Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 1er mai 2017, l'association Promouvoir, représentée par son président et par MeA..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 2 mars 2017 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, le visa d'exploitation mentionné ci-dessus ; subsidiairement d'annuler ce visa en tant qu'il n'interdit pas le film aux moins de seize ans, mais seulement aux moins de douze ans ;
3°) d'ordonner une expertise sur " l'impact des images violentes du film sur des enfants de 12 ans et leur capacités de distanciation par rapport à ces images " ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement a été rendu au terme d'une procédure irrégulière, le rapporteur public ayant siégé en qualité de juge des référés dans une précédente affaire soulevant les mêmes questions quelques semaines auparavant ; il a ainsi été rendu en méconnaissance de l'obligation d'impartialité prévue par les dispositions du code de justice administrative et de la théorie des apparences au sens de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'association se réfère à sa note en délibéré adressée au tribunal administratif ;
- le visa délivré l'a été au vu de la seule la version originale ; le visa délivré pour la version originale porte le même n° que celui délivré à la version française ;
- il n'est pas établi que le comité de classification, puis la commission elle-même, étaient en possession du script intégral de la version française, et que deux visas distincts aient été délivrés comme l'exigent les dispositions de l'article R. 211-2 du code du cinéma et de l'image animée ;
- le film contient des scènes de très grande violence, contraires à la dignité humaine, au sens des dispositions des articles L. 211-1 et R. 211-12 de ce code ;
- les motifs du jugement sont entachés de contradiction à propos de ces scènes ;
- il conviendra d'annuler le visa dans sa totalité et d'enjoindre au ministre de prendre un autre visa dans un délai déterminé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 août 2017, le ministre de la culture, représenté par la SCP Piwnica et Molinie, avocats aux Conseils, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 4 octobre 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 octobre 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
-la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code pénal ;
- le code du cinéma et de l'image animée ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Niollet, rapporteur,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,
- et les observations de Me B...pour le ministre de la culture.
1. Considérant que la société nouvelle de distribution a sollicité la délivrance d'un visa d'exploitation pour le film " Les Huit Salopards ", réalisé par M. C...D... ; que la commission de classification des oeuvres cinématographiques a émis un avis favorable à la délivrance d'un visa, assorti d'une interdiction de représentation aux mineurs de douze ans et d'un avertissement selon lequel " Certaines scènes sont susceptibles de heurter la sensibilité du public jeune " ; que, par une décision du 31 décembre 2015, le ministre de la culture et de la communication a délivré pour ce film un visa d'exploitation assorti d'une interdiction aux mineurs de douze ans, compte tenu de " la violence soutenue, notamment, (de) certaines scènes particulièrement difficiles pour un jeune public ", et d'un avertissement libellé comme indiqué ci-dessus ; que l'association Promouvoir a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler ce visa d'exploitation ; qu'elle fait appel du jugement du 2 mars 2017 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant que ni le principe d'impartialité qui s'impose à toute juridiction, ni les stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni aucune règle générale de procédure, ne s'opposent à ce qu'un membre de la juridiction administrative qui a statué en tant que juge des référés exerce ensuite les fonctions de rapporteur public lors de l'examen d'une affaire soulevant une question juridique comparable ; que la circonstance que le rapporteur public ayant conclu à l'audience à l'issue de laquelle le jugement attaqué a été rendu, avait siégé en qualité de juge des référés dans une précédente affaire soulevant une question analogue et nouvelle quelques semaines auparavant, est sans incidence sur la régularité du jugement attaqué ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que ce rapporteur public se serait montré partial à l'égard de l'association requérante ; que le moyen, pris entre toutes ses branches, ne peut donc qu'être écarté ;
Sur la légalité de la décision délivrant un visa :
