Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 16 janvier 2018 et des mémoires enregistrés le 24 octobre 2018 et le 3 mai 2019, la société Viva Model Management, représentée par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1622167 du 15 novembre 2017 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012 et des intérêts de retard correspondants ;
3°) à titre subsidiaire, de prononcer une expertise ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'existence d'un acte anormal de gestion n'est pas caractérisée, dès lors qu'elle justifie avoir un réel intérêt à la cession de la nue-propriété à M. C...B... ; le règlement des dividendes à M. B... par cession de la nue-propriété du bien à hauteur de 250 000 euros lui a permis de préserver sa situation financière, dès lors que son autre associé, la société SA EMF-Equity Management et Finance, souhaitait percevoir ses dividendes en numéraire ;
- la cession ne s'est pas faite à un prix symbolique ;
- en abandonnant les pénalités de 40 % pour manquement délibéré, l'interlocuteur régional a reconnu que la cession du bien immobilier avait été effectuée dans des conditions normales ; le maintien de la qualification d'acte anormal de gestion malgré l'abandon de la pénalité pour manquement délibéré est contradictoire ;
- la valeur réelle retenue par le service de 699 380 euros, soit 11 000 euros le m², est excessive ; les trois termes de comparaison retenus par l'administration ne sont pas comparables au bien à évaluer, qui est atypique au regard de sa situation géographique et de sa configuration ; les termes de comparaison qu'elle propose sont situés dans le même secteur géographique, critère qui est plus pertinent que celui de l'arrondissement, dans un périmètre de 600 mètres ;
- A titre de recoupement, doivent être utilisées, d'une part, la méthode d'évaluation par réajustement de la valeur antérieure du bien, qui aboutit à une valeur réactualisée du prix au m² de 9 784 euros et, d'autre part, l'évaluation par deux experts, qui ont estimé un prix au m² variant entre 7 313 euros et 7 937 euros ;
- elle demande l'application d'une décote de 10 % pour compenser le manque de luminosité du bien et d'une décote de 10 % en raison de l'absence de salle de bains ;
- la différence entre la valeur vénale de 559 504 euros évaluée par le service et la valeur de 510 000 euros retenue dans l'acte de cession par les parties est inférieure à 10 % et ne peut donc caractériser un acte anormal de gestion.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 20 avril 2018 et le 25 avril 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Viva Model Management ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Poupineau,
- les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public,
- et les observations de Me D... pour la société Viva Model Management.
Une note en délibéré, enregistrée le 10 mai 2019, a été présentée pour la société Viva Model Management.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Viva Model Management, agence de mannequins à Paris, a vendu le 27 juin 2012 à M. B..., son gérant et associé majoritaire, la nue-propriété d'un immeuble d'une superficie de 63,58 m², situé 15, rue Duphot à Paris (75001) au prix de 250 000 euros. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle le service a considéré que ce bien immobilier avait été sous évalué et que la cession de sa nue-propriété avait été consentie, sans justification aucune, à un prix minoré, présentant ainsi le caractère d'une libéralité constitutive d'un acte anormal de gestion. Il a, en conséquence, réintégré au résultat de la société de l'exercice clos en 2012 la somme de 288 523 euros correspondant à la différence entre le prix normal de la cession de la nue-propriété et le prix de vente déclaré. La SAS Viva Model Management fait appel du jugement en date du 15 novembre 2017, par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, assorties des intérêts de retard auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012, résultant de cette rectification.
2. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt.
3. S'agissant de la cession d'un élément d'actif immobilisé, lorsque l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, soutient que la cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale qu'elle a retenue et que le contribuable n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause cette évaluation, elle doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de l'acte de cession si le contribuable ne justifie pas que l'appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l'intérêt de l'entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu'elle en ait tiré une contrepartie.
