Procédure devant la Cour :
Par une requête sommaire, enregistrée le 18 mai 2018, et un mémoire ampliatif, enregistré le 22 juin 2018, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 17 avril 2018 ;
2°) de rejeter la demande de M. B...devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- le délai de transfert a été prolongé en raison de la fuite de M.B... ;
- le motif d'annulation de son arrêté retenu par le premier juge quant au vice substantiel résultant du défaut d'examen de la situation personnelle du requérant est erroné ;
- les autres moyens invoqués par M. B...en première instance ne sont pas fondés.
M. B...a produit un mémoire le 10 novembre 2018, postérieurement à la clôture automatique de l'instruction, trois jours francs avant la date d'audience.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (CE) n°1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pagès,
- et les observations de MeA..., pour M.B....
1. Considérant que M. C...B..., né le 10 juin 1985 à Anyama, en Côte d'Ivoire, de nationalité ivoirienne, a présenté une demande d'asile auprès des autorités italiennes le 26 décembre 2015 ; qu'il est entré en France le 16 juillet 2016 de manière irrégulière, et y a déposé une demande d'asile auprès du guichet unique des demandeurs d'asile de Paris le 1er septembre 2016 ; que, suite à une réadmission effective en Italie le 15 juin 2017, il est revenu en France et a présenté une nouvelle demande d'asile le 12 décembre 2017 ; que les autorités italiennes ont à nouveau été saisies d'une demande de reprise en charge de M. B...sur le fondement de l'article 18 1. b) du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit règlement " Dublin III " ; que, suite à la reconnaissance implicite par l'Italie de sa responsabilité le 1er janvier 2018, le préfet de police a, par un arrêté du 8 mars 2018, décidé le transfert de M. B...aux autorités italiennes responsables de sa demande d'asile, le délai de transfert ayant été prolongé le 6 avril 2018 en raison de la fuite de l'intéressé ; que, par un jugement du 17 avril 2018, le magistrat désigné du Tribunal administratif de Paris a fait droit à la demande de M. B...tendant à l'annulation de cet arrêté ; que le préfet de police relève appel de ce jugement ;
Sur le bien fondé du jugement attaqué :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 18 du règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 susvisé : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : / (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; / (...) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre. / 2. Dans les cas relevant du champ d'application du paragraphe 1, points a) et b), l'État membre responsable est tenu d'examiner la demande de protection internationale présentée par le demandeur ou de mener à son terme l'examen. / (...) Dans les cas relevant du champ d'application du paragraphe 1, point d), lorsque la demande a été rejetée en première instance uniquement, l'État membre responsable veille à ce que la personne concernée ait la possibilité ou ait eu la possibilité de disposer d'un recours effectif en vertu de l'article 46 de la directive 2013/32/UE. " ;
3. Considérant que pour annuler l'arrêté de transfert du 8 mars 2018, le magistrat désigné du Tribunal administratif de Paris s'est fondé sur la circonstance que les autorités françaises ont demandé le 15 décembre 2017 auprès des autorités italiennes la reprise en charge de M. B...sur le fondement des dispositions précitées du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 alors que la demande de reprise en charge de M. B...relevait du point d) du paragraphe 1 de l'article 18 précité, circonstance établissant un défaut d'examen de la situation personnelle de l'intéressé ;
4. Considérant, cependant, qu'il résulte des motifs circonstanciés de la décision attaquée que le préfet de police a bien procédé à un examen personnel et complet de la situation de M.B... ; qu'à supposer même l'existence d'une erreur quant à la disposition applicable, M. B...s'étant borné a déclarer lors de l'entretien diligenté par les services de la préfecture de police que sa demande d'asile avait été rejetée, cette erreur n'affectait pas la détermination de l'Etat responsable de sa reprise en charge ; que le préfet de police est donc fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné a considéré que préfet de police n'avait pas procédé à un examen personnel de la situation de M. B...pour annuler l'arrêté litigieux ;
5. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...devant le Tribunal administratif de Paris ;
Sur la légalité de l'arrêté de transfert attaqué :
6. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 23 du règlement susvisé du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur (...).3. Dans les cas visés aux paragraphes 1 et 2, la requête aux fins de prise en charge par un autre État membre est présentée à l'aide d'un formulaire type et comprend les éléments de preuve ou indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, et/ou les autres éléments pertinents tirés de la déclaration du demandeur qui permettent aux autorités de l'État membre requis de vérifier s'il est responsable au regard des critères" définis dans le présent règlement. " ;
