Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 24 janvier 2020, Mme F..., représentée par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1910516 du 29 novembre 2019 du Tribunal administratif de Melun en ce qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa requête ;
2°) d'annuler les décisions du 19 août 2019 du préfet de l'Essonne lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les décisions ont été signées par un auteur incompétent ;
- elles sont entachées d'un défaut de motivation et d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étranges et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des 6° et 7° de l'article L. 511-4 du même code ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de cette même convention et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 mars 2020, le préfet de l'Essonne conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. G... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme F..., ressortissante nigériane née le 15 février 1982, déclare être entrée irrégulièrement en France en 2008 et s'y être maintenue depuis. Par un arrêté du 19 août 2019, le préfet de l'Essonne lui a fait obligation de quitter le territoire français, a fixé le pays de destination et a pris à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans. Mme F... fait appel du jugement du 29 novembre 2019 par lequel le Tribunal administratif de Melun, qui a annulé l'interdiction du retour sur le territoire français, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Sur les moyens relatifs à l'ensemble des décisions :
2. En premier lieu, par un arrêté n° 2019-PREF-DCPPAT-BCA-045 du 4 mars 2019, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de l'Essonne du même jour, le préfet de l'Essonne a donné à Mme B... D..., attachée d'administration, signataire des décisions attaquées, délégation à l'effet de signer les décisions en matière de police des étrangers en cas d'absence ou d'empêchement d'autorités dont il n'est pas établi qu'elles n'étaient pas absentes ou empêchées lors de la signature de l'arrêté contesté. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions attaquées manque en fait.
3. En deuxième lieu, l'arrêté attaqué mentionne que Mme F... est arrivée et s'est maintenue sur le territoire français sans titre de séjour, qu'elle a été condamnée à trois ans d'emprisonnement pour proxénétisme aggravé et traite d'êtres humains en 2018, qu'elle a fait l'objet de neuf signalements pour troubles à l'ordre public, qu'elle constitue une menace grave et actuelle pour la société, qu'elle ne justifie pas pourvoir à l'éducation et à l'entretien de son enfant né en France, qu'elle ne justifie pas d'une communauté de vie avec son époux français, que compte tenu des circonstances de l'espèce, il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale et enfin qu'elle n'allègue pas être exposée à des risques de traitements inhumains et dégradants en cas de retour au Nigéria. Dans ces conditions les décisions contestées, qui ne révèlent pas un défaut d'examen de la situation de Mme F..., énoncent l'ensemble des considérations de fait et de droit qui les fondent et sont dès lors suffisamment motivées.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
4. En premier lieu, aux termes du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étranges et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". Il appartient en principe à l'autorité administrative de délivrer, lorsqu'elle est saisie d'une demande en ce sens, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui remplit les conditions prévues par les dispositions précitées du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle ne peut opposer un refus à une telle demande que pour un motif d'ordre public suffisamment grave pour que ce refus ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du demandeur. Elle peut prendre en compte, sur un tel fondement, le fait qu'un demandeur a été impliqué dans des crimes graves contre les personnes et que sa présence régulière sur le territoire national, eu égard aux principes qu'elle mettrait en cause et à son retentissement, serait de nature à porter atteinte à l'ordre public.
5. Il ressort des pièces du dossier que si Mme F..., entrée en France en 2008, est mariée à un ressortissant français depuis le 3 octobre 2015 avec qui elle a eu un enfant né le 5 février 2017, la communauté de vie avec son époux a cessé en octobre 2017, après l'hospitalisation de ce dernier, ultérieurement placé en curatelle renforcée pour une durée de soixante mois par un jugement du 18 avril 2018 du Tribunal d'instance de Senlis. Par ailleurs Mme F... a été condamnée par le Tribunal de grande instance de Paris à trois ans d'emprisonnement le 23 février 2018 pour proxénétisme aggravé et traite d'êtres humains, et incarcérée. Leur enfant, âgé d'un an lors de l'incarcération, a alors fait l'objet d'un placement provisoire auprès de l'aide sociale à l'enfance par une ordonnance du Tribunal pour enfants de la Cour d'appel d'Amiens du 11 juillet 2018. En considérant, au regard de ces éléments, que Mme F... n'établissait pas l'existence d'une vie privée et familiale stable en France, ne remplissait pas de ce fait les conditions du 7° de l'article L. 313-11 précité et constituait une menace suffisamment grave à l'ordre public de nature à justifier les décisions prises, le préfet de l'Essonne n'a pas, par la décision attaquée, porté une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale de la requérante, ni par suite méconnu les dispositions précitées.
6. En deuxième lieu, aux termes des 6° et 7° de l'article L. 511-4 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) / 6° L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; / 7° L'étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française ".
7. Mme F... fait valoir qu'elle est mariée à un ressortissant français et qu'elle contribue à l'éducation et à l'entretien de son enfant, de nationalité française, à travers les visites de parloir, qui ont eu lieu deux fois par mois entre décembre 2018 et septembre 2019, et le versement de sommes afin de subvenir à ses besoins, qui proviendraient de la rémunération de travaux effectués à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis. Si les visites de parloir sont attestées par les calendriers de visite produits par Mme F..., la requérante ne justifie pas d'une contribution à l'entretien de son enfant en se bornant à produire une attestation de la caisse d'allocations familiales relative au mois de juillet 2017, soit plus de deux ans avant l'édiction de la décision contestée, indiquant que son enfant a été pris en compte dans le calcul du quotient familial. Par ailleurs le juge de la curatelle a relevé que l'intéressée ne pouvait pourvoir aux intérêts de son époux. Dès lors, le préfet de l'Essonne n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 511-4 précité en prenant la décision contestée.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
9. Si la décision portant obligation de quitter le territoire français prise par le préfet de l'Essonne à l'encontre de la requérante est de nature à porter atteinte à sa vie privée et familiale, il résulte toutefois des éléments mentionnés aux points 5 et 7 que la décision contestée ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 précité. Pour les mêmes motifs la requérante n'est pas plus fondée à soutenir que la décision serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Sur la décision fixant le pays de destination :
10. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme F... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination pour son éloignement.
11. En second lieu et en tout état de cause, il résulte de ce l'ensemble des éléments rappelés aux points 5, 7 et 9 que la décision ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante.
12. En troisième lieu, si Mme F... soutient que la décision contestée porte atteinte aux droits garantis par les articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en ce qu'elle encourrait des persécutions en cas de retour au Nigéria, elle n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations. Par suite, le moyen doit être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme F... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant à l'annulation des décisions du 19 août 2019 portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... F... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Essonne.
Délibéré après l'audience du 8 décembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Hamon, président,
- M. G..., premier conseiller,
- M. Aggiouri, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 décembre 2020.
Le rapporteur,
A. G...Le président,
P. HAMON
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20PA00267 2