Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 7 novembre 2015, M.B..., représenté par
MeD..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de police du 30 septembre 2014 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros à verser à
MeD..., sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
M. B...soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors que les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen tiré de la violation de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est signée par une autorité incompétente ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur de fait dès lors que contrairement à ce qu'elle indique, il bénéficie d'une assurance maladie ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
La requête a été communiquée au préfet de police, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris du 25 septembre 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant du le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Boissy, rapporteur,
- les conclusions de M. Rousset, rapporteur public.
1. Considérant que M.B..., de nationalité roumaine, a fait l'objet le
30 septembre 2014 d'un arrêté du préfet de police déclarant caduc son droit au séjour et lui faisant obligation de quitter le territoire français en fixant le pays de destination ; que M. B...relève appel du jugement du 12 juin 2015 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 30 septembre 2014 ;
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Considérant qu'il ne ressort ni des visas ni des motifs du jugement attaqué que les premiers juges aient statué sur le moyen, invoqué par M. B...dans son mémoire en réplique enregistré le 29 avril 2015, et qui n'était pas inopérant, tiré de ce que l'obligation de quitter le territoire français du 30 septembre 2014 avait été prise en violation des stipulations de
l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, le requérant est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué ;
3. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de M. B... ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
4. Considérant, en premier lieu, que, par un arrêté du 1er septembre 2014, régulièrement publié au bulletin municipal officiel de la ville de Paris du 5 septembre 2014, le préfet de police a donné à M. C... délégation pour signer notamment les décisions de refus de séjour assorties de l'obligation de quitter le territoire français ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision contestée doit être écarté ;
5. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 45 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de l'Union. / 2. Elle implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. / 3. Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique : / a) de répondre à des emplois effectivement offerts, / b) de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des États membres (...) ; qu'aux termes de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers e t du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, tout citoyen de l'Union européenne (...) a le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'il satisfait à l'une des conditions suivantes : 1° S'il exerce une activité professionnelle en France ; 2° S'il dispose pour lui et pour les membres de sa famille tels que visés au 4° de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 121-4 du même code : " Tout citoyen de l'Union européenne, tout ressortissant d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse ou les membres de sa famille qui ne peuvent justifier d'un droit au séjour en application de l'article L. 121-1 ou de l'article L. 121-3 ou dont la présence constitue une menace à l'ordre public peut faire l'objet, selon le cas, d'une décision de refus de séjour, d'un refus de délivrance ou de renouvellement d'une carte de séjour ou d'un retrait de celle-ci ainsi que d'une mesure d'éloignement prévue au livre V " ; qu'aux termes de l'article R. 121-4 du code précité : " Les ressortissants qui remplissent les conditions mentionnées à l'article L. 121-1 doivent être munis de l'un des deux documents prévus pour l'entrée sur le territoire français par l'article R. 121-1. / L'assurance maladie mentionnée à l'article L. 121-1 doit couvrir les prestations prévues aux articles L. 321-1 et L. 331-2 du code de la sécurité sociale. (...) Les ressortissants mentionnés au premier alinéa de l'article L. 121-1 entrés en France pour y rechercher un emploi ne peuvent être éloignés pour un motif tiré de l'irrégularité de leur séjour tant qu'ils sont en mesure de faire la preuve qu'ils continuent à rechercher un emploi et qu'ils ont des chances réelles d'être engagés " ;
6. Considérant qu'il incombe à l'administration, en cas de contestation sur la durée du séjour d'un citoyen de l'Union Européenne dont elle a décidé l'éloignement, de faire valoir les éléments sur lesquels elle se fonde pour considérer qu'il ne remplit plus les conditions pour séjourner en France ; que l'administration peut, notamment, s'appuyer sur les déclarations préalablement faites par l'intéressé ; qu'il appartient à l'étranger qui demande l'annulation de cette décision d'apporter tout élément de nature à en contester le bien-fondé, selon les modalités habituelles de l'administration de la preuve ;
7. Considérant, tout d'abord, que pour faire obligation à M.B..., le