7. Considérant que M. B...soutient que le préfet de police n'a pas rempli le formulaire prévu par les dispositions précitées ; que toutefois, il ressort des pièces du dossier, et notamment des pièces produites par le préfet de police à l'appui de son mémoire en défense en première instance, qu'il a saisi les autorités italiennes en utilisant le formulaire de reprise en charge, lequel est conforme au formulaire type défini par l'annexe III du règlement susvisé (UE) n° 118/2014 du 30 janvier 2014 ; que, par suite, le moyen doit être écarté ;
8. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 4 du règlement susvisé du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent (...) ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune (...) contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac (...) " ;
9. Considérant que le requérant soutient que le préfet de police aurait omis d'accomplir son devoir d'information à son égard en vertu des dispositions précitées ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. B...s'est vu remettre les brochures d'information intitulées " A " mentionnant " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et " B " précisant " Je suis sous procédure Dublin - qu'est ce que cela signifie ' ", qui constituent la brochure commune prévue par les dispositions précitées de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013, documents qui comportent également l'ensemble des informations relatives au relevé des empreintes digitales, requises par les dispositions de l'article 29 du règlement précité ; qu'il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté ;
10. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 5 du règlement susvisé du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...). / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel (...) est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) " ;
11. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, qu'un entretien individuel avec M. B... a été conduit le 12 décembre 2017 à la préfecture de police ; qu'il n'est pas sérieusement contesté que cet entretien a été mené, en langue française, par un agent des services de la préfecture qualifié à cette fin ; que si, comme le relève M.B..., le résumé de cet entretien ne comporte ni le nom ni la qualité de l'agent qui l'a mené, l'omission de telles indications ne saurait être regardée comme constituant la méconnaissance d'une formalité substantielle, dès lors qu'elle n'a pas été de nature à affecter le déroulement de l'entretien dont M. B...a bénéficié et n'a privé celui-ci d'aucune garantie ; qu'il suit de là que le moyen doit être écarté ;
12. Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes de l'article 3 du règlement susvisé du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable (...) " ; qu'il résulte des dispositions précitées que la présomption selon laquelle un État membre de l'Union européenne participant à la mise en oeuvre du règlement susvisé du 26 juin 2013, respecte ses obligations découlant de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, peut être renversée en cas de défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans cet Etat membre ;
13. Considérant que M. B...soutient qu'il existe des défaillances systémiques dans le traitement des demandes d'asile en Italie, que les autorités de ce pays ne sont pas en mesure d'assurer une prise en charge satisfaisante des demandeurs d'asile et qu'il n'est dès lors pas établi qu'il sera traité par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile ; que si l'intéressé fait état de la situation exceptionnelle dans laquelle se trouve l'Italie, confrontée à un afflux sans précédent de réfugiés, il n'établit toutefois par aucun élément probant que cette situation exposerait sa demande d'asile à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile ; qu'il ne démontre pas davantage qu'il serait personnellement exposé à des risques de traitements inhumains ou dégradants en Italie, alors que ce pays est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le moyen tiré de la violation des dispositions précitées de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 doit dès lors être écarté ;
14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 8 mars 2018 décidant la remise de M. B... aux autorités italiennes, lui a enjoint de réexaminer la situation de l'intéressé et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1990 ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1804349/8 du magistrat désigné du Tribunal administratif de Paris en date du 17 avril 2018 est annulé.
Article 2 : La demande de M. B...présentée devant le Tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...B...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 13 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- M. Pagès, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 décembre 2018.
Le rapporteur,
D. PAGESLe président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
T. ROBERT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA01699