Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 17 juillet 2020, M. A..., représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2007400 du 13 juin 2020 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir, l'arrêté du préfet de police du 15 mai 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asile ainsi qu'un formulaire OFPRA dans le délai de cinq jours à compter de la notification du présent arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et L. 761-1 du code de justice administrative.
M. A... soutient que :
- le jugement est irrégulier, dès lors le premier juge a omis de répondre au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- le préfet de police a commis une erreur de droit en désignant l'Allemagne comme l'État membre responsable de l'examen de sa demande d'asile ;
- l'arrêté contesté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions du 2e alinéa de l'article 3.2 et de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- il a été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un courrier du 15 décembre 2020, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la décision de la Cour était susceptible d'être fondée sur un moyen d'ordre public tiré de l'existence d'un non-lieu à statuer sur la requête, dans la mesure où l'arrêté de transfert du 15 mai 2020 n'est plus susceptible d'exécution à l'expiration d'un délai de six mois ayant couru à compter de la notification du jugement du 13 juin 2020 au préfet de police.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 décembre 2020, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Le préfet de police soutient que :
- il y a lieu de statuer sur la requête, dès lors que M. A... a été remis aux autorités allemandes le 10 novembre 2020 ;
- les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Le président du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal judiciaire de Paris a accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à M. A... par une décision en date du 3 septembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 de la Commission modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 ;
- les décrets n° 2020-1404 et n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant afghan qui serait né le 1er janvier 1997 selon ses déclarations, est entré irrégulièrement sur le territoire français et a présenté une demande d'asile au guichet unique des demandeurs d'asile de Paris le 13 février 2020. La consultation du fichier " Eurodac " a révélé que l'intéressé a présenté une demande d'asile auprès des autorités bulgares le 26 octobre 2018, puis auprès des autorités allemandes le 31 mars 2019. Le préfet de police a adressé aux autorités allemandes une demande de reprise en charge de M. A... le 14 février 2020, qu'elles ont acceptée le 21 février 2020 sur le fondement des dispositions du d) du 1. de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Le préfet de police a alors décidé, par l'arrêté contesté du 15 mai 2020, de remettre M. A... aux autorités allemandes. L'intéressé fait appel du jugement du 13 juin 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. M. A... soutient que le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a omis de répondre au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration. Si le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions, soulevé par le requérant en première instance, était inopérant et pouvait, à ce titre, être écarté implicitement, il appartenait toutefois au premier juge de l'analyser dans les visas du jugement attaqué. Dès lors, en l'absence d'une telle analyse et de réponse dans les motifs du jugement attaqué, celui-ci est entaché d'irrégularité.
3. Par suite, il y a lieu d'annuler le jugement, sauf en ce qu'il admet M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, et de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur les conclusions de la demande de M. A... tendant à l'annulation de la décision du préfet de police prononçant sa remise aux autorités allemandes.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de transfert :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ". Aux termes de l'article
L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Et aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre État peut faire l'objet d'un transfert vers l'État responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. (...) ".
5. Il résulte de ces dispositions que la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre État membre ayant accepté de le prendre ou de reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre État membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application. S'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre État membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet État, doit être regardé comme suffisamment motivée la décision de transfert qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'État en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.
6. En l'espèce, l'arrêté en litige comporte les mentions des textes applicables, notamment la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales, le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'arrêté en litige mentionne également les éléments de fait pertinents relatifs à la situation de M. A.... Il précise qu'il est entré irrégulièrement sur le territoire français et qu'il a présenté une demande d'asile au guichet unique des demandeurs d'asile de Paris le 13 février 2020. Il mentionne que la consultation du fichier " Eurodac " a révélé que l'intéressé a demandé l'asile auprès des autorités bulgares le 26 octobre 2018 puis auprès des autorités allemandes le 31 mars 2019. Il précise également que le préfet de police a adressé aux autorités allemandes une demande de reprise en charge de l'intéressé le 14 février 2020, qu'elles ont acceptée le 21 février 2020 sur le fondement du d) du 1. de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Ces éléments permettent à l'intéressé de comprendre les motifs sur lesquels s'est fondé le préfet de police pour déterminer que l'Allemagne était responsable de l'examen de sa demande d'asile. L'arrêté contesté indique également qu'au regard des éléments de fait caractérisant la situation de M. A..., sa situation ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Enfin, il relève que l'intéressé ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale stable en France et qu'il n'établit pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités responsables de l'examen de sa demande d'asile. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté en litige doit être écarté comme manquant en fait.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 (...) ". Il résulte de l'annexe X au règlement (CE) du 2 septembre 2003 que ladite brochure comprend une partie A intitulée " Informations sur le règlement de Dublin pour les demandeurs d'une protection internationale en vertu de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 " et une partie B intitulée " Procédure de Dublin - Informations pour les demandeurs d'une protection internationale dans le cadre d'une procédure de Dublin en vertu de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 ".
