Par une requête et un mémoire enregistrés les 11 avril 2017 et 13 juin 2018, au greffe de la Cour administrative d'appel de Bordeaux, M.A..., représenté par MeE..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de La Réunion du 19 décembre 2016 ;
2°) de condamner la commune de Saint-Pierre à lui verser une somme de 74 064,29 euros en réparation de son préjudice matériel et une somme de 100 000 euros en réparation de son préjudice moral résultant du harcèlement moral qu'il estime avoir subi, avec intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable du 11 avril 2017 ;
3°) d'enjoindre à la commune de Saint-Pierre de procéder à la reconstitution de sa carrière ;
4°) à titre subsidiaire, de juger que sa pathologie est imputable au service et d'ordonner en conséquence la reconstitution de sa carrière ;
5°) de dire qu'il bénéfice de la protection fonctionnelle ;
6°) de mettre à la charge de la commune de Saint-pierre une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal a, à tort, jugé qu'il ne justifiait pas suffisamment du harcèlement dont il se plaignait ou du moins de l'imputabilité au service de sa pathologie alors que sa description des conversations de ses collègues dans son bureau constitue le commencement de preuve qu'il apporte, seul exigé par la jurisprudence en matière de harcèlement ;
- les comportements de ses collègues à son égard suffisent à caractériser le harcèlement moral dont il a été victime et qui a eu d'importantes conséquences sur sa santé ;
- l'administration a fait preuve de négligence en ne le plaçant pas en situation de mi-temps thérapeutique à son retour de son premier congé maladie en 2007 ;
- le harcèlement subi lui a occasionné, outre son préjudice de santé, des préjudices matériels, l'incitant à faire de mauvais arbitrages financiers, et des préjudices de tous ordres en le contraignant notamment à l'absorption quotidienne de médicaments, ainsi qu'un important préjudice moral ;
- l'existence d'un élément intentionnel n'est pas nécessaire à la reconnaissance d'un harcèlement moral ;
- il a déposé une plainte pour harcèlement moral qui a été classée mais dont il a contesté le classement devant le doyen des juges d'instruction et cette affaire est encore en cours ;
- la reconnaissance du lien de causalité n'implique pas que le service soit la cause exclusive de la maladie ;
- il a été contraint de se faire placer à la retraite pour invalidité à compter du 23 juin 2017.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 janvier 2018, la commune de Saint-Pierre représentée par MeD..., demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge de M. A...une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 30 mai 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 juin 2018.
Par une ordonnance du 1er mars 2019, le président de la section du contentieux du Conseil d'État a attribué à la Cour la requête présentée par M.A....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Labetoulle,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,
- et les observations de MeD..., pour la commune de Saint-Pierre.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., employé de la commune de Saint-Pierre de la Réunion depuis 1982, a été affecté le 31 janvier 2000 à la direction des ressources humaines au service de la paie et, éprouvant des difficultés relationnelles avec ses collègues partageant son bureau, il a été placé en congé maladie du 18 septembre 2006 au 1er septembre 2007. A son retour, il a été muté au service de la gestion du patrimoine bâti où ses relations avec ses collègues se sont à nouveau dégradées dès qu'il a dû partager un bureau avec d'autres agents. Il a, alors, été placé en congé longue maladie en mai 2012, puis en congé longue durée jusqu'au 6 mai 2017, avant d'être placé à la retraite pour invalidité. Entretemps, il a saisi le maire de Saint-Pierre de deux demandes en date du 9 septembre 2014 tendant à se voir accorder la protection fonctionnelle en raison du harcèlement moral dont il estimait avoir été victime tant lors de son affectation à la direction des ressources humaines qu'après son transfert au service de la gestion du patrimoine bâti. A défaut, il demandait que ses pathologies, consistant principalement en un syndrome anxio-dépressif, soient reconnues imputables au service. Dans le silence de l'administration, il a saisi le Tribunal administratif de La Réunion de deux demandes, que les premiers juges ont interprétées à juste titre comme tendant, dans le dernier état de ses écritures, à se voir indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis, à titre principal du fait du harcèlement allégué, ou, à défaut, en raison de l'imputabilité au service de ses pathologies. Le tribunal a joint ces deux demandes et les a rejetées par un jugement du 19 décembre 2016 dont M. A...interjette appel.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 visée ci-dessus portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements (...) ". Aux termes de l'article 11 de la même loi : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause (...) / La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. (...) ".
