Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 2 août 2018, la société Miriflore, représentée par
MeA..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1715908/3-3 du 12 juin 2018 ;
2°) A titre principal, d'annuler totalement l'arrêté du 11 août 2017 du préfet de police de Paris et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 36 108 euros, assortie des intérêts moratoires eux-mêmes capitalisés, au titre du préjudice subi du fait de la fermeture illégale de 21 jours de son établissement ;
3°) A titre subsidiaire, d'annuler l'arrêté du 11 août 2017 du préfet de police de Paris en tant uniquement qu'il dépasse de huit jours la durée de fermeture qui aurait dû être normalement prononcée et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 24 072 euros, assortie des intérêts moratoires eux-mêmes capitalisés, au titre du préjudice subi du fait de la durée excessive de fermeture de son établissement.
4°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 3 000 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il est entaché d'une omission à statuer et qu'il statue ultra petita ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur de droit puisque l'édiction de la mesure devait être précédée du déclenchement de poursuites pénales pour faits de tapages nocturnes ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur d'appréciation dans la mesure où les agissements incriminés ne nécessitaient pas une fermeture de l'établissement et qu'en tout état de cause la durée de fermeture de 21 jours est excessive ;
- l'arrêté attaqué aurait également dû être fondé sur l'article L. 3332-15 1° du code de la santé publique dans la mesure où il repose sur le fait que la société Miriflore a été l'objet d'un avertissement pour méconnaissance des horaires d'ouverture des débits de boisson ;
- le motif tiré de ce que la société Miriflore aurait fait également l'objet d'un avertissement pour non respect de la réglementation en matière d'horaires d'ouverture des débits de boissons est entaché d'une erreur de faits ;
- l'illégalité de cet arrêté est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- cette illégalité est à l'origine d'un préjudice financier, commercial et moral s'élevant à titre principal à la somme de 36 108 euros ou à tout le moins, à titre subsidiaire à la somme de 24 072 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 août 2018, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Un mémoire en réplique, présenté pour la société Miriflore, a été enregistré le 3 janvier 2019.
Une note en délibéré, a été enregistrée le 8 janvier 2019 pour la société Miriflore.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail,
- le code de la santé publique,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme d'Argenlieu,
- les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,
- les observations de Me A...pour la société Miriflore.
Considérant ce qui suit :
1. La société Miriflore exploite un bar à cocktails, le " Syndicat ", situé 51, rue du faubourg Saint-Denis à Paris (75010). Le 7 mai 2017, à 00h40, à la suite de l'appel d'un riverain, les services de police se sont rendus sur place. Constatant un bruit de musique excessif provenant de cet établissement, ils ont dressé un procès-verbal. Par une lettre du 29 juin 2017, M.B..., gérant de la société Miriflore, a été averti qu'une mesure de fermeture administrative était envisagée et a été invité à présenter ses observations. Par un arrêté du 11 août 2017, le préfet de police a prononcé la fermeture du bar le " Syndicat " pour une durée de vingt-et-un jours sur le fondement du 2° de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique. La société Miriflore fait appel du jugement du
12 juin 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté et à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices subis imputables à l'illégalité fautive de la fermeture de son établissement pendant une durée de 21 jours.
2. Aux termes de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique : " 1. La fermeture des débits de boissons et des restaurants peut être ordonnée par le représentant de l'Etat dans le département pour une durée n'excédant pas six mois, à la suite d'infractions aux lois et règlements relatifs à ces établissements. Cette fermeture doit être précédée d'un avertissement qui peut, le cas échéant, s'y substituer, lorsque les faits susceptibles de justifier cette fermeture résultent d'une défaillance exceptionnelle de l'exploitant ou à laquelle il lui est aisé de remédier. 2. En cas d'atteinte à l'ordre public, à la santé, à la tranquillité ou à la moralité publiques, la fermeture peut être ordonnée par le représentant de l'Etat dans le département pour une durée n'excédant pas deux mois. Le représentant de l'Etat dans le département peut réduire la durée de cette fermeture lorsque l'exploitant s'engage à suivre la formation donnant lieu à la délivrance d'un permis d'exploitation visé à l'article L. 3332-1-1. 3. Lorsque la fermeture est motivée par des actes criminels ou délictueux prévus par les dispositions pénales en vigueur, à l'exception des infractions visées au 1, la fermeture peut être prononcée pour six mois. Dans ce cas, la fermeture entraîne l'annulation du permis d'exploitation visé à l'article L. 3332-1-1 (...). 4. Les crimes et délits ou les atteintes à l'ordre public pouvant justifier les fermetures prévues au 2 et au 3 doivent être en relation avec la fréquentation de l'établissement ou ses conditions d'exploitation (...) ".
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Il ressort des termes du jugement dont il est fait appel que le moyen tiré de ce que l'avertissement prononcé à l'égard de la société le 14 juin 2017 était entaché d'une erreur de faits n'a pas été visé par les premiers juges. Ce jugement est donc irrégulier, il doit, pour ce seul motif, être annulé. Par suite, il y a lieu de statuer, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée par la société Miriflore devant le Tribunal administratif de Paris.