8. Il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est vu remettre par les services préfectoraux, contre signature, les 12 et 13 février 2020, soit le jour de la présentation de sa demande d'asile au guichet unique des demandeurs d'asile de Paris, le guide du demandeur d'asile ainsi que trois brochures d'information intitulées : " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' ", dite " brochure A " ; " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", dite " brochure B " ; et " Les empreintes digitales et Eurodac ". Ces documents ont été remis à l'intéressé en langue pachtou, qu'il a déclaré comprendre. Au surplus, M. A... a signé sans aucune réserve le résumé de son entretien individuel du 13 février 2020, attestant que les informations sur les règlements communautaires lui ont été remises et qu'il a compris la procédure engagée à son encontre sur le fondement du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il suit de là que M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'il a été privé des garanties prévues par les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) . 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. ".
10. Si, en vertu de l'article R. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de police est l'autorité compétente pour procéder à la détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que l'entretien individuel requis pour l'application de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 soit mené par un agent de la préfecture de police. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. A... a bénéficié, le 13 février 2020, dans les locaux de la préfecture de police, d'un entretien individuel assuré par un agent du 12ème bureau de la direction de la police générale de la préfecture de police, service chargé d'instruire les demandes d'asile, assisté d'un interprète en langue pachto de l'agence ISM interprétariat. Dès lors, et en l'absence de tout élément en sens contraire versé au dossier, cet agent doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national, conformément aux dispositions précitées du 5 de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté comme manquant en fait.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l'adresse administratives de l'agent chargé d'instruire sa demande ou de traiter l'affaire qui la concerne ; ces éléments figurent sur les correspondances qui lui sont adressées. Si des motifs intéressant la sécurité publique ou la sécurité des personnes le justifient, l'anonymat de l'agent est respecté ".
12. Si le requérant soutient que le résumé de son entretien individuel ne comporte pas les prénom, nom, qualité et adresse administrative d'un agent de l'administration en méconnaissance de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration, le résumé de l'entretien individuel de M. A... ne saurait être assimilé à une correspondance au sens de l'article L. 111-2 et n'avait donc pas à contenir les mentions exigées par ces dispositions. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration est inopérant.
13. En cinquième lieu, aux termes de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Lorsqu'un État membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre État membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac (" hit "), en vertu de l'article 9 paragraphe 5, du règlement (UE) n° 603/2013. ". Aux termes de l'article 2 du règlement d'application (CE) n° 1560/2003 modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la commission du 30 janvier 2014 : " Une requête aux fins de reprise en charge est présentée à l'aide du formulaire type dont le modèle figure à l'annexe III, exposant la nature et les motifs de la requête et les dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil sur lesquelles elle se fonde. ".
14. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de police a saisi, le 14 février 2020, les autorités allemandes d'une demande de reprise en charge de M. A... sur le fondement du b) du 1. de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, présentée avec le formulaire adéquat, que, par une réponse du 21 février 2020, dont le préfet de police produit la copie, les autorités allemandes ont acceptée sur le fondement du d) de cet article. Le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige aurait été pris à l'issue d'une procédure irrégulière, faute pour le préfet de police de justifier avoir procédé aux diligences requises par les dispositions des articles 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et 2 du règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003, doit ainsi être écarté.
15. En sixième lieu, d'une part, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, intégré dans le chapitre II de ce règlement intitulé " Principes généraux et garanties " : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen (...) ". Le chapitre III de ce règlement est intitulé " Critères de détermination de l'État responsable ". D'autre part, aux termes de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, intégré dans le chapitre V du règlement, intitulé " Obligations de l'État membre responsable " : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; (...) ; d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre. (...) ".
16. L'arrêté du 15 mai 2020 du préfet de police qui fonde le transfert de M. A... aux autorités allemandes sur les dispositions du d) du 1. de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 relatives à la reprise en charge d'un demandeur d'asile par un État membre de l'Union européenne, expose que celui-ci a présenté une demande d'asile successivement en Bulgarie, puis en Allemagne, avant de solliciter l'asile auprès des autorités nationales, et porte l'appréciation selon laquelle les critères mentionnés au chapitre III. du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne sont pas applicables à sa situation.
17. Toutefois, selon l'avis contentieux du Conseil d'État n° 420900 du 7 décembre 2018, lorsqu'une personne a antérieurement présenté une demande d'asile sur le territoire d'un autre État membre, elle peut être transférée vers cet État, à qui il incombe de la reprendre en charge, sur le fondement des b), c) et d) du paragraphe 1 de l'article 18 du chapitre V et du paragraphe 5 de l'article 20 du chapitre VI du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Cet avis expose en outre qu'est suffisamment motivée, au sens des dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une décision de transfert qui mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre État membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application. L'avis précise à titre d'exemple que, s'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre État membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet État, doit être regardé comme suffisamment motivée la décision de transfert qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'État en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.