3. Considérant, qu'aux termes de l'article L. 211-1 du code du cinéma et de l'image animée : " La représentation cinématographique est subordonnée à l'obtention d'un visa d'exploitation délivré par le ministre chargé de la culture. / Ce visa peut être refusé ou sa délivrance subordonnée à des conditions pour des motifs tirés de la protection de l'enfance et de la jeunesse ou du respect de la dignité humaine (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 211-10 du même code : " Le ministre chargé de la culture délivre le visa d'exploitation cinématographique aux oeuvres ou documents cinématographiques (...) destinés à une représentation cinématographique, après avis de la commission de classification des oeuvres cinématographiques (...) " ;
4. Considérant, d'une part, que le premier alinéa de l'article R. 211-2 du code du cinéma et de l'image animée dispose que : " L'exploitation d'une oeuvre ou d'un document doublé en langue française est subordonnée à la délivrance d'un visa d'exploitation cinématographique distinct de celui délivré pour l'exploitation de l'oeuvre ou du document dans la version originale " ; que l'article R. 211-3 du même code prévoit qu'à l'appui d'une demande de visa d'exploitation cinématographique est remis " le découpage dialogué sous sa forme intégrale et définitive " ainsi que, s'agissant d'une demande de visa d'une oeuvre ou d'un document étranger en version originale : " (...) a) Le texte et la traduction juxtalinéaire en français du titre ou du dialogue et, le cas échéant, des sous-titres de la version originale ; / b) Le texte des sous-titres français de la version exploitée en France " ;
5. Considérant, d'autre part, qu'en application des articles R. 211-4 à R. 211-6 du code du cinéma et de l'image animée, les comités de classification mentionnés à l'article R. 211-27 visionnent les oeuvres ou les documents, en vue d'établir un rapport au président de la commission de classification mentionnée à l'article R. 211-29 du même code ; que lorsque deux au moins des membres du comité de classification proposent une interdiction particulière de représentation, accompagnée ou non d'un avertissement, ou le refus de visa, le président de la commission de classification inscrit l'oeuvre ou le document à l'ordre du jour de celle-ci ; que l'article R. 211-7 du même code dispose que : " Saisie par son président dans les conditions prévues à l'article R. 211-6, la commission de classification visionne les oeuvres ou documents, en vue de rendre un avis au ministre chargé de la culture " ;
6. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que l'exploitation d'une oeuvre à la fois en version originale et en version doublée en langue française nécessite la délivrance d'un visa d'exploitation pour chaque format ; que dans pareille hypothèse, la commission de classification, si elle est consultée, doit émettre un avis de nature à éclairer le ministre chargé de la culture sur chacun des visas qu'il doit délivrer ; que, dès lors qu'ainsi que le prévoient les dispositions précitées, elle dispose, lors du visionnage de l'oeuvre en version originale, du découpage dialogué sous sa forme intégrale et définitive en français, la commission n'est pas tenue, à peine d'irrégularité de la procédure, de visionner séparément chacun des formats soumis à son avis ;
7. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier, en particulier des visas produits par le ministre que, contrairement à ce que soutient l'association Promouvoir, le film " Les Huit Salopards " s'est vu délivrer des visas distincts pour l'exploitation en langue française et pour l'exploitation en version originale ;
8. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier, notamment des procès-verbaux de leurs réunions et des demandes de visas de la société nouvelle de distribution en date du 16 décembre 2015, que le comité de classification et l'assemblée plénière de la commission de classification disposaient, lorsqu'ils ont, les 17 et 22 décembre 2015, visionné le film " Les Huit Salopards " en version originale, du découpage dialogué de la version doublée en français qui avait été déposé par la société nouvelle de distribution à l'appui de ses demandes de visas ; que le moyen soulevé par l'association Promouvoir, tiré d'un vice de procédure entachant l'avis de la commission doit donc, sans qu'il soit besoin d'en examiner la recevabilité, être écarté ;
9. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article R. 211-12 du code du cinéma et de l'image animée : " Le visa d'exploitation cinématographique s'accompagne de l'une des mesures de classification suivantes : / 1° Autorisation de la représentation pour tous publics ; /