30 septembre 2014, de quitter le territoire français, le préfet de police a retenu qu'il était entré en France depuis plus de trois mois, ne pouvait justifier de ressources ou de moyens d'existence et se trouvait en situation de complète dépendance par rapport au système d'assistance sociale français puisqu'il ne justifiait pas d'une assurance maladie personnelle en France ou dans son pays d'origine ; que si M. B... soutient être entré le 20 août 2014, soit moins de trois mois avant la décision contestée, il ressort toutefois des pièces du dossier qu'il était inscrit à
Pôle emploi depuis le 17 avril 2014 et bénéficiait de l'aide médicale d'Etat depuis le
5 mai 2014 ; qu'ainsi, l'intéressé, qui n'établit ni même n'allègue avoir quitté le territoire français postérieurement au 5 mai 2014, ne prouve pas qu'il était entré en France depuis moins de trois mois à la date de la décision contestée ;
8. Considérant, ensuite, que l'aide médicale d'Etat dont bénéficie M. B...depuis
le 5 mai 2014 ne constitue pas une assurance maladie au sens des dispositions de
l'article L. 121-1 ;
9. Considérant, enfin, à la lumière du 3. de l'article 45 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qu'un citoyen de l'Union européenne qui a postulé à un ou plusieurs emplois effectivement offerts en France et y est venu à cet effet ne peut pas être éloigné pour un motif tiré de l'irrégularité de son séjour s'il apporte la preuve de ces recherches d'emploi et des chances réelles d'être engagé sur l'un de ces emplois ;
10. Considérant que si M. B...a signé, le 24 novembre 2014, un contrat de travail à durée déterminée d'insertion à temps partiel, il n'établit ni même n'allègue qu'il est venu en France après avoir postulé à cet emploi ni, au surplus, qu'il avait des chances réelles,
le 30 septembre 2014, date de l'arrêté contesté, d'être engagé ;
11. Considérant qu'il résulte de ce l'ensemble de ce qui a été dit aux points 5 à 10 que le préfet de police n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en obligeant M. B...à quitter le territoire ; que par suite, les moyens tirés de l'erreur de droit, de l'erreur de fait sur la date d'entrée en France, du défaut de base légale de la décision au motif d'une entrée en France depuis moins de trois mois et d'une absence de charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale doivent être écartés ;
12. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à sa situation, notamment la durée du séjour de l'intéressé en France, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle en France, et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine. (...) ";
13. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la décision du 30 septembre 2014 a été prise après une audition de l'intéressé effectuée le même jour ; que si M. B...fait valoir que le préfet de police ne justifie pas des raisons qui l'ont amené à considérer qu'il constituait une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale, il ressort de cette audition, contresignée par l'intéressé, que ce dernier a déclaré avoir déposé une demande de revenu de solidarité active et qu'il bénéficiait de l'aide médicale d'Etat ; que, dès lors, M. B...n'établit pas que le préfet de police n'aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation au regard des dispositions précitées ; que, par suite, le moyen tiré du défaut d'examen particulier de la situation de M. B...doit être écarté ;
14. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;
15. Considérant que M. B...fait valoir qu'il est entré en France pour y trouver un emploi, qu'il y vit avec son épouse enceinte et sa fille, scolarisée en moyenne section de maternelle ; que, toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que la vie familiale de M. B... ne pourrait pas se poursuivre hors de France ; que, dans ces circonstances, compte tenu également des conditions de séjour de l'intéressé en France, la décision contestée n'a en l'espèce pas porté au droit de M. B...au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ; que, par suite, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ; que, pour les mêmes motifs, cette décision n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé ;
16. Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...) " ; qu'il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l 'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale
à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant ;
17. Considérant que si M. B...soutient que, dans le cas où il serait éloigné vers la Roumanie, il serait séparé de sa fille, il ne fait toutefois état d'aucune circonstance particulière qui ferait obstacle à ce que sa fille demeure à ses côtés en cas de retour en Roumanie ; que, dès lors, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
18. Considérant que, pour les motifs exposés aux points 4 à 13, M. B...n'est pas fondé à exciper, au soutien de sa demande tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination, de l'illégalité de la décision par laquelle le préfet de police lui fait obligation de quitter le territoire français ;
19. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 30 septembre 2014 contesté ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du
10 juillet 1991 :
20. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, verse à l'avocat de M. B...la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1501770 du tribunal administratif de Paris en date du 12 juin 2015 est annulé.
Article 2 : La demande de M. B...et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 24 juin 2016, à laquelle siégeaient :
- Mme Driencourt, président de chambre,
- M. Boissy, premier conseiller,
- M. Cheylan, premier conseiller.
Lu en audience publique le 8 juillet 2016.
Le rapporteur,
L. BOISSYLe président,
L. DRIENCOURTLe greffier,
A-L PINTEAU
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 15PA04061 2