4. Il résulte de l'instruction que, pour déterminer la valeur du bien immobilier de la société Viva Model Management, l'administration a pris comme termes de comparaison trois cessions réalisées respectivement les 20 janvier, 17 avril et 24 janvier 2012, dans le premier arrondissement de Paris, pour un prix moyen de 11 000 euros le m². Elle a ainsi estimé à 699 380 euros la valeur réelle de l'appartement en litige au lieu de celle de 510 000 euros convenue entre les parties à la cession du 27 juin 2012, à partir de laquelle, faisant application des dispositions de l'article 669, II du code général des impôts, qui dispose que " L'usufruit constitué pour une durée fixe est estimé à 23 % de la valeur de la propriété entière pour chaque période de dix ans de la durée de l'usufruit, sans fraction et sans égard à l'âge de l'usufruitier", elle a fixé la valeur respective de l'usufruit et de la nue-propriété à 160 857 euros et 538 523 euros.
5. Pour contester l'évaluation ainsi réalisée, la société Viva Model Management fait valoir que les cessions prises comme termes de référence par l'administration ne portent pas sur des biens immobiliers similaires au sien, qui est atypique au regard de sa situation géographique, de sa configuration et de son affectation. Elle précise que, s'il est bien entretenu, sa hauteur sous plafond n'atteint pas 2,50 m, qu'il est mal exposé et donc peu lumineux, qu'il a été aménagé pour les besoins d'une activité professionnelle et ne dispose pas de salle de bains. Et que, au contraire, les biens cédés le 20 janvier et 17 avril 2012, situés respectivement 33, rue Coquillière et 23, rue du Roule- 79/81, rue Saint Honoré, dans un autre secteur géographique, bénéficient d'un meilleur ensoleillement, que le second est un studio d'une superficie de 25 m², alors que son appartement, qui comporte deux pièces, mesure 63,58 m², et que le dernier, situé 3, rue du 29-Juillet, est dans un immeuble en pierres de taille.
6. Toutefois, il résulte de l'instruction que les cessions retenues par le service ont été conclues à des dates peu éloignées de l'opération en litige et concernent des appartements implantés dans le même arrondissement que le bien appartenant à la société Viva Model Management, lui-même situé à proximité de la rue Saint-Honoré et de la Place de la Madeleine, dans un secteur très recherché de Paris. La circonstance que l'un des appartements ne développe qu'une superficie de 25 m² ne s'oppose pas à ce qu'il soit pris en compte pour l'évaluation de la valeur réelle du bien en cause. De même, la société requérante reconnait que, si le bien situé 3, rue du 29-Juillet est dans un immeuble en pierres de taille, il présente de nombreuses similitudes avec son appartement.
7. Par ailleurs, la société requérante se prévaut de six autres cessions portant sur des immeubles implantés à 600 mètres de l'appartement qu'elle détient rue Duphot. Toutefois, ces cessions, qui ne figurent pas sur les bases de données administratives et pour lesquelles aucun acte n'a été produit, ont été conclues entre les mois de février et décembre 2011, à des dates plus éloignées de l'opération en litige que celles proposées par le service alors que le marché de l'immobilier a connu durant cette période une évolution significative. Les biens concernés sont, en outre, situés dans des secteurs moins recherchés que celui du bien dont l'évaluation est critiquée. Les éléments de comparaison proposés par la société Viva Model Management n'apparaissent ainsi pas plus pertinents que ceux retenus par le service et ne peuvent ainsi être pris en compte pour déterminer la valeur vénale de son bien.
