Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 30 avril 2018 et un mémoire en réplique enregistré le 2 mai 2019, la société Compagnie nationale Royal Air Maroc, représentée par MeA..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 28 février 2018 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision R/16-112 du 9 mars 2017 du ministre de l'intérieur ;
3°) de réduire le montant de l'amende prononcée à son encontre à la somme de 2 500 euros ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le ministre de l'intérieur ne justifie pas qu'il y ait lieu de la sanctionner dès lors que la passagère était en possession d'un passeport ordinaire valable, mais également d'un récépissé de demande de titre de séjour délivré par l'autorité française valable jusqu'au 29 janvier 2016 l'autorisant à séjourner en France et y travailler jusqu'au 29 avril 2016 ;
- si une légère erreur a été commise par les agents de la compagnie, infliger le montant maximum de l'amende est manifestement disproportionné ;
- la passagère n'a pas eu la volonté d'entrer irrégulièrement sur le territoire français ni de tromper la vigilance de la police et de la compagnie Royal Air Maroc.
Par un mémoire en défense enregistré le 1er mars 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ;
- l'arrêt n° C-606/10 du 14 juin 2012 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Julliard,
- et les conclusions de Mme Jayer, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 9 mars 2017, le ministre de l'intérieur a infligé à la Compagnie nationale Royal Air Maroc, sur le fondement des articles L. 625-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une amende de 10 000 euros pour avoir, le 28 mars 2016, débarqué sur le territoire français une personne de nationalité marocaine, en provenance de Fès, démunie de document lui permettant le franchissement des frontières de l'espace Schengen. La Compagnie nationale Royal Air Maroc relève appel du jugement du 28 février 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à titre principal, à l'annulation de cette décision et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l'amende à la somme de 2 500 euros.
2. Aux termes de l'article L. 6421-2 du code des transports : " Le transporteur ne peut embarquer les passagers pour un transport international qu'après justification qu'ils sont régulièrement autorisés à atterrir au point d'arrivée et aux escales prévues. ". Aux termes de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Est punie d'une amende d'un montant maximum de 10 000 euros l'entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un Etat avec lequel ne s'applique pas l'acquis de Schengen, un étranger non ressortissant d'un Etat de l'Union européenne et démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité. (...) " . Enfin, aux termes de l'article L. 625-5 du même code : " Les amendes prévues aux articles L. 625-1 et L. 625-4 ne sont pas infligées : (...) 2° Lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste. ".
3. Les dispositions précitées font obligation aux transporteurs aériens de s'assurer, au moment des formalités d'embarquement, que les voyageurs ressortissants d'Etats non membres de l'Union européenne sont en possession de documents de voyage leur appartenant, le cas échéant revêtus des visas exigés par les textes, non falsifiés et valides. Si elles n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de conférer au transporteur un pouvoir de police aux lieu et place de la puissance publique, elles lui imposent de vérifier que l'étranger est muni des documents de voyage et des visas éventuellement requis et que ceux-ci ne comportent pas d'éléments d'irrégularité manifeste, décelables par un examen normalement attentif des agents de l'entreprise de transport. En l'absence d'une telle vérification, à laquelle le transporteur est d'ailleurs tenu de procéder en vertu de l'article L. 6421-2 du code des transports, le transporteur encourt l'amende administrative prévue par les dispositions précitées.
4. Aux termes de l'article 2 du règlement n° 562/2006 susvisé, applicable à la date de l'infraction : " Aux fins du présent règlement, on entend par : (...) 16) "titre de séjour" : a) tous les titres de séjour délivrés par les Etats membres selon le format uniforme prévu par le règlement (CE) n° 1030/2002 du Conseil du 13 juin 2002 établissant un modèle uniforme de titre de séjour pour les ressortissants de pays tiers ; b) tous les autres documents délivrés par un Etat membre aux ressortissants de pays tiers et leur autorisant le séjour ou le retour sur son territoire, à l'exception des titres temporaires délivrés au cours de l'examen d'une première demande de titre de séjour tel que visé au point a) ou au cours de l'examen d'une demande d'asile. ". Aux termes de l'article 5 du même règlement : " Pour un séjour n'excédant pas trois mois sur une période de six mois, les conditions d'entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes : a) être en possession d'un document ou de documents de voyage en cours de validité permettant le franchissement de la frontière ; b) être en possession d'un visa en cours de validité si celui-ci est requis en vertu du règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des Etats membres et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation sauf s'ils sont titulaires d'un titre de séjour en cours de validité ; (...) ".
5. Ainsi que l'a rappelé le tribunal dans le jugement attaqué, dans son arrêt du 14 juin 2012, la Cour de justice de l'Union européenne, saisie d'une question préjudicielle par les gouvernements belge et français, a dit pour droit que l'article 2 du règlement n° 562/2006 exclut expressément de la notion de titre de séjour les titres temporaires de séjour délivrés au cours de l'examen d'une première demande de titre de séjour ou au cours de l'examen d'une demande d'asile.
6. La société Compagnie nationale Royal Air Maroc soutient, en premier lieu, que le ministre de l'intérieur ne justifie pas qu'il y ait lieu de la sanctionner dès lors que la passagère était en possession d'un passeport ordinaire valable mais également d'un récépissé de demande de titre de séjour délivré par l'autorité française valable jusqu'au 29 janvier 2016 l'autorisant à séjourner en France et à y travailler jusqu'au 29 avril 2016. Il résulte en effet de l'instruction, notamment du procès-verbal du 28 mars 2016, que le passeport de la passagère débarquée n'était pas revêtu d'un visa permettant l'entrée dans l'espace Schengen et que celle-ci était munie d'un seul récépissé de demande d'un premier titre de séjour. Dès lors que les dispositions combinées des articles 2 et 5 précitées du règlement n° 562/2006 excluent ce document de la liste des titres de séjour autorisant à déroger à la présentation du visa requis, la passagère n'était pas autorisée à débarquer sur le territoire français, comme le reconnaît la société requérante elle-même.
7. La société Compagnie nationale Royal Air Maroc soutient, en second lieu, que si une " légère erreur a été commise par les agents de la compagnie ", le montant maximum de l'amende est manifestement disproportionné. Toutefois, elle ne fait valoir aucune circonstance justifiant une réduction du montant de l'amende qui lui a été appliquée. Le fait, en particulier, que la passagère n'ait pas eu la volonté d'entrer irrégulièrement sur le territoire français ni de tromper la vigilance de la police et de la compagnie aérienne, est sans incidence sur le bien-fondé de l'application de la sanction et n'est pas de nature à constituer une circonstance atténuante eu égard à la connaissance que cette compagnie est réputée avoir des dispositions réglementaires précitées. Le ministre était par suite fondé à lui infliger l'amende maximale prévue par les dispositions précitées de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Compagnie nationale Royal Air Maroc n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Compagnie nationale Royal Air Maroc est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Compagnie nationale Royal Air Maroc et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 7 juin 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, président de chambre,
- Mme Julliard, présidente-assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 24 juin 2019.
La rapporteure,
M. JULLIARDLe président,
M. HEERS
Le greffier,
F. DUBUY La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 18PA01450 5