Procédure devant la Cour :
Par un recours et un mémoire, enregistrés le 16 avril 2018 et le 30 novembre 2018, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par la Compagnie nationale Royal Air Maroc devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- le visa Schengen présenté par la passagère à l'origine du litige comportait des éléments d'irrégularité manifeste en ce que la durée totale de séjour autorisée de 90 jours par période de 180 jours était manifestement consommée à la date de son débarquement, le 18 mai 2016.
- les cachets apposés sur le passeport sont peu nombreux et parfaitement lisibles.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 novembre 2018, la Compagnie nationale Royal Air Maroc, représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Un mémoire a été enregistré pour la Compagnie nationale Royal Air Maroc le 20 mars 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 ;
- le règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mantz,
- les conclusions de Mme Jayer, rapporteur public,
- les observations de Me A...pour la Compagnie nationale Royal Air Maroc.
Une note en délibéré a été enregistrée le 5 avril 2019 pour la Compagnie nationale Royal Air Maroc, par MeA....
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision R/16-362 du 23 mars 2017, le ministre de l'intérieur a infligé à la Compagnie nationale Royal Air Maroc, sur le fondement de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une amende de 10 000 euros pour avoir, le 18 mai 2016, débarqué sur le territoire français une personne de nationalité marocaine, titulaire d'un visa Schengen manifestement périmé. Il relève appel du jugement du 14 février 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé cette décision.
Sur la sanction :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 6421-2 du code des transports : " Le transporteur ne peut embarquer les passagers pour un transport international qu'après justification qu'ils sont régulièrement autorisés à atterrir au point d'arrivée et aux escales prévues ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Est punie d'une amende d'un montant maximum de 10 000 l'entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un Etat avec lequel ne s'applique pas l'acquis de Schengen, un étranger non ressortissant d'un Etat de l'Union européenne et démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité. Est punie de la même amende l'entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque, dans le cadre du transit, un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne et démuni du document de voyage ou du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable compte tenu de sa nationalité et de sa destination ". Aux termes de l'article L. 625-2 du même code : " (...) La décision de l'autorité administrative, qui est motivée, est susceptible d'un recours de pleine juridiction. / L'autorité administrative ne peut infliger d'amende à raison de faits remontant à plus d'un an ". Enfin, aux termes de l'article L. 625-5 dudit code : " Les amendes prévues aux articles L. 625-1 (...) ne sont pas infligées : (...) 2° Lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste ".
3. Il résulte de ces dispositions qu'elles font obligation aux transporteurs aériens de s'assurer, au moment des formalités d'embarquement, que les voyageurs ressortissants d'Etats non membres de la Communauté économique européenne, devenue l'Union européenne, soient en possession de documents de voyage leur appartenant, le cas échéant revêtus des visas exigés par les textes, non falsifiés et valides. Si ces dispositions n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de conférer au transporteur un pouvoir de police aux lieux et place de la puissance publique, elles lui imposent de vérifier que l'étranger est muni des documents de voyage et des visas éventuellement requis et que ceux-ci ne comportent pas d'éléments d'irrégularité manifeste, décelables par un examen normalement attentif des agents de l'entreprise de transport. En l'absence d'une telle vérification, le transporteur encourt l'amende administrative prévue par les dispositions précitées.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni : / 1° Des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur (...) ". Aux termes de l'article 6 du règlement (CE) n°399/2016 susvisé : " Pour un séjour prévu sur le territoire des États membres, d'une durée n'excédant pas 90 jours sur toute la période de 180 jours, ce qui implique d'examiner la période de 180 jours précédant chaque jour de séjour, les conditions d'entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes : a) être en possession d'un document de voyage en cours de validité autorisant son titulaire à franchir la frontière qui remplisse les critères suivants (...) ; b) être en possession d'un visa en cours de validité si celui-ci est requis en vertu du règlement (CE) no 539/2001 du Conseil sauf s'ils sont titulaires d'un titre de séjour ou d'un visa de long séjour en cours de validité (...) ". L'article 1er du règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 susvisé dispose que les ressortissants des pays tiers figurant sur la liste de l'annexe I doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des Etats membres, à l'exclusion du transit aéroportuaire. Le Maroc fait partie des pays figurant sur la liste de cette annexe.