Sur le fond :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ;(...) ". Aux termes de l'article 122-1 dudit code : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. (...) ".
5. Il est constant que le préfet de police a sollicité, de manière utile, les observations de la société Miriflore qu'elle a présentées le 18 juillet 2017. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient l'appelante, ni les dispositions précitées du code des relations entre le public et l'administration ni aucun autre texte législatif ou réglementaire ne faisaient obligation au préfet de police de lui communiquer les procès-verbaux de police constatant les infractions en cause. Par suite, le moyen tiré de l'absence de respect du principe du contradictoire doit être écarté.
6. En deuxième lieu, l'article précité L. 3332-15 alinéa 2° du code de la santé publique permet au préfet de police de prendre une mesure de fermeture administrative d'un débit de boissons uniquement lorsque les agissements incriminés sont de nature à porter atteinte à l'ordre public, à la santé, à la tranquillité ou à la moralité publiques. Par suite, ce texte ne conditionne pas l'édiction d'une telle fermeture au déclenchement de poursuites, quand bien même les agissements incriminés relèveraient également d'une incrimination pénale.
7. En troisième lieu, lorsqu'elle est ordonnée, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique, en cas d'atteinte à l'ordre public, à la santé, à la tranquillité ou à la moralité publiques, la fermeture administrative doit être regardée non pas comme une sanction, mais comme une mesure de police qui a pour objet de prévenir la continuation ou le retour de désordres liés au fonctionnement de l'établissement, indépendamment de toute responsabilité de l'exploitant.
8. En l'espèce, la mesure de fermeture du bar à cocktails " Le Syndicat " a notamment été prise sur le fondement de l'alinéa 2° précité de L. 3332-15 du code de la santé publique, dès lors qu'elle repose sur l'existence de nuisances sonores venant de ce bar, les forces de police ayant constaté, le 7 mai 2017 à 00h40, que la porte de l'établissement étant ouverte, cela rendait audible depuis la voie publique, de manière trop importante, la musique qui y était diffusée. Si la matérialité des faits n'est pas utilement contestée par la société Miriflore, celle-ci soutient en revanche qu'il n'y avait pas de risque de réitération ou de continuation des troubles puisque ceux-ci étaient isolés et qu'elle s'était équipée dès le mois de juin 2017 d'un limiteur de sons. Il ressort, toutefois, des pièces du dossier que si la décision contestée est intervenue à la suite d'une seule plainte de riverain, les faits de tapage nocturne en provenance du bar le " Syndicat ", qui avait déjà fait l'objet de mesures administratives à ce titre, étaient fréquents. Il apparait, en effet, qu'au cours des années précédentes et notamment en 2015 la société Miriflore s'était vue rappeler à de nombreuses reprises par les forces de police la nécessité de mettre un terme aux nuisances émises. Cet établissement avait également fait l'objet d'une fermeture administrative de quinze jours, le 16 novembre 2016, pour des nuisances sonores. Si un limiteur de sons a effectivement été installé dans l'établissement entre la date à laquelle les faits se sont produits et la décision en litige, ce type d'installation qui a pour objet de réguler le son à l'intérieur de l'établissement est sans effet si les portes de l'établissement demeurent.ouvertes comme en l'espèce Dans ces conditions, la société requérante n'ayant pas mis tout en oeuvre pour faire cesser les agissements reprochés, alors que des faits identiques antérieurs laissaient apparaître une absence d'amélioration de la situation, il existait un risque de réitération justifiant qu'une mesure de fermeture administrative soit prise. Enfin, dès lors qu'elle fait suite à une précédente fermeture d'une durée de quinze jours pour des faits identiques, la mesure litigieuse ne revêt pas un caractère disproportionné.
9. En troisième et dernier lieu, la circonstance que le motif de la décision contestée tiré de ce que la société Miriflore a également fait l'objet, le 14 juin 2017, d'un avertissement pour non respect des horaires d'ouverture imposés aux débits de boissons, puisse être entaché d'une erreur de faits et soit illégal, ne saurait entraîner l'annulation de l'arrêté contesté dans la mesure où le préfet aurait pris la même décision s'il s'était uniquement fondé sur le premier motif tiré de l'existence d'un trouble à la tranquillité publique.
10. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 11 août 2017 doivent être rejetées. Il en va de même, en l'absence d'illégalité fautive, de celles tendant à ce que la responsabilité de l'Etat soit engagée. Par suite, la société Miriflore n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions afférentes aux frais de justice présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1715908/3-3 du 12 juin 2018, est annulé.
Article 2 : La demande de la société Miriflore devant le Tribunal administratif de Paris et le surplus des conclusions de la requête d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Miriflore et au ministre de l'intérieur. Une copie sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 7 janvier 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Even, président de chambre,
- Mme Hamon, président assesseur,
- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 29 janvier 2019.
Le rapporteur,
L. D'ARGENLIEULe président,
B. EVEN
Le greffier,
S. GASPARLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA02674