2° Interdiction de la représentation aux mineurs de douze ans ; / 3° Interdiction de la représentation aux mineurs de seize ans ; / 4° Interdiction de la représentation aux mineurs de dix-huit ans sans inscription sur la liste prévue à l'article L. 311-2, lorsque l'oeuvre ou le document comporte des scènes de sexe non simulées ou de très grande violence mais qui, par la manière dont elles sont filmées et la nature du thème traité, ne justifient pas une telle inscription ; / 5° Interdiction de la représentation aux mineurs de dix-huit ans avec inscription de l'oeuvre ou du document sur la liste prévue à l'article L. 311-2 " ; qu'aux termes de l'article R. 211-13 de ce code : " Sans préjudice de la mesure de classification qui accompagne sa délivrance, le visa d'exploitation cinématographique peut être assorti d'un avertissement, destiné à l'information du spectateur, portant sur le contenu ou les particularités de l'oeuvre ou du document concerné " ;
10. Considérant que les dispositions citées ci-dessus de l'article L. 211-1 du code du cinéma et de l'image animée confèrent au ministre chargé de la culture l'exercice d'une police spéciale fondée sur les nécessités de la protection de l'enfance et de la jeunesse et du respect de la dignité humaine, en vertu de laquelle il lui incombe en particulier de prévenir la commission de l'infraction réprimée par les dispositions de l'article 227-24 du code pénal, qui interdisent la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, d'un message à caractère violent ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine lorsqu'il est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur, soit en refusant de délivrer à une oeuvre cinématographique un visa d'exploitation, soit en imposant à sa diffusion l'une des restrictions prévues à l'article R. 211-12 du code du cinéma et de l'image animée, qui lui paraît appropriée au regard tant des intérêts publics dont il doit assurer la préservation que du contenu particulier de cette oeuvre ; qu'il résulte de ce dernier article qu'il appartient au juge du fond, saisi d'un recours dirigé contre le visa d'exploitation délivré à une oeuvre comportant des scènes violentes, et au juge du référé, saisi d'une demande de suspension de l'exécution du visa d'exploitation, de rechercher si les scènes en cause caractérisent ou non l'existence de scènes de très grande violence de la nature de celles dont le 4° et le 5° de cet article interdisent la projection à des mineurs ; que, dans l'hypothèse où le juge retient une telle qualification, il lui revient ensuite d'apprécier la manière dont ces scènes sont filmées et dont elles s'insèrent au sein de l'oeuvre considérée, pour déterminer laquelle de ces deux restrictions est appropriée, eu égard aux caractéristiques de cette oeuvre cinématographique ;
11. Considérant que si le film " Les Huit Salopards ", un western à huit clos, contient de nombreuses scènes de violence accompagnées de dialogues crus, celles-ci ne constituent pas, eu égard à la manière dont elles sont filmées, des scènes de très grande violence au sens des dispositions de l'article R. 211-12 4° du code précitées ; que la façon dont elles sont filmées et leur caractère exagéré en relativisent l'impact ; qu'en outre le visa litigieux est assorti d'un avertissement informant les plus jeunes spectateurs et leurs parents de ce que " Certaines scènes sont susceptibles de heurter la sensibilité du public jeune " ; que dans ces conditions, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal sans entacher sa décision de contradiction de motifs, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en délivrant le visa contesté, le ministre de la culture aurait entaché sa décision d'erreur d'appréciation ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'association promouvoir n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions de l'association Promouvoir présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que l'association Promouvoir demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er: La requête de l'association Promouvoir est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Promouvoir et au ministre de la culture.
Copie en sera adressée au Centre national du cinéma et de l'image animée.
Délibéré après l'audience du 15 mai 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme Labetoulle, premier conseiller.
Lu en audience publique le 29 mai 2018.
Le rapporteur,
J-C. NIOLLETLe président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au ministre de la culture en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°17PA01474
Classement CNIJ :
C