Procédure devant la Cour :
I. Par une requête, enregistrée le 31 juillet 2019, sous le n° 19PA02534, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris du 28 juin 2019 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... A... devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif s'est fondé sur une erreur manifeste d'appréciation dans la mise en oeuvre de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 alors que Mme B... A... n'a pas fait état auparavant de difficultés rencontrées en Italie ; l'intéressée se borne à faire état de la situation générale des demandeurs d'asile en Italie, sans démontrer que sa demande d'asile ne pourrait être traitée par les autorités italiennes dans le respect de l'ensemble des garanties requises ;
- les autres moyens soulevés par Mme B... A... devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à Mme B... A... qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
II. Par une requête, enregistrée le 1er août 2019, sous le n° 19PA02557, le préfet de police demande à la Cour d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris du 28 juin 2019.
Il soutient qu'il fait valoir des moyens sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation de ce jugement, le rejet de la demande présentée par Mme B... A... devant le tribunal administratif.
La requête a été communiquée à Mme B... A... qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A..., ressortissante somalienne née le 4 janvier 1971, a, le 9 janvier 2019, sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Par un arrêté du 25 mars 2019, le préfet de police a décidé sa remise aux autorités italiennes. Il fait appel du jugement du 28 juin 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté.
Sur la requête enregistrée sous le n° 19PA02557 :
2. La Cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête du préfet de police tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer.
Sur la requête enregistrée sous le n° 19PA02534 :
S'agissant du bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. Lorsqu'aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) ".
4. Pour annuler l'arrêté en litige, comme reposant sur une erreur manifeste d'appréciation dans la mise en oeuvre de la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement, le premier juge s'est fondé sur les difficultés auxquelles les autorités italiennes se trouveraient confrontées face à un " afflux massif de demandeurs d'asile ", pour traiter leurs demandes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, notamment s'agissant du délai de traitement des demandes d'asile et de l'octroi de conditions matérielles d'accueil garantissant une sécurité minimale des personnes. Toutefois, Mme B... A..., n'établit pas, par la seule production de rapports généraux concernant l'Italie émanant notamment d'Amnesty International, ainsi que de divers articles de presse, l'existence de motifs sérieux et avérés de croire que sa demande d'asile ne serait pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. De plus, la circonstance, également relevée par le premier juge, que Mme B... A..., célibataire et isolée sur le territoire européen, serait compte tenu de son parcours depuis son départ de Somalie et de la circonstance qu'elle n'aurait depuis lors bénéficié ni d'un hébergement, ni d'une assistance médicale, une personne particulièrement vulnérable, n'est pas suffisante pour faire regarder l'arrêté en litige comme reposant sur une erreur manifeste d'appréciation. Le préfet de police est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge s'est fondé sur une telle erreur pour annuler l'arrêté en litige.
5. Il y a lieu pour la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance par Mme B... A....
S'agissant des autres moyens soulevés en première instance par Mme B... A... :
6. En premier lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
7. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
8. L'arrêté en litige vise les stipulations applicables de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 3 et 8, celles de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et le règlement n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement CE 343/2003 du Conseil de l'UE établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers. L'arrêté mentionne également les éléments de fait de la situation de Mme B... A... et précise en particulier qu'elle a antérieurement présenté une demande en Italie et une demande en Allemagne, que les autorités italiennes, saisies sur le fondement de l'article 18 (1) b du règlement n° 604/2013, ont accepté implicitement le 31 janvier 2019 de la reprendre en charge, qu'elle ne relève pas des clauses dérogatoires des articles 3 et 17 du règlement n° 604/2013, qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie familiale, et qu'elle n'établit pas l'existence d'un risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités italiennes. Cet arrêté satisfait ainsi aux exigences de motivation prescrites par les dispositions mentionnées au point 6.
9. Il ne ressort pas de la motivation de l'arrêté litigieux, rappelée au point qui précède, que le préfet de police ne se serait pas livré à un examen complet de la situation de Mme B... A....
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Droit à l'information : 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent (...) b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères (...) c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend (...) ". Aux termes de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger ".
11. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... A... s'est vue remettre le 9 janvier 2019 les brochures " A " et " B ", contenant les informations sur la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen des demandes d'asile prévues par l'article 4 du règlement susvisé du 26 juin 2013 ainsi que le guide du demandeur d'asile, en langue somali, langue qu'elle a affirmé comprendre. Le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit donc être écarté.
12. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
13. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... A... a bénéficié d'un entretien individuel le 9 janvier 2019 auprès de la préfecture de police. Cet entretien a été mené par un agent du 12ème bureau de la direction de la police générale de la préfecture de police. En l'absence de tout élément contraire versé au dossier, cet agent doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national. Mme B... A... ne saurait utilement se plaindre de ce que la qualité et le nom de cette personne ne sont pas mentionnés dans le compte rendu de l'entretien, et de ce que ce compte rendu comporte, non la signature de cette même personne, mais un cachet sécurisé numéroté. Le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit donc être écarté.
14. En quatrième lieu, aux termes de l'article 25 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Réponse à une requête aux fins de reprise en charge : L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines. / 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée. ".
15. Mme B... A... n'assortit d'aucune précision le moyen par lequel elle soutient qu'il " est évident que l'Italie n'a pas procédé aux vérifications nécessaires " avant d'accepter implicitement de la reprendre en charge.
16. En dernier lieu, Mme B... A..., n'établit pas, par la production des pièces mentionnées au point 4, l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et dans les conditions d'accueil des demandeurs, au sens des dispositions citées au point 3 du 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 qu'elle n'est donc pas fondée à invoquer.
17. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 25 mars 2019 décidant la remise aux autorités italiennes de Mme B... A....
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1906760/6-3 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris du 28 juin 2019 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme B... A... devant le Tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 19PA02557 tendant au sursis à l'exécution du jugement du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris du 28 juin 2019.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme D... B... A....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
M. C..., président-assesseur,
M. Pagès, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 novembre 2019.
Le rapporteur,
J-C. C...Le président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
T. ROBERT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N°s 19PA02534-19PA02557