Procédure devant la Cour :
I. Par une requête enregistrée le 20 juillet 2020 sous le numéro 20PA01789, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2005254 du 17 juin 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande de M. C....
Le préfet de police soutient que :
- dès qu'il ressort de l'arrêté contesté que l'ensemble de la situation de M. C... a été examiné, c'est à tort que le premier juge a accueilli le moyen tiré du défaut d'examen ;
- les autres moyens doivent être écartés au bénéfice des écritures de première instance.
La requête a été communiquée à M. C..., qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
II. Par une requête enregistrée le 4 août 2020 sous le numéro 20PA02084, le préfet de police demande à la Cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2005254 du 17 juin 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris.
Le préfet de police soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a fait droit au moyen tiré du défaut d'examen ;
- les autres moyens de première instance ne sont pas fondés :
- les conditions pour que soit prononcé le sursis à exécution sont réunies.
La requête a été communiquée à M. C..., qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant bangladais, est entré irrégulièrement sur le territoire français et a présenté une demande d'asile au guichet unique des demandeurs d'asile de Paris le 15 janvier 2020. La consultation du système " Eurodac " a permis d'établir que ses empreintes digitales avaient été relevées par les autorités allemandes le 14 octobre 2019, lors du dépôt d'une demande d'asile. Le préfet de police a saisi les autorités allemandes le 16 janvier 2020 d'une demande de reprise en charge de l'intéressé, laquelle a été explicitement acceptée le 23 janvier 2020. Le préfet de police a alors décidé, par un arrêté du 26 février 2020, de remettre M. C... aux autorités allemandes. Le préfet de police fait appel du jugement du 17 juin 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté.
2. Les requêtes n° 20PA01789 et n° 20PA02084 présentées par le préfet de police tendent respectivement à l'annulation et au sursis à l'exécution du même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre (...) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre. ".
4. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté attaqué, confirmés par les pièces du dossier, que le préfet de police a saisi les autorités allemandes d'une demande de reprise en charge de M. C... sur le fondement du d) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 et que ces autorités ont expressément accepté cette reprise en charge sur le même fondement, la demande d'asile déposée par l'intéressé en Allemagne ayant été rejetée. Dans ces conditions, la circonstance que cet arrêté est par ailleurs entaché d'une erreur matérielle, le préfet de police ayant mentionné que les autorités allemandes étaient responsables de la demande d'asile sur le fondement du b) du 1 de l'article 18, ne saurait en tout état de cause établir que la situation personnelle de M. C..., dont le résumé de l'entretien individuel avec l'agent qualifié de la préfecture de police mentionne au demeurant que sa demande d'asile a été rejetée, n'aurait pas été examinée. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge s'est fondé sur ce motif pour annuler son arrêté du 26 février 2020.
5. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif de Paris.
6. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été signé par M. B..., chef du 12ème bureau de direction de la police générale de la préfecture de police, qui bénéficiait à cet effet d'une délégation de signature du préfet de police en vertu d'un arrêté n° 2020-00117 du 31 janvier 2020, régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture de Paris du 3 février 2020. Le moyen tiré du vice d'incompétence manque ainsi en fait.
7. En deuxième lieu, en vertu du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, lorsqu'une telle demande est présentée, un seul État, parmi ceux auxquels s'applique ce règlement, est responsable de son examen. Cet État, dit État membre responsable, est déterminé en faisant application des critères énoncés aux articles 7 à 15 du chapitre III du règlement ou, lorsqu'aucun État membre ne peut être désigné sur la base de ces critères, du premier alinéa du paragraphe 2 de l'article 3 du chapitre II. Si l'État membre responsable est différent de l'État membre dans lequel se trouve le demandeur, ce dernier peut être transféré vers cet État, qui a vocation à le prendre en charge. Lorsqu'une personne a antérieurement présenté une demande d'asile sur le territoire d'un autre État membre, elle peut être transférée vers cet État, à qui il incombe de la reprendre en charge, sur le fondement des b), c) et d) du paragraphe 1 de l'article 18 du chapitre V et du paragraphe 5 de l'article 20 du chapitre VI de ce même règlement. En application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre État membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre État membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
8. L'arrêté du 26 février 2020 comprend l'ensemble des mentions requises par les principes rappelés au point 7 dès lors qu'il vise les règlements communautaires n° 604/2013, n° 1560/2003 et n° 343/2003 relatifs à la détermination de l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile dans les États membres de l'Union européenne et mentionne les éléments de faits relatifs à la situation personnelle de M. C..., notamment la circonstance que l'examen de ses empreintes digitales a révélé qu'il a déposé une demande d'asile en Allemagne le 14 octobre 2019 et que les autorités allemandes ont accepté de le reprendre en charge le 23 janvier 2020, nonobstant l'erreur matérielle précitée. En outre, cet arrêté, qui n'avait pas à rappeler l'ensemble des éléments de fait relatifs à la situation personnelle du requérant, vise les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mentionne qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. C... et que l'intéressé n'établit pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités de l'État responsable de sa demande d'asile. Cet arrêté est ainsi suffisamment motivé.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel (...) est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ".
10. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a bénéficié d'un entretien individuel mené par un agent du 12ème bureau de la direction de la police générale de la préfecture de police, assisté d'un interprète en langue bengali. Si cet agent n'est pas identifié sur le compte-rendu d'entretien, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que l'entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national, conformément aux dispositions du 5 de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui n'exigent pas plus que les dispositions du droit national que l'identité de l'agent qui a mené l'entretien soit indiquée sur le compte-rendu transmis par l'administration. Par ailleurs, compte tenu de l'objet de l'arrêté attaqué, il ne ressort pas des pièces du dossier que cet entretien serait sommaire et d'une durée insuffisante pour que M. C... comprenne les informations qui lui ont été fournies conformément à l'article 4 de ce règlement. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées au point 9 doit être écarté.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Par ailleurs, selon l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
12. M. C... soutient qu'il sera renvoyé au Bangladesh en cas de transfert vers l'Allemagne et qu'il encourt des risques pour sa vie en cas de retour dans son pays d'origine. Toutefois, l'Allemagne est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et M. C... n'apporte aucun élément de nature à établir que les autorités allemandes n'évalueront pas, avant de procéder à un éventuel éloignement de l'intéressé, les risques auxquels il serait exposé en cas de retour au Bangladesh. Dans ces conditions, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de ce que le préfet de police aurait entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de faire application des dispositions de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013, à les supposer invoqués dans la demande introductive, doivent être écartés.
13. Enfin, l'arrêté attaqué n'a pas pour objet d'assigner M. C... à résidence. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 561-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est ainsi inopérant à l'encontre de la décision de transfert. Il en est de même des moyens dirigés contre l'assignation à résidence alléguée, tirés de la méconnaissance des droits de la défense, de l'erreur manifeste d'appréciation et de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 26 février 2020. Ce jugement doit dès lors être annulé et la demande de M. C... rejetée.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :
15. La Cour se prononçant, par le présent arrêt, sur la requête du préfet de police tendant à l'annulation du jugement du 17 juin 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris, il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 20PA02084 par laquelle le préfet de police sollicite de la Cour le sursis à l'exécution de ce jugement.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 20PA02084.
Article 2 : Le jugement n° 2005254 du 17 juin 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 3 : La demande de M. C... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... C....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. D..., président de la formation de jugement,
- Mme Marion, premier conseiller,
- M. Sibilli, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 novembre 2020.
Le président-rapporteur,
F. D...L'assesseur le plus ancien,
I. MARION
La greffière,
C. DABERTLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA01789, 20PA02084