Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 10 mai 2021, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 2 à 4 du jugement n° 2105949 du 9 avril 2021 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il a retenu comme fondé un moyen qui n'était pas soulevé ;
- aucun des moyens soulevés n'est fondé.
La requête a été communiquée à M. B..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Aggiouri a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant pakistanais né le 28 décembre 1992, est entré irrégulièrement en France, et a sollicité, le 27 janvier 2021, son admission au séjour au titre de l'asile. Par un arrêté du 11 mars 2021, le préfet de police a décidé le transfert de M. B... aux autorités allemandes. Par un jugement du 9 avril 2021, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, a annulé l'arrêté du 11 mars 2021 du préfet de police, a enjoint au préfet de police de procéder à un nouvel examen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement, a mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 800 euros au titre des frais liés à l'instance et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Le préfet de police relève appel des articles 2 à 4 de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Pour annuler l'arrêté du préfet de police du 11 mars 2021, le premier juge s'est fondé sur l'absence de notification, à M. B..., de la brochure dite " B " intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", en méconnaissance de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Toutefois, ce moyen n'avait pas été invoqué par M. B.... Ainsi, en se fondant sur ce moyen, qui n'est pas d'ordre public, le magistrat désigné a entaché son jugement d'irrégularité. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que les articles 2 à 4 du jugement attaqué doivent, pour ce motif, être annulés.
3. Il y a lieu pour la Cour d'évoquer l'affaire et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le Tribunal administratif de Paris tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de police du 11 mars 2021.
Sur la légalité de l'arrêté contesté :
4. En premier lieu, par un arrêté n° 2020-01102 du 28 décembre 2020, régulièrement publié au bulletin officiel de la ville de Paris du 5 janvier 2021, le préfet de police a donné à Mme D... C..., attachée de l'administration de l'Etat, délégation à l'effet de signer les décisions dans la limite de ses attributions, dont relève la police des étrangers, en cas d'absence ou d'empêchement d'autorités dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elles n'ont pas été absentes ou empêchées lors de la signature de l'acte attaqué. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence dont serait entaché l'arrêté contesté doit être écarté.
5. En deuxième lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
6. L'arrêté du 11 mars 2021, par lequel le préfet de police a décidé le transfert de M. B... aux autorités allemandes, regardées comme responsables de l'examen de sa demande d'asile, vise notamment le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Il indique qu'" il ressort de la comparaison des empreintes digitales de M. B... au moyen du système Eurodac, effectuée conformément au règlement n° 603/2013 [...], que l'intéressé a sollicité l'asile auprès des autorités allemandes le 31 octobre 2015 et le 22 janvier 2018 " et que " les critères prévus par le chapitre III ne sont pas applicables à la situation de M. B..., qu'en conséquence, au regard des articles 3 et 18 (1) (b), les autorités allemandes doivent être regardées comme étant responsables de la demande d'asile de M. B... " et qu'enfin, ces autorités, après avoir été saisies sur ce fondement, " ont fait connaître leur accord le 4 mars 2021 en application de l'article 18 (1) (d) du règlement ". Par ailleurs, le préfet de police a précisé que " l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de M. B... ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement (UE) n° 604/2013 ". Par suite, cet arrêté est suffisamment motivé.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / [...] 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national [...] ".
8. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a bénéficié, le 28 janvier 2021, d'un entretien individuel assuré par un agent de la préfecture de police. Le préfet de police a produit un résumé de cet entretien individuel contenant les principales informations fournies par le demandeur à cette occasion. Il en ressort que cet entretien a eu lieu - par le biais d'un interprète qualifié de l'agence ISM interprétariat dont le nom, le prénom et l'adresse sont mentionnés - en ourdou, langue que l'intéressé, qui a indiqué " avoir compris l'ensemble des termes " de l'entretien, ne conteste pas comprendre. Si ce résumé ne comporte pas la signature de l'agent qui l'a mené, il comporte, outre un tampon du douzième bureau de la préfecture de police, la mention selon laquelle il a été " conduit par un agent qualifié de la préfecture de police ". Dès lors que l'entretien de M. B... a été conduit par une personne qualifiée au sens du paragraphe 5 de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'absence de signature de l'agent ayant conduit l'entretien individuel n'a pas privé M. B... A... la garantie tenant au bénéfice de cet entretien et à la possibilité de faire valoir toutes observations utiles. Par ailleurs, si M. B... soutient que l'agent qualifié de la préfecture de police aurait dû lui poser des questions " complémentaires " afin de savoir s'il avait déposé une demande d'asile dans un autre Etat membre, il ressort du résumé de l'entretien individuel que cette question a bien été posée à l'intéressé, qui, après y avoir répondu par la négative, a indiqué " ne pas avoir d'autre déclaration ". Dans ces conditions, M. B... ne peut soutenir qu'il n'aurait pas été en mesure de présenter utilement des observations au cours de cet entretien. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit être écarté, dans ses diverses branches.
9. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de police n'aurait pas procédé à un examen approfondi de la situation de M. B....
10. En cinquième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale par un ressortissant de pays tiers ou apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable [...] ". Aux termes de l'article 18 du même règlement : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : / [...] d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre [...] ".
11. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du relevé de consultation du fichier " Eurodac " du 27 janvier 2021, que M. B... a sollicité l'asile le 31 octobre 2015 et le 22 janvier 2018 auprès des autorités allemandes, lesquelles ont accepté la demande de reprise en charge de l'intéressé sur le fondement du d) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Si M. B... a déclaré lors de son entretien individuel du 28 janvier 2021 n'avoir jamais demandé l'asile dans un pays de l'Union européenne, il n'apporte aucun élément permettant de remettre en cause les informations figurant sur le relevé de consultation du fichier " Eurodac ". Dans ces conditions, les autorités allemandes étaient tenues de reprendre en charge M. B.... Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'Allemagne n'est pas responsable de l'examen de sa demande d'asile.
12. Enfin, M. B... soutient que le préfet de police ne pouvait prononcer son transfert aux autorités allemandes, dès lors en particulier que ces dernières pourraient le renvoyer au Pakistan. Toutefois, en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe en Allemagne des défaillances systémiques dans le traitement des demandeurs d'asile et alors que l'intéressé ne fait état d'aucun élément particulier susceptible d'établir qu'il serait soumis en Allemagne à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur la situation personnelle de M. B... doit être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de police du 11 mars 2021. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction sous astreinte et les conclusions tendant au paiement des frais liés à l'instance qu'il a présentées devant le Tribunal administratif de Paris doivent également être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : Les articles 2 à 4 du jugement n° 2105949 du 9 avril 2021 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : Les conclusions aux fins d'annulation, d'injonction sous astreinte et tendant au paiement de frais liés à l'instance présentées par M. B... devant le Tribunal administratif de Paris sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... B....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 23 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- M. Aggiouri, premier conseiller.
Rendu public par mise à dispositions au greffe, le 30 septembre 2021.
Le rapporteur,
K. AGGIOURILa présidente,
H. VINOT
La greffière,
F. DUBUY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA02539 2