5. Il résulte de l'instruction que la passagère, de nationalité marocaine, a débarqué à l'aéroport d'Orly le 18 mai 2016 du vol n° AT 650 en provenance d'Oujda (Maroc), munie d'un passeport marocain revêtu d'un visa Schengen de type " C ", valable du 16 septembre 2015 au 15 septembre 2018, autorisant des entrées multiples et des séjours d'une durée totale de 90 jours sur une période de 180 jours. L'examen normalement attentif des cachets figurant sur ce document de voyage permet de constater, de manière claire et lisible, que son titulaire a fait, au cours de la période de 180 jours précédant le 18 mai 2016, soit à compter, approximativement et sans qu'il soit besoin de se livrer à un calcul au jour près, du 18 novembre 2015, trois séjours consécutifs, du 20 octobre 2015 au 8 janvier 2016, du 13 janvier 2016 au 21 mars 2016, puis du 27 mars 2016 au 15 mai 2016. Une opération de calcul sommaire du décompte de la durée globale des trois séjours, excluant la période antérieure au 18 novembre 2015, fait apparaître un total manifestement supérieur à cinq mois, soit supérieur à 90 jours. Dans ces conditions, le visa n'autorisait manifestement plus, à la date du 18 mai 2016, la passagère à entrer sur le territoire français, ce que pouvait aisément déceler un agent d'embarquement formé au contrôle des documents de voyage. Par suite, c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a retenu, pour annuler la décision du ministre de l'intérieur du 23 mars 2017, le moyen tiré de ce que le visa de cette passagère ne comportait pas d'éléments d'irrégularité manifeste, décelables par un examen normalement attentif des agents de l'entreprise de transport dès lors que détecter la péremption de ce visa nécessitait de procéder à un calcul élaboré.
6. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par la Compagnie nationale Royal Air Maroc devant le Tribunal administratif de Paris.
7. La Compagnie nationale Royal Air Maroc soutient qu'il ne lui appartient pas de se substituer aux autorités françaises pour déterminer si un visa Schengen avec des entrées multiples, tamponné par de très nombreux cachets d'entrée et de sortie du territoire, est valable, dès lors notamment qu'elle ne détient aucun pouvoir de police à cette fin et que, en outre, la clarté et la lisibilité des visas n'est pas assurée par les agents de la police aux frontières, dont les tampons sont le plus souvent apposés par chevauchement et sans souci de permettre une vérification efficiente des dates qui y figurent. Toutefois, et ainsi qu'il a été dit au point 3, il résulte des dispositions susvisées de l'article L. 6421-2 du code des transports que les transporteurs aériens ont l'obligation de vérifier, au moment des formalités d'embarquement, que les voyageurs ressortissants d'Etats non membres de l'Union européenne sont en possession de documents de voyage leur appartenant, le cas échéant revêtus des visas exigés par les textes, non falsifiés et valides. En tout état de cause, ainsi qu'il a été dit au point 5, les tampons apposés sur le passeport de la passagère ne se chevauchent pas et sont lisibles, de sorte qu'un examen normalement attentif aurait fait apparaître clairement les dates de ses entrées et sorties de l'espace Schengen et un calcul sommaire aurait permis de constater que le visa n'était pas valide. Par suite, le moyen doit être écarté.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision R/16-362 du 23 mars 2017 par laquelle il a infligé une amende de 10 000 euros à la Compagnie nationale Royal Air Maroc.
Sur les frais de l'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la Compagnie nationale Royal Air Maroc demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1708534/3-2 du Tribunal administratif de Paris du 14 février 2018 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la Compagnie nationale Royal Air Maroc devant le Tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de la Compagnie nationale Royal Air Maroc au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à la Compagnie nationale Royal Air Maroc.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2019 à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, président de chambre,
- Mme Julliard, présidente-assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller,
Lu en audience publique le 24 avril 2019.
Le rapporteur,
P. MANTZ
Le président,
M. HEERS Le greffier,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA01274