18. Il ressort en outre de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt n° C-582/217 et C-583/17 du 2 avril 2019, au point 52, que les b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne trouvent à s'appliquer que si l'État membre dans lequel une demande a été antérieurement introduite a achevé la procédure de détermination de l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile en admettant sa responsabilité pour examiner cette demande et en a débuté l'examen, au point 58, que la procédure de reprise en charge est régie par des dispositions présentant des différences substantielles avec celles gouvernant la procédure de prise en charge et, aux points 65 à 72, que malgré le libellé " Obligations de l'État membre responsable " du chapitre V, l'interprétation selon laquelle une requête aux fins de reprise en charge ne pourrait être formulée que si l'État membre requis peut être désigné comme l'État responsable en application des critères de responsabilité énoncés au chapitre III du règlement est contredite par l'économie générale de ce règlement.
19. Il ressort de ces jurisprudences que les critères du chapitre III du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne sont susceptibles de fonder une décision de transfert que s'il s'agit d'un transfert en vue d'une première prise en charge, et non en vue d'une reprise en charge. Il en ressort également que les dispositions de l'article 18-1, b) à d) de ce règlement doivent être regardées comme figurant au nombre des critères énumérés dans le règlement, au sens du 2 de l'article 3 du règlement. Par suite, lorsqu'une personne a antérieurement présenté des demandes d'asile auprès d'un ou de plusieurs États membres, avant d'entrer sur le territoire d'un autre État membre pour y solliciter de nouveau l'asile dans des conditions permettant à cet État de demander sa reprise en charge sur le fondement des dispositions de l'article 18-1 b), c) ou d) du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, sa situation ne relève pas des dispositions du premier alinéa du 2 de l'article 3 du règlement, qui concernent le cas dans lequel aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans ce règlement.
20. Il ressort des pièces du dossier que les recherches effectuées par les services du ministère de l'intérieur dans le fichier " Eurodac " à partir des relevés décadactylaires de M. A... ont permis d'établir qu'il avait présenté, le 26 octobre 2018, une demande d'asile auprès des autorités bulgares puis, le 31 mars 2019, auprès des autorités allemandes. Les autorités allemandes ont explicitement accepté de reprendre en charge le requérant le 21 février 2020 sur le fondement du d) du 1. de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, mettant ainsi fin au processus de détermination de l'État membre responsable de l'examen de la demande d'asile. Par suite, la situation de M. A... ne relève pas, contrairement à ce qu'il allègue et en vertu de la règle énoncée au point 18, des dispositions du premier alinéa du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 en application desquelles, lorsqu'aucun aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans ce règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen de cette demande. Il s'ensuit que M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'en désignant l'Allemagne comme État membre responsable de l'examen de sa demande d'asile, le préfet de police aurait commis une erreur de droit.
21. En sixième lieu, le paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dispose que : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du premier paragraphe de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement ".
22. M. A... soutient qu'en cas de remise aux autorités allemandes il risquerait d'être renvoyé en Afghanistan, où il serait exposé à des traitements inhumains et dégradants en raison de la situation de violence généralisée dans sa province d'origine aussi bien qu'à Kaboul, seul point d'entrée sur le territoire national. Il fait valoir qu'il a été définitivement débouté de l'asile en Allemagne, où il fait l'objet d'une décision lui faisant obligation de quitter le territoire national et que les autorités de ce pays ont accepté de le reprendre en charge sur le fondement des dispositions du d) du 1. de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 visant les étrangers dont la demande de protection internationale a été rejetée. Toutefois, l'arrêté contesté n'a ni pour objet ni pour effet d'éloigner M. A... vers l'Afghanistan, mais uniquement de prononcer son transfert vers l'Allemagne. En tout état de cause, l'Allemagne État membre de l'Union européenne, est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut de réfugié, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ainsi, en se bornant à faire valoir des éléments d'ordre général, tels que des extraits de rapports internationaux et d'articles de presse, M. A... n'établit pas qu'il existerait des défaillances systémiques en Allemagne dans la procédure d'asile ou que sa demande ne sera pas traitée dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités allemandes, qui ont explicitement accepté de reprendre le requérant en charge le 21 février 2020, n'évalueront pas, avant de procéder à son éventuel éloignement, les risques auxquels il serait exposé en cas de retour en Afghanistan. Dans ces conditions, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 précitées, des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de ce que le préfet de police aurait entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de faire application des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, quand bien même le frère du requérant se serait vu reconnaître la qualité de réfugié en France, doivent être écartés.
23. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 15 mai 2020 du préfet de police présentées par M. A... doivent être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
24. Le présent arrêt n'impliquant aucune mesure d'exécution, les conclusions à fin d'injonction présentées par M. A... doivent être rejetées.
Sur les conclusions relatives aux frais de l'instance :
25. Les dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement au conseil de M. A... de la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2007400 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris du 13 juin 2020 est annulé sauf en ce qu'il admet M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le Tribunal administratif et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 6 mai 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- M. Platillero, président assesseur,
- Mme C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 27 mai 2021.
Le rapporteur,
I. C...Le président,
S.-L. FORMERY
La greffière,
F. DUBUY-THIAM
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA01778