Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 15 septembre 2017, régularisée le 29 septembre 2017, Mme B..., représentée par Me Hamroun, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 11 juillet 2017 ;
2°) d'annuler l'arrêté du ministre de l'intérieur du 16 mars 2017, mentionné ci-dessus ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de renouveler sa carte d'identité ainsi que son passeport dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision est entachée d'erreurs quant à la matérialité et à l'appréciation des faits dès lors que le dépôt d'une demande de passeport pour son fils mineur C...dans une commune limitrophe de sa ville de résidence était seulement motivé par son projet de passer les vacances de la fin de l'année 2014 avec sa famille au Maroc ; elle n'a pas apporté d'aide logistique à ses frère et soeur lors de leur départ en Syrie ; elle n'est pas " radicalisée " ; elle n'est plus en contact avec sa fratrie, avec qui elle n'a maintenu qu'un temps des liens afin de s'enquérir de l'état de santé de ses neveux et nièces ;
- la décision ne fait état d'aucun élément nouveau de nature à justifier la prolongation de la mesure d'interdiction de sortie du territoire prise à son endroit ;
- en se bornant à fonder sa décision sur les seules énonciations de la note de renseignement, le tribunal a procédé à un renversement de la charge de la preuve ; il aurait du mettre en oeuvre ses pouvoirs généraux d'instruction en exigeant du ministre de l'intérieur la production de tout document susceptible de permettre de vérifier ses allégations concernant sa radicalisation et ses velléités de départ ;
- elle n'a fait l'objet d'aucune procédure pénale et d'aucune mesure d'assignation à résidence ;
- la décision méconnait sa liberté de circulation telle que protégée par l'article 2 du protocole additionnel n° 4 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par l'article 12 du pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par l'assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966 ;
- la décision porte une atteinte disproportionnée à sa liberté d'aller et venir qui, selon le Conseil constitutionnel, implique celle de quitter le territoire.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 octobre 2018, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- à titre principal, la requête présentée par Mme B...est irrecevable dès lors qu'elle ne peut être regardée comme énonçant des conclusions d'appel ;
- à titre subsidiaire, les moyens soulevés par Mme B...ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 24 octobre 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 8 novembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Niollet,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,
- et les observations de Me Hamroun, avocat de Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 16 mars 2017 par lequel le ministre de l'intérieur a renouvelé pour la troisième fois l'interdiction de sortie du territoire français prise à son encontre, pour une durée de six mois, en application des dispositions de l'article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure. Elle fait appel du jugement du 11 juillet 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur :
2. Aux termes de l'article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure : " Tout français peut faire l'objet d'une interdiction de sortie de territoire lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'il projette : 1° Des déplacements à l'étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes ; 2° Ou des déplacements à l'étranger sur un théâtre d'opérations de groupements terroristes, dans des conditions susceptibles de le conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français. / L'interdiction de sortie de territoire est prononcée par le ministre de l'intérieur pour une durée maximale de six mois à compter de sa notification. La décision est écrite et motivée. Le ministre de l'intérieur ou son représentant met la personne concernée en mesure de lui présenter ses observations dans un délai maximal de huit jours après la notification de la décision. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. / Lorsque les conditions en sont réunies, l'interdiction de sortie du territoire peut être renouvelée par décision expresse et motivée. (...) ".
3. Il ressort des termes de l'arrêté contesté et des éléments précis et circonstanciés contenus dans la note des services de renseignement produite par le ministre de l'intérieur, que Mme B...fait partie d'une fratrie très impliquée dans le conflit syrien ; que son frère a gagné la Syrie en 2013, pour combattre ; que sa soeur a également rejoint les rangs de " Daech " en 2014, accompagnée de son mari et de leurs six enfants ; que, concomitamment au départ de sa soeur, Mme B...a déposé une demande de passeport pour son fils Ilyès Bajgar ; que son insistance répétée pour obtenir très rapidement ce passeport a conduit le juge des enfants de Tarascon à ordonner, le 4 novembre 2014, une mesure judiciaire d'assistance éducative et une interdiction de sortie du territoire pour les enfants Ilyès et Moad Bajgar, jusqu'au 30 septembre 2015, au motif que " ses dénégations peu probantes sur le lieu de résidence de son frère et de sa soeur alors qu'elle est décrite par son ex-époux comme étant très liée à eux, et les dates très proches entre le départ de sa soeur (octobre 2014) et la demande de passeport pour Ilyès (30 septembre 2014), interpellent quant à un possible départ vers la Syrie ". C'est au regard de l'ensemble de ces éléments que le ministre de l'intérieur a prononcé, le 19 février 2015, une mesure d'interdiction de sortie du territoire à l'égard de MmeB.... Cette mesure a été renouvelée, le 30 décembre 2015 et le 28 juillet 2016, au motif que l'intéressée maintenait des relations avec sa fratrie, dont elle connaissait les activités en Syrie, tandis que son fils Ilyès avait indiqué, lors d'un entretien avec un éducateur à la demande du juge pour enfants, que son frère aîné avait déclaré vouloir suivre la même voie. Pour renouveler une nouvelle fois, pour une durée de six mois à compter de la notification de l'arrêté du 16 mars 2017, la mesure d'interdiction de sortie du territoire prise à l'égard de MmeB..., le ministre de l'intérieur a considéré que le risque d'un départ sur zone de l'intéressée ne pouvait être écarté " au regard de ses velléités de départ réitérées et revendiquées en zone de combat à des fins jihadistes, de la présence de sa famille en Syrie et de la circonstance que ses enfants ne sont plus protégés par une interdiction judiciaire de sortie du territoire, laquelle a pris fin le 30 septembre 2016 ".
