Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés respectivement les 20 mars et 25 juillet 2017, la société J.M.C., représentée par MeB..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer les décharges sollicitées ;
3°) de mettre à la charge de la Polynésie française le versement d'une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier pour avoir substitué l'article LP. 224-1 du code des impôts à l'article LP. 224-2, seul fondement légal retenu par l'administration fiscale pour le rappel d'impôt foncier ;
- les suppléments d'impôt foncier sont mal fondés dès lors que l'administration ne pouvait pas leur refuser le bénéfice de l'exonération prévue à l'article 223-1 du code des impôts de la Polynésie française dès lors que la mise en location du bien en a augmenté la valeur locative de moins de 10 % compte tenu des deux abattements applicables, de sorte qu'elle n'était pas tenue à l'obligation déclarative mentionnée à l'article LP. 224-2 du code des impôts ;
- les suppléments d'impôt sur les sociétés sont mal fondés au motif que son activité de location d'un bien à usage d'habitation, qui revêt une nature civile, ne peut dès lors constituer un cycle commercial complet, d'autant que cette activité n'est pas caractéristique d'une activité détachable de celle de son siège, sis en métropole, comme le précise la doctrine référencée
BOI-IS-CHAMP-60-10-20, la gestion des opérations réalisées en Polynésie française étant effectuée depuis la métropole.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juillet 2017, la Polynésie française, représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et à ce que la Cour mette à la charge des requérants le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun moyen n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 et, notamment, son article 53 ;
- le code des impôts de la Polynésie française ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Auvray,
- et les conclusions de Mme Mielnik-Meddah, rapporteur public.
1. Considérant que la société J.M.C., dont le siège est situé en métropole et où elle exerce une activité de fabrication de matériaux, a acquis, le 5 octobre 2011, un appartement dans la résidence Vai Hau située sur le territoire de la commune de Punaauia ; qu'estimant que l'intéressée devait être soumise à l'impôt foncier et à l'impôt sur les sociétés (impôt minimum forfaitaire) à raison de la mise en location par ses soins de ce bien immobilier à compter du 1er janvier 2012, la direction des impôts et des contributions publiques (DICP) a mis à sa charge les cotisations supplémentaires correspondantes assorties des pénalités y afférentes dont l'intéressée a en vain demandé la décharge devant le tribunal administratif ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant que, s'agissant de l'impôt foncier, la société J.M.C. fait grief au jugement attaqué d'avoir substitué les dispositions de l'article LP. 224-1 du code des impôts de la Polynésie française à celles de l'article LP. 224-2 de ce code, seules retenues comme base légale par la DICP tant dans sa notification de redressement du 16 juillet 2015 que dans sa décision de rejet du 19 avril 2016 ;
3. Considérant, toutefois, que l'administration peut, à tout moment de la procédure, invoquer un nouveau motif de droit propre à justifier l'imposition, à condition toutefois qu'une telle substitution de base légale n'ait pas pour effet de priver le contribuable de la faculté, de demander la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, lorsque celle-ci est compétente pour connaître du différend relatif à une question de fait dont la solution commande le bien-fondé du nouveau motif invoqué par l'administration ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, dans son mémoire en défense enregistré le 7 octobre 2016 devant le tribunal administratif, la Polynésie française, qui ne s'est pas bornée à citer l'article LP. 224-1 du code des impôts, s'en est clairement prévalue en faisant valoir que " ce n'est qu'à la suite de l'examen de son dossier en 2015 que l'administration fiscale a constaté que la SARL JMC était propriétaire d'un bien immobilier en Polynésie française, celle-ci n'ayant jamais déposé de déclaration à la DICP concernant ledit bien " ; qu'il suit de là que la société J.M.C. n'est pas fondée à soutenir que les premiers juges auraient d'eux-mêmes procédé à une substitution de base légale ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'impôt foncier :
5. Considérant qu'aux termes de l'article 223-1 du code des impôts de la Polynésie française : " Les constructions nouvelles, les reconstructions et les additions de constructions ne seront soumises à la contribution foncière que la 6e année suivant celle de leur achèvement (...) " ; qu'aux termes de l'article LP. 223-3 du même code : " Le bénéfice des exemptions temporaires prévues aux articles D. 223-1 et LP. 223-2 est subordonné à l'accomplissement de l'obligation déclarative prévue à l'article LP. 224-1 " ; que l'article LP. 224-1 de ce code précise que : " Les propriétaires ou personnes imposables sont tenus de souscrire et d'adresser à la direction des impôts et des contributions publiques une déclaration sur imprimé spécial revêtu du visa du maire, dans les trente jours de la date d'occupation de l'immeuble. Cette déclaration dont le modèle est arrêté par le conseil des ministres doit être accompagnée, du certificat de conformité délivré en application des dispositions du