3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement.
4. Si M. A...se plaint des bavardages des collègues dont il devait partager le bureau tant au service de la paie entre 2000 et 2006 qu'au service de la gestion du patrimoine bâti à partir de 2007, ce qui l'empêchait selon lui de se concentrer et d'accomplir son travail dans des conditions satisfaisantes, et s'il fait grief à ses supérieurs hiérarchiques de ne pas lui avoir assuré durablement la disposition d'un bureau individuel, comme cela avait été le cas initialement lors de son retour de congé maladie en 2007 et jusqu'en 2011, ces griefs ne constituent pas des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre, alors surtout qu'il résulte de ses propos mêmes que sa hiérarchie a tenté de trouver des solutions à ses difficultés relationnelles en le changeant de service en 2007 et en le faisant à plusieurs reprises changer de bureau pour tenter d'en trouver un lui convenant. De même les circonstances, d'une part que l'administration ne lui aurait jamais accordé le bénéfice d'un mi-temps thérapeutique, qui au demeurant avait été seulement préconisé par son psychologue pour une durée de trois mois lors de son retour de congé maladie en 2007, et d'autre part qu'en août 2012 la responsable des ressources humaines aurait à tort interprété sa demande de rectification d'une erreur matérielle commise par le comité médical comme une contestation de l'avis de ce comité, et qu'avant cela elle lui aurait transmis en mai 2012 une convocation pour expertise par ce comité où certains termes auraient été soulignés en rouge par ses soins, ne peuvent davantage faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son égard. Par ailleurs, s'il fait valoir que la reconnaissance d'un harcèlement n'est pas subordonnée à l'existence d'une volonté de nuire, il n'établit pas, en tout état de cause, que, en l'absence même d'une telle intention, les agissements qu'il dénonce, et qui consistent pour l'essentiel en bavardages bruyants de ses collègues, auraient été de nature à entrainer une dégradation de ses conditions de travail au sens des dispositions de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 citées ci-dessus et seraient à l'origine de son syndrome anxio-dépressif et des symptômes associés, alors surtout qu'il ressort du rapport du Dr C..., psychiatre, en date du 10 juillet 2012, que M. A...lui a lui-même indiqué avoir " toujours été un peu dépressif " au point d'avoir souvent eu des pensées suicidaires dans sa jeunesse. Par suite, en l'absence d'éléments de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement à son encontre, M. A...n'est en tout état de cause pas fondé à demander réparation des préjudices qui résulteraient selon lui d'un tel harcèlement.
5. Si M. A...demande, à titre subsidiaire, que la dégradation de son état de santé soit reconnue comme étant imputable au service, et que les préjudices alléguées fassent l'objet d'une indemnisation à ce titre, aucun des divers documents médicaux produits , constatant le syndrome anxio-dépressif dont souffre l'intéressé, n'établit de lien entre cette pathologie et ses conditions de travail, se bornant tout au plus pour certains d'entre eux à relater les propos de M. A... quant à ses difficultés professionnelles. De plus, ainsi qu'il a déjà été dit, il a lui-même indiqué au Dr.C..., psychiatre, avoir toujours été dépressif. Enfin, ainsi que l'ont à juste titre rappelé les premiers juges, ses congés de longue maladie puis de longue durée n'ont pas été attribués au titre d'une maladie reconnue imputable au service. Dès lors, ses conclusions indemnitaires présentées sur ce fondement ne peuvent qu'être rejetées.
6. Il résulte de tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande. Sa requête ne peut dès lors qu'être rejetée, y compris ses conclusions à fins d'injonction.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Saint-Pierre, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M A...demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A...une somme de 1 500 euros à verser à la commune de Saint-Pierre sur le même fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.
Article 2 : M. A...versera à la commune de Saint-Pierre une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A...et à la commune de Saint-Pierre.
Délibéré après l'audience du 14 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme Labetoulle, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 28 mai 2019.
Le rapporteur,
M-I. LABETOULLELe président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au préfet de La Réunion en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA21178