8. Elle ne peut davantage se fonder sur les conclusions de l'expertise réalisée par M. E...A...le 18 juillet 2014, qui reprend comme termes de référence les six biens immobiliers écartés au point précédent. De même, la lettre du cabinet Sotheby's, si elle fait état d'une estimation de l'appartement de la société Viva Model Management à la somme de 500 000 euros, ne comporte aucun détail sur les modalités de cette évaluation ni aucune justification de la valeur ainsi obtenue. Enfin, l'étude de prix, qu'elle a produite pour la première fois en appel, du cabinet Robine et Associés, qui évalue le bien à 590 000 euros, soit 9 280 euros le m² comprenant la création d'une salle de bain, confirme d'une part, que le secteur d'implantation de cet immeuble est particulièrement recherché et repose, d'autre part, sur l'analyse de 9 cessions dont seulement deux portent sur des locaux situés dans le premier arrondissement. A cet égard, l'étude mentionne la cession d'un appartement d'une superficie de 48 m², situé 24, rue de la Sourdière, au 1er étage d'un immeuble sans caractère particulier, réalisée au cours du mois de décembre 2011 au prix de 570 000 euros, soit 11 875 euros le m², supérieur à celui retenu par l'administration pour déterminer la valeur de la nue-propriété cédée à M.B.... S'il est également indiqué qu'un appartement de 4 pièces, de 76 m², situé 320, rue Saint-Honoré, a été vendu en janvier 2012 au prix de 636 340 euros, soit 8 373 euros le m², cette valeur suscite des interrogations sur l'état d'entretien de ce bien, qui n'est, tout comme pour les autres termes de référence, pas précisé. Ainsi, l'estimation de cette étude ne peut être retenue pour apprécier la valeur vénale du bien immobilier de la société Viva Model Management.
9. Il résulte de ce qui précède que la méthode d'évaluation appliquée par l'administration repose sur des termes de comparaison pertinents et a permis de déterminer avec suffisamment de précision la valeur réelle de l'appartement en litige. Par suite, il n'y a pas lieu de recourir, ainsi que le demande la société requérante, à la méthode d'évaluation par réajustement de la valeur antérieure du bien.
10. La société Viva Model Management demande également l'application de deux abattements de 10 % pour compenser le manque de luminosité et l'absence de salle de bains. Toutefois, la prise en compte de ces abattements n'est pas justifiée alors que l'appartement dont la nue-propriété a été cédée à M. B...est à usage de bureaux et que le ministre soutient sans être contredit qu'il a été acquis en 2007 par la contribuable sans qu'aucune décote ne soit pratiquée sur son prix de vente.
11. La société requérante fait également valoir que l'écart entre l'estimation qu'elle propose à 559 504 euros et le prix fixé dans l'acte de cession à 510 000 euros, est inférieur à 10 % et qu'il ne peut, eu égard à sa faible importance, être regardé comme caractérisant l'existence d'un acte anormal de gestion. Cependant, il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que c'est à bon droit que le service a considéré que la valeur vénale du bien immobilier de la rue Duphot s'établissait, à la date de la cession en litige, à 699 380 euros. Dès lors, l'administration apporte la preuve qui lui incombe de l'existence d'un écart significatif entre le prix de vente convenu et la valeur vénale du bien cédé.
12. La circonstance alléguée par la société Viva Model Management que l'opération de cession en litige lui permettait de préserver sa situation financière et présentait ainsi un intérêt pour elle, dès lors qu'elle ne disposait pas de la trésorerie nécessaire pour verser à ses associés leurs dividendes en numéraire, outre qu'elle n'est pas établie par les pièces versées au dossier, n'est pas de nature à justifier la minoration dans de telles proportions du prix de cession. Par ailleurs, la société requérante ne soutient pas avoir bénéficié d'une contrepartie en retour de cette cession. Par suite, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de l'acte de cession de la nue-propriété de l'immeuble de la société Viva Model Management à M. B.... Ce caractère anormal n'est pas démenti, en l'absence de motivation précise, par l'abandon par l'interlocuteur départemental, dans son courrier du 16 juillet 2015, qui se borne à évoquer " les circonstances de fait ", des pénalités pour manquement délibéré initialement infligées à la société sur le fondement du a) de l'article 1729 du code général des impôts. Dès lors, c'est à bon droit que l'administration a réintégré au résultat de l'exercice clos en 2012 le montant de la minoration.
13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sollicitée, que la société Viva Model Management n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Viva Model Management est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Viva Model Management et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au directeur général des finances publiques, direction de contrôle fiscal de la région d'Île-de-France (Division juridique Ouest).
Délibéré après l'audience du 9 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- Mme Poupineau, président assesseur,
- Mme Lescaut, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 29 mai 2019.
Le rapporteur,
V. POUPINEAULe président,
S.-L. FORMERY
Le greffier,
C. RENÉ-MINE
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA00188