code de l'aménagement et de l'urbanisme. La déclaration de travaux immobiliers prévue à l'alinéa précédent comprend : l'identité du propriétaire ainsi que la situation des biens ; la nature des travaux entrepris, la description de l'immeuble et sa destination ; la valeur vénale de l'immeuble (... ) " ; que l'article LP. 224-2 dudit code prévoit que : " Les propriétaires sont tenus de signaler à la direction des impôts et des contributions publiques les changements de caractéristiques physiques (aménagements intérieurs ou extérieurs) ainsi que les modifications de valeur locative de leurs immeubles bâtis, dans les trois mois de leur réalisation, dès lors que ceux-ci sont susceptibles d'entraîner une augmentation de valeur locative d'au moins 10 %. A cet effet, ils doivent souscrire une déclaration indiquant: / (...) si l'immeuble fait l'objet d'une location, le montant du loyer et des charges locatives, l'identité du locataire " ; qu'enfin, l'article LP. 471-1 du code des impôts de la Polynésie française dispose que : " Le bénéfice des crédits, réductions ou exonérations d'impôts de tous types prévus par le présent code est subordonné à la déclaration régulière des éléments servant de base au calcul des impôts sur lesquels lesdits crédits, réductions ou exonérations ont vocation à s'appliquer. Il en résulte que les crédits, réductions, ou exonérations d'impôts ne peuvent être déterminés ou imputés sur des impositions consécutives à des redressements ou taxations d'office effectués par la direction des impôts et des contributions publiques " ;
6. Considérant que les dispositions qui prévoient que le bénéfice d'un avantage fiscal est subordonné à une déclaration n'ont, en principe, pas pour effet d'interdire au contribuable de régulariser sa situation dans le délai de réclamation, sauf si la loi a prévu que l'absence de demande dans le délai de déclaration entraîne la déchéance du droit à cet avantage, ou lorsqu'elle offre au contribuable une option entre différentes modalités d'imposition ;
7. Considérant que l'article LP. 471-1 du code des impôts de la Polynésie française, inséré au titre Ier du chapitre VII intitulé " dispositions spécifiques aux avantages fiscaux ", doit être regardé comme subordonnant le bénéfice de l'ensemble des avantages fiscaux prévus par le code des impôts de la Polynésie française au respect, dans les délais impartis par les textes qui les instituent, de la déclaration des éléments servant de base au calcul des impôts susceptibles de faire l'objet d'avantages sous la forme de crédits, de réductions ou d'exonérations ; qu'en outre, les dispositions de l'article LP. 471-1 excluent du bénéfice de ces avantages les impositions qui, susceptibles de bénéficier de ces derniers, résultent de redressements ou de taxations d'office effectués par la direction des impôts et des contributions publiques (DICP) de la Polynésie française ;
8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la SARL J.M.C. a omis de déclarer au service qu'elle avait donné en location non meublée le bien en cause à compter du 1er janvier 2012 ; qu'à défaut de cette information, la DICP avait jusqu'alors déterminé la valeur locative du bien sur la base de sa valeur vénale, tandis qu'en cas de location, cette valeur locative doit être déterminée sur la base du loyer ce qui, compte tenu de son montant stipulé au bail, a eu pour effet d'accroître la valeur locative de plus de 10 % au sens des dispositions de l'article LP. 224-2 ; que l'intéressée conteste que la valeur locative ait de ce fait augmenté de plus de 10 % motif pris qu'il y aurait lieu, selon elle, de tenir compte des abattements de 25 % pour l'application de l'article LP. 224-2 ; qu'en tout état de cause, l'administration fait valoir, sans être utilement contredite, que la société J.M.C. n'a pas satisfait à l'obligation déclarative prévue à l'article LP. 224-1 du code des impôts de la Polynésie française ; que, conformément à l'article LP. 471-1 de ce code, cette seule circonstance fait obstacle à ce que la contribuable bénéficie d'une mesure d'exonération ; que, par suite, c'est à juste titre que l'administration fiscale a soumis la requérante à l'impôt foncier pour les années 2012 à 2014, sans lui reconnaître le droit de procéder, dans le délai de réclamation, à la régularisation de ses obligations déclaratives à l'accomplissement desquelles est subordonné le bénéfice de l'exemption temporaire de l'impôt foncier pour les constructions nouvelles, peu important à cet égard que l'article LP. 471-1 mentionne les crédits, réductions et exonérations sans viser expressément les exemptions temporaires, qui y sont nécessairement incluses ;
En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :
9. Considérant qu'aux termes du 1 de l'article LP. 112-1 du code des impôts de la Polynésie française : " Sont passibles de l'impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet, les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par actions et les sociétés à responsabilité limitée, ainsi que les établissements publics, les organismes de l'Etat jouissant de l'autonomie financière, les organismes de la Polynésie française et des communes et toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations à caractère lucratif " ; qu'aux termes de l'article LP. 170-1 de ce code : " Les personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés sont assujetties à l'impôt minimum forfaitaire. / L'impôt minimum forfaitaire est dû lorsque la personne morale est dispensée du paiement de l'impôt sur les sociétés du fait d'un déficit constaté sur l'exercice de référence et, en tout état de cause, lorsque son montant est supérieur à l'impôt sur les sociétés dû au titre dudit exercice. Dans ce dernier cas, l'impôt minimum se substitue à l'impôt sur les sociétés dû (...) " ; qu'aux termes de l'article 113-1 du même code : " Sont passibles de l'impôt sur les sociétés, les bénéfices réalisés par les entreprises ayant leur siège social en Polynésie française, et les bénéfices réalisés en Polynésie française par les sociétés qui y disposent d'un établissement stable (...) Sont également imposables les bénéfices provenant d'opérations réalisées dans le territoire : (...) qui se détachent de celles effectuées à l'étranger et forment un cycle commercial complet (...) ;
10. Considérant qu'il résulte de l'instruction et, notamment, de la notification de redressement du 16 juillet 2015, que la DICP a estimé que la société à responsabilité limitée J.M.C. était passible de l'impôt sur les sociétés en Polynésie française à raison des revenus qu'elle tirait de la mise en location du logement dont elle était propriétaire sur le territoire de la commune de Punaauia ; qu'alors que la société requérante n'a pas déféré à la mise en demeure du 20 mai 2015 de souscrire sa déclaration de résultat au titre des exercices clos en 2012, 2013 et en 2014, le vérificateur a estimé que ces trois exercices devaient être regardés comme déficitaires et a, par suite, taxé d'office l'intéressée à l'impôt minimum forfaitaire en application de l'article LP. 170-1 du code des impôts ;
11. Considérant que la société J.M .C. soutient que l'appartement dont elle est propriétaire à Punaauia ne constitue pas un établissement stable en Polynésie française, pour en déduire qu'elle ne peut légalement être assujettie à l'impôt sur les sociétés en Polynésie française à raison des revenus qu'elle tire de la mise en location de ce logement, activité qui, selon la requérante, revêt en outre un caractère civil et non pas commercial ; que l'intéressée, dont le siège est en métropole, soutient également que la gestion du bien immobilier dont elle est propriétaire en Polynésie française est décidée et contrôlée par son dirigeant depuis son siège social situé en métropole, circonstances qui, selon la doctrine référencée
BOI-IS-CHAMP-60-10-20, § 210 et 270 dont elle se prévaut, feraient obstacle à ce que cette activité puisse être regardée comme détachable de son activité principale et comme constituant un cycle commercial complet ;
12. Considérant, en premier lieu, qu'en raison de sa forme commerciale, la SARL J.M.C. est de plein droit assujettie à l'impôt sur les sociétés, conformément à l'article LP. 112-1 du code des impôts, à raison de l'ensemble de ses revenus ou profits ; que, par suite, l'intéressée ne peut utilement soutenir que la mise en location d'un bien immobilier nu revêtirait un caractère civil au soutien de ses conclusions à fin de décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie à raison des résultats dégagés par cette activité déployée en Polynésie française ;
13. Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que l'activité de location immobilière en cause, dont les revenus ont été soumis à l'impôt sur les sociétés en Polynésie française au nom de la SARL J.M.C., est détachable de l'activité de fabrication de matériaux que l'intéressée exerce en métropole et que cette activité de bailleur d'un logement situé sur le territoire de la commune de Panaauia constitue un cycle commercial complet en Polynésie française ; qu'il suit de là que les bénéfices provenant de l'opération de location en cause sont passibles de l'impôt sur les sociétés en Polynésie française en vertu du paragraphe 3 de l'article 113-1 du code des impôts ; que la société J.M.C. ne peut utilement se prévaloir de la doctrine, en toute hypothèse métropolitaine, référencée BOI-IS-CHAMP-60-10-20, § 210 et 270, dès lors qu'elle concerne précisément des opérations non détachables de celles que le contribuable effectue en France c'est-à-dire, en l'espèce, en métropole ; que les conclusions de la requérante tendant à être déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés (impôt minimum forfaitaire) ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la Cour mette à la charge de la Polynésie française qui n'est pas, en la présente instance, la partie perdante, la somme que réclame la société J.M.C. au titre des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a en revanche lieu de mettre à la charge de la société J.M.C. le versement à la Polynésie française d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par cette dernière à l'occasion du litige soumis au juge et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société J.M.C. est rejetée.
Article 2 : La société J.M.C. versera à la Polynésie français une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée J.M.C. et à la Polynésie française.
Copie en sera adressée au ministre des Outre-mer et au haut-commissaire de la République en Polynésie française.
Délibéré après l'audience du 23 mars 2018 à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, président de chambre,
- M. Auvray, président-assesseur,
- M. Boissy, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 avril 2018.
Le rapporteur,
B. AUVRAYLe président,
M. HEERS
Le greffier,
C. DABERT
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA00938