Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 2 août 2019, la compagnie nationale Royal Air Maroc demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cette décision ou de la décharger du paiement de l'amende ou, à défaut, de réduire le montant de l'amende à la somme de 500 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les nombreux cachets apposés sur le passeport du passager sont superposés et répartis sans ordre ni logique, ce qui rend le calcul du nombre de jours passés dans l'espace Schengen particulièrement complexe ;
- les dispositions du 3. de l'annexe IV du règlement (UE) n° 2016/399 concernant les modalités d'apposition des cachets sur les passeports ont été méconnues ;
- il appartenait aux agents de la police aux frontières, lors des précédents départs de France du passager les 11 juin 2016 et 8 juillet 2016, de constater l'annulation du visa par la simple apposition d'un cachet " annulé ", ce qui l'aurait empêché de revenir le 14 juillet 2016.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 septembre 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 ;
- le règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision R/16-587 du 11 mai 2017, le ministre de l'intérieur a infligé à la compagnie nationale Royal Air Maroc, sur le fondement de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une amende de 10 000 euros pour avoir,
le 14 juillet 2016, débarqué sur le territoire français une personne de nationalité sénégalaise, titulaire d'un visa Schengen manifestement périmé. La compagnie relève appel du jugement du
7 juin 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la sanction :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 6421-2 du code des transports : " Le transporteur ne peut embarquer les passagers pour un transport international qu'après justification qu'ils sont régulièrement autorisés à atterrir au point d'arrivée et aux escales prévues ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Est punie d'une amende d'un montant maximum de 10 000 euros l'entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un Etat avec lequel ne s'applique pas l'acquis de Schengen, un étranger non ressortissant d'un Etat de l'Union européenne et démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité. Est punie de la même amende l'entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque, dans le cadre du transit, un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne et démuni du document de voyage ou du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable compte tenu de sa nationalité et de sa destination ". Aux termes de l'article L. 625-2 du même code : " (...) La décision de l'autorité administrative, qui est motivée, est susceptible d'un recours de pleine juridiction. / L'autorité administrative ne peut infliger d'amende à raison de faits remontant à plus d'un an ". Enfin, aux termes de l'article L. 625-5 dudit code : " Les amendes prévues aux articles L. 625-1 (...) ne sont pas infligées : (...) 2° Lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste ".
3. Il résulte de ces dispositions qu'elles font obligation aux transporteurs aériens de s'assurer, au moment des formalités d'embarquement, que les voyageurs ressortissants d'Etats non membres de la Communauté économique européenne, devenue l'Union européenne, soient en possession de documents de voyage leur appartenant, le cas échéant revêtus des visas exigés par les textes, non falsifiés et valides. Si ces dispositions n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de conférer au transporteur un pouvoir de police aux lieu et place de la puissance publique, elles lui imposent de vérifier que l'étranger est muni des documents de voyage et des visas éventuellement requis et que ceux-ci ne comportent pas d'éléments d'irrégularité manifeste, décelables par un examen normalement attentif des agents de l'entreprise de transport. En l'absence d'une telle vérification, le transporteur encourt l'amende administrative prévue par les dispositions précitées.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni : / 1° Des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur (...) ". Aux termes de l'article 6 du règlement (CE) n° 399/2016 susvisé : " Pour un séjour prévu sur le territoire des États membres, d'une durée n'excédant pas 90 jours sur toute la période de 180 jours, ce qui implique d'examiner la période de 180 jours précédant chaque jour de séjour, les conditions d'entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes : a) être en possession d'un document de voyage en cours de validité autorisant son titulaire à franchir la frontière qui remplisse les critères suivants (...) ; b) être en possession d'un visa en cours de validité si celui-ci est requis en vertu du règlement (CE) no 539/2001 du Conseil sauf s'ils sont titulaires d'un titre de séjour ou d'un visa de long séjour en cours de validité (...) ". L'article 1er du règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 susvisé dispose que les ressortissants des pays tiers figurant sur la liste de l'annexe I doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des Etats membres, à l'exclusion du transit aéroportuaire. Le Sénégal fait partie des pays figurant sur la liste de cette annexe.
5. Il résulte de l'examen du passeport du passager incriminé que les tampons des dates d'entrée et de sortie qui y sont apposés, alors même qu'ils ne sont pas systématiquement disposés dans un ordre chronologique, sont pour la plupart clairement lisibles et établissent que l'intéressé a effectué, durant la période de 180 jours précédant la date de son débarquement, le 14 juillet 2016, un premier séjour, qui doit être décompté à partir du 17 janvier 2016 au
11 juin 2016. Il résulte en outre de l'instruction que le passager était muni d'un visa Schengen valable pour des séjours d'une durée maximale de 90 jours par périodes de 180 jours entre le
23 septembre 2013 et le 22 septembre 2017. Par suite, dès lors que la lecture de son passeport faisait apparaître, sans nécessité d'un calcul complexe, que ce passager avait séjourné en France, au titre du premier séjour précité, pour un total manifestement supérieur à 90 jours et à supposer même qu'un deuxième séjour relevé par le ministre de l'intérieur, du 20 juin 2016 au
8 juillet 2016, ne puisse être corroboré par l'examen du passeport, compte tenu d'une lisibilité insuffisante du cachet supposément du 20 juin 2016, son visa ne l'autorisait manifestement plus, à la date du 14 juillet 2016, à entrer de nouveau sur le territoire français. Cette irrégularité manifeste pouvait être aisément décelée par un agent d'embarquement formé au contrôle des documents de voyage sans que, contrairement à ce que soutient la compagnie nationale Royal Air Maroc, cela excède les limites de ses attributions ou de ses obligations. Dès lors, et sans que ladite compagnie puisse utilement invoquer les modalités d'apposition des cachets telles qu'elles résultent des dispositions du 3. de l'annexe IV du règlement n° 2016/399 du 9 mars 2016 susvisé, qui n'ont que valeur de recommandation, ni faire valoir que les agents de la police des frontières auraient pu, lors de la précédente sortie de l'intéressé du territoire français le
8 juillet 2016, annuler son visa Schengen, le ministre de l'intérieur a pu légalement faire application des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et infliger à la compagnie nationale Royal Air Maroc une amende sur ce fondement.
6. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours de pleine juridiction contre la décision infligeant une amende sur le fondement des dispositions législatives précitées, de statuer sur le bien-fondé de la décision attaquée et de réduire, le cas échéant, le montant de l'amende infligée en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce. En raison toutefois du caractère aisément décelable de l'irrégularité retenue au point 6, il n'y a pas lieu de procéder à la réduction du montant de l'amende qui n'est pas entaché de disproportion.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la compagnie nationale Royal Air Maroc n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la compagnie nationale Royal Air Maroc est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la compagnie nationale Royal Air Maroc et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2021 à laquelle siégeaient :
- Mme A..., président de chambre,
- M. B..., premier conseiller,
- Mme Portes, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 avril 2021.
Le rapporteur,
P. B...
Le président,
M. A... Le greffier,
A. BENZERGUA
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA02572