Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 27 février 2019, le préfet de police, demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1 à 3 du jugement du 27 décembre 2018 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... D...devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
- l'arrêté d'expulsion n'est entaché d'aucune erreur d'appréciation quant à la menace grave pour l'ordre public ;
- il ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les articles 3 et 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision de retrait de la carte de résident M. D... est fondée sur une mesure d'expulsion justifiée en raison de la menace grave à l'ordre public que représente le comportement de l'intéressé.
La requête a été communiquée à M. A... D..., qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New York, le 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Julliard,
- et les conclusions de Mme Jayer, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... D..., ressortissant congolais né le 24 avril 1972, déclare être entré en France le 3 novembre 1993 et a bénéficié d'une carte de résident valable du 23 juin 2009 au 22 juin 2019. Par deux arrêtés des 4 et 18 décembre 2017, le préfet de police a prononcé à son encontre une mesure d'expulsion du territoire français et a procédé au retrait de sa carte de résident. Le préfet de police relève appel du jugement du 27 décembre 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé ces décisions.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort du jugement attaqué que le Tribunal administratif de Paris a considéré que, compte tenu de l'acquiescement aux faits par le préfet sur l'effectivité de la vie familiale de M. D..., la mesure d'expulsion portait au droit au respect de la vie privée et familiale de ce dernier une atteinte disproportionnée au but poursuivi et avait ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qu'il y avait lieu d'annuler la décision du 4 décembre 2017 prononçant l'expulsion, et par voie de conséquence, la décision du 18 décembre 2017 portant retrait de la carte de résident de M. D....
4. Il ressort toutefois des pièces du dossier que si M. D... réside en France depuis 1993 et est père de cinq enfants dont quatre sont mineurs, il ne justifie pas avoir maintenu des liens avec ses enfants durant ses périodes d'incarcération, ni vivre ou avoir vécu avec ces derniers ni davantage contribuer effectivement à leur entretien ou à leur éducation. En effet, s'il a produit un courrier du 1er février 2017 d'une directrice d'école primaire l'informant qu'une réunion se tiendra à propos de la scolarité de son enfant et l'invitant à la contacter, une attestation du 15 janvier 2018 d'un principal de collège mentionnant sa présence aux