Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 26 mars 2018 et des mémoires en réplique enregistrés les 22 et 28 décembre 2018, M. C..., représenté par Me B...Pierre, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1714357 du 19 septembre 2017 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler les décisions susmentionnées pour excès de pouvoir ;
3°) d'enjoindre au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale, de lui remettre une attestation de demande d'asile " procédure normale " et de lui remettre le formulaire OFPRA ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros à verser au conseil du requérant, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
S'agissant de la décision de transfert aux autorités italiennes :
- elle est entachée d'un défaut de motivation, faute de préciser le critère de détermination de l'État responsable de l'examen de sa demande d'asile qui a justifié un transfert à destination de l'Italie ;
- elle a été prise en méconnaissance de l'article 5 du règlement communautaire n° 604/2013 et de l'article R. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le compte rendu de cet entretien ne mentionnant pas la personne qui l'a mené et n'étant pas signé, il ne peut s'assurer qu'il a été réalisé par une personne qualifiée ;
- sa demande de protection internationale doit être regardée comme ayant été introduite le 3 février 2017 ;
- cet arrêté a méconnu les dispositions de l'article 23 du règlement n° 604/2013, la requête adressée aux autorités italiennes le 17 mai 2017 étant tardive ;
- le tribunal administratif n'a pas répondu à ce moyen ;
- l'article 4.1 du règlement n°604/2013 a été méconnu en ce que l'information qui devait lui être délivrée dès l'introduction de sa demande d'asile le 3 février 2017, ne l'a été que le 15 mai 2017 ;
- l'article L. 741-1-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été méconnu, sa demande de protection internationale ayant été enregistrée tardivement ;
- la requête aux fins de reprise en charge adressée aux autorités italiennes le 17 mai 2017 était tardive, plus de deux mois s'étant écoulé depuis le résultat positif Eurodac du 3 février 2017.
S'agissant de la décision portant assignation à résidence :
- l'article L. 561-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été méconnu en ce qu'il n'est pas établi que le formulaire prévu par ces dispositions lui a effectivement été remis ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée au préfet de police, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Par un courrier du 17 octobre 2018, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de ce que les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 15 mai 2017 du préfet de police étaient devenues sans objet, l'arrêté n'étant plus susceptible d'exécution.
Par un mémoire enregistré le 24 octobre 2018, M. C...a présenté des observations en réponse à ce courrier, et a notamment fait valoir que le délai de transfert avait été prolongé.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du 9 février 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Doré,
- et les observations de Me Pierre, avocat de M.C....
Considérant ce qui suit :
1. M.C..., ressortissant de nationalité érythréenne né le 1er janvier 1972, déclare être entré sur le territoire français le 25 janvier 2017. Il s'est présenté au centre d'examen de situation administrative le 3 février 2017 où il a fait l'objet d'une vérification d'empreintes dactyloscopiques sur le fondement du b) du 1 de l'article 17 du règlement Eurodac n° 603/2013 du 26 juin 2013. Les autorités norvégiennes ont alors refusé de reprendre en charge M.C..., par une décision du 7 février 2017, en indiquant qu'à la suite du dépôt par ce dernier d'une demande d'asile en Norvège le 6 novembre 2014, l'Italie avait implicitement accueilli leur requête aux fins de reprise en charge de l'intéressé, et que M. C...avait en conséquence été transféré vers l'Italie, Etat responsable de sa demande d'asile. Le 15 mai 2017, M. C...s'est présenté au guichet unique des demandeurs d'asile à Paris où il a été mis en possession d'une attestation de demande d'asile. Un nouveau relevé de ses empreintes a été réalisé et une demande de reprise en charge a été adressée aux autorités italiennes le 17 mai 2017. Cette demande ayant été implicitement acceptée, le préfet de police a pris, le 15 septembre 2017, un arrêté décidant du transfert de M. C... aux autorités italiennes. M. C...relève appel du jugement du 19 septembre 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et de l'arrêté du même jour par lequel il a décidé son assignation à résidence.
