date du 23 novembre 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale dans le délai de deux semaines suivant la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, le cas échéant, de procéder au réexamen de sa situation dans le délai de 8 jours à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me C... ou à lui verser, en cas de refus du bénéfice de l'aide juridictionnelle, en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens qu'il invoque sont sérieux et de nature à justifier, sur le fondement tant de l'article R. 811-15 que de l'article R. 811-17 du code de justice administrative, qu'il soit sursis à l'exécution du jugement en litige.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Paris du 11 janvier 2021.
Un mémoire a été enregistré le 17 mai 2021 pour M. D....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant chinois d'origine tibétaine, né le 12 février 1977, a fait l'objet d'un arrêté du 1er juillet 2020, notifié le jour-même, par lequel le préfet de la
Seine-Saint-Denis a décidé son transfert aux autorités allemandes responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par un jugement du 23 novembre 2020, dont M. D... relève appel, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du
1er juillet 2020.
2. Les requêtes nos 20PA04146 et 21PA00418 portant sur le même jugement et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :
3. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ".
4. Par une décision du 11 janvier 2021, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a admis M. D... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, il n'y a pas lieu d'accorder à M. D... le bénéfice d'une admission provisoire à l'aide juridictionnelle.
Sur la requête n°20PA04146 :
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
5. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de 1'entretien individuel visé à l'article 5. / (...) ".
6. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de ne pas instruire la demande de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit ou, si nécessaire pour la bonne compréhension du demandeur, oralement, et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, leur délivrance complète par l'autorité administrative, notamment par la remise de la brochure prévue par les dispositions précitées, constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
7. M. D... s'est vu remettre, le 13 mars 2020, le guide du demandeur d'asile ainsi que les documents d'information A et B, intitulés respectivement " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande " et " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", qui constituent la brochure commune prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement précité, en langue anglaise. Il ressort cependant des pièces du dossier, et notamment de la mention figurant dans la partie relative à la notification de l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 1er juillet 2020, que M. D... a déclaré comprendre le tibétain et qu'il a bénéficié d'un interprète dans cette langue lors de l'entretien individuel du 13 mars 2020. Si le rapport de prise en charge indique également comme " langue d'origine " l'anglais, il ne peut être déduit de cette indication, qui n'est corroborée par aucune autre pièce du dossier, qu'elle a été portée au vu des déclarations de l'intéressé. Par ailleurs, il n'est ni établi ni même allégué par le préfet que M. D... aurait bénéficié d'une traduction des brochures A et B en tibétain lors de l'entretien individuel qui a duré vingt-trois minutes et a été réalisé par téléphone. Dans ces conditions, M. D... ne peut être regardé comme ayant reçu l'ensemble des éléments d'information requis par les dispositions précitées de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par suite, il y a lieu d'annuler l'arrêté du 1er juillet 2020 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé son transfert aux autorités allemandes en vue de l'examen de sa demande d'asile.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 1er juillet 2020.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :
9. Eu égard au motif d'annulation de l'arrêté attaqué ci-dessus retenu, le présent arrêt implique seulement que, sous réserve que l'intéressé soit encore présent sur le territoire français, le préfet de police réexamine la situation de M. D... dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
En ce qui concerne les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
10. M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me C..., avocat de M. D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me C... de la somme de 1 000 euros.
Sur la requête n°21PA00418 :
11. La Cour se prononçant, par le présent arrêt, sur la requête n° 20PA04146 de M. D... tendant à l'annulation du jugement n° 2006302 du 23 novembre 2020 du Tribunal administratif de Montreuil, il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 21PA00418 par laquelle M. D... a sollicité de la Cour le sursis à exécution de ce jugement.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 21PA00418.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. D... tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
Article 3 : Le jugement n° 2006302 du 23 novembre 2020 du Tribunal administratif de Montreuil est annulé.
Article 4 : L'arrêté du 1er juillet 2020 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé le transfert de M. D... aux autorités allemandes en vue de l'examen de sa demande d'asile est annulé.
Article 5 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de réexaminer la situation de M. D... dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt.
Article 6 : L'Etat versera à Me C... une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me C... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 8 : Le présent jugement sera notifié à M. E... D..., à Me C..., au préfet de la
Seine-Saint-Denis et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 21 mai 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme B..., présidente,
- M. Mantz, premier conseiller,
- Mme A..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 mai 2021.
La présidente-rapporteure,
M. B...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 20PA04146...