4. En premier lieu, au soutien des moyens tirés de ce que la décision serait entachée d'erreurs quant à la matérialité et à l'appréciation des faits, Mme B...fait valoir qu'elle n'a demandé le renouvellement du passeport de son fils en octobre 2014 qu'afin de pouvoir partir en vacances au Maroc d'où elle est originaire. Toutefois, ainsi que l'a relevé le tribunal, il ressort des pièces du dossier que cette demande est exactement contemporaine du moment où sa soeur, son beau-frère et leurs enfants ont quitté la France pour rejoindre la Syrie. De surcroît, à cette époque et jusqu'au 18 juin 2015, l'entrée sur le territoire marocain pour un ressortissant français ne nécessitait pas la possession d'un passeport mais seulement celle d'une carte nationale d'identité.
5. Mme B...ne saurait par ailleurs invoquer le jugement du 23 septembre 2016 par lequel le juge pour enfants a tout à la fois renouvelé la mesure d'assistance éducative prise pour ses deux enfants Ilyès et Moad, et ordonné la mainlevée de l'interdiction judiciaire de sortie du territoire de ces deux enfants, aux motifs qu' " aucun élément ne laisse penser à une radicalisation de la famille " et que " tout porte à croire le couple lorsqu'il dit vouloir rester en France ", l'autorité qui s'attache à ces motifs ne s'imposant pas au juge administratif. Il n'est d'ailleurs pas établi que le juge pour enfants avait connaissance des informations contenues dans la note des services de renseignement mentionnée ci-dessus.
6. En outre, si, pour la première fois en appel, Mme B...soutient qu'elle n'est plus en contact avec sa famille partie en Syrie, elle ne conteste pas qu'elle maintenait ces liens à la date de la décision contestée.
7. Dans ces conditions, en se référant aux éléments précis et probants rappelés ci-dessus, qui ne sont pas valablement remis en cause par les dénégations de Mme B...et par les attestations de ses proches[p1] et de relations diverses[jcn2], le ministre de l'intérieur établit qu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'elle est susceptible d'entreprendre des déplacements à l'étranger de la nature de ceux visés par les dispositions de l'article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure. Par suite, l'arrêté attaqué n'est entaché d'aucune erreur de fait ou d'appréciation.
8. En deuxième lieu, Mme B...ne saurait utilement faire valoir qu'elle n'a fait l'objet d'aucune procédure pénale et d'aucune mesure d'assignation à résidence.
9. En troisième lieu, Mme B...ne saurait davantage contester la décision attaquée en ce qu'elle ne repose sur aucun élément nouveau par rapport à ceux ayant fondé les précédentes mesures d'interdiction de sortie du territoire prises à son endroit, aucun texte ne subordonnant le renouvellement de ces mesures, à l'occurrence d'éléments nouveaux.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 2 du protocole additionnel n° 4 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un Etat a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence. / 2. Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien. / 3. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. (...) ". Aux termes de l'article 12 du pacte international relatif aux droits civils et politiques : " 1. Quiconque se trouve légalement sur le territoire d'un Etat a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence. / 2. Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien. / 3. Les droits mentionnés ci-dessus ne peuvent être l'objet de restrictions que si celles-ci sont prévues par la loi, nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l'ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d'autrui, et compatibles avec les autres droits reconnus par le présent Pacte (...) ".
11. Eu égard aux motifs exposés aux points précédents, la décision attaquée doit être regardée comme ne portant à la liberté d'aller et venir [p3]de Mme B...que des atteintes prévues par la loi, justifiées par l'intérêt public[p4],[jcn5] nécessaires et proportionnées au regard des objectifs liés à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public et à la prévention des infractions pénales. Les moyens tirés de méconnaissances des stipulations citées ci-dessus doivent donc être écartés.
12. En cinquième lieu, eu égard aux motifs exposés aux points précédents, le moyen tiré de l'atteinte à la liberté d'aller et de venir, composante de la liberté personnelle, protégée par le Conseil constitutionnel sur le fondement des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ne peut qu'être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme Labetoulle, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 24 avril 2019.
Le rapporteur,
J.-C. NIOLLETLe président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
P. TISSERANDLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
[p1]Il me semble qu'il y a également des attestations de médecins et commerçants produites en appel.
[jcn2]Disons : " " et de relations diverses
[p3]La requérante utilise les termes de "liberté de circulation" quand elle soulève le moyen tiré de la violation des stipulations de droit européen (P4 CEDH) et de droit international (PIDCP), je ne sais pas quelle est la terminologie la plus adéquate'
[p4]Je vous propose de supprimer cette référence à l'intérêt public, pour les raisons exposées dans la note ci - dessous
[jcn5]Noter que nous pourrions tout aussi bien laisser cette référence à l'intérêt public qui " ne mange pas de pain "...
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N° 17PA03098