2. Aux termes de l'article 18 du règlement n° 604/2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) / b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ". Aux termes de l'article 24 du même règlement, relatif à la " Présentation d'une requête aux fins de reprise en charge lorsque aucune nouvelle demande a été introduite dans l'État membre requérant " : " 1. Lorsqu'un État membre sur le territoire duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b) (...), se trouve sans titre de séjour et auprès duquel aucune nouvelle demande de protection internationale n'a été introduite estime qu'un autre État membre est responsable conformément (...) à l'article 18, paragraphe 1, point b) (...), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / 2. (...) lorsqu'un État membre sur le territoire duquel une personne se trouve sans titre de séjour décide d'interroger le système Eurodac (..), la requête aux fins de reprise en charge d'une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b) (...), du présent règlement (...), dont la demande de protection internationale n'a pas été rejetée par une décision finale, est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac (...) / Si la requête aux fins de reprise en charge est fondée sur des éléments de preuve autres que des données obtenues par le système Eurodac, elle est envoyée à l'État membre requis, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l'État membre requérant a appris qu'un autre État membre pouvait être responsable pour la personne concernée. / 3. Si la requête aux fins de reprise en charge n'est pas formulée dans les délais prévus au paragraphe 2, l'État membre sur le territoire duquel la personne concernée se trouve sans titre de séjour donne à celle-ci la possibilité d'introduire une nouvelle demande. ".
3. Par l'arrêt du 25 janvier 2018, Bundesrepublik Deutschland contre Aziz Hasan, C-360/16, la Cour de Justice de l'Union Européenne a dit pour droit qu'il y a lieu, en vue de sauvegarder l'effet utile de l'article 24, paragraphe 3, du règlement Dublin III, d'interpréter cette disposition en ce sens que, lorsque la requête aux fins de reprise en charge n'est pas formulée dans les délais prévus à l'article 24, paragraphe 2, de ce règlement, l'État membre sur le territoire duquel se trouve la personne concernée sans titre de séjour est responsable de l'examen de la nouvelle demande de protection internationale que cette personne doit être autorisée à introduire.
4. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M.C..., qui se borne à invoquer une pratique générale et à produire des documents types, ait manifesté le souhait de présenter une demande de protection internationale en France lorsqu'il s'est présenté au centre d'examen des situations administratives à Paris le 3 février 2017. Toutefois, M. C...a fait l'objet, à cette date, d'une vérification d'empreintes dactyloscopiques qui a abouti à un résultat positif Eurodac. Or, si le préfet de police a saisi sans délai les autorités norvégiennes aux fins de reprise en charge de M. C..., la requête aux fins de reprise en charge adressée aux autorités italiennes à la suite du refus des autorités norvégiennes intervenu le 7 février 2017, n'a été établie que le 17 mai 2017, après le dépôt par M. C...d'une demande de protection en France. Cette demande de reprise en charge n'a donc pas été présentée dans le délai prévu par les dispositions précitées du paragraphe 2 de l'article 24 du règlement Dublin III à la suite du refus des autorités norvégiennes. Dès lors, conformément à l'interprétation donnée par la Cour de Justice de l'Union Européenne des dispositions du paragraphe 3 de l'article 24 du règlement Dublin III dans l'arrêt précité du 25 janvier 2018, la France était responsable de l'examen de la nouvelle demande d'asile déposée en France par M. C... à la préfecture de police le 15 mai 2017. Par suite, M. C... est fondé à soutenir que le préfet de police, en prenant à son encontre le 15 septembre 2017 une décision de transfert vers l'Italie, a méconnu l'article 24 du règlement Dublin III.
5. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à d'annulation de la décision du 15 septembre 2017 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités italiennes et, par voie de conséquence, celles dirigées contre la décision d'assignation à résidence du même jour.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
6. Aux termes de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé. ".
7. Le présent arrêt implique seulement que l'autorité administrative compétente statue à nouveau sur le cas de M. C..., dans le délai d'un mois à compter de la notification de cet arrêt.
Sur les frais liés au litige :
8. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et de 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Pierre, avocat de M. C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État le paiement à cet avocat d'une somme de 1 000 euros au titre des frais liés au litige.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris du 19 septembre 2017 et l'arrêté du préfet de police du 15 septembre 2017 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police d'examiner à nouveau la situation de M. C...dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à Me Pierre la somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à la contribution de l'État à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C...est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., au ministre de l'intérieur et au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 17 janvier 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- Mme Lescaut, premier conseiller,
- M. Doré, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 31 janvier 2019.
Le rapporteur,
F. DORÉLe président,
S.-L. FORMERY
Le greffier,
C. RENÉ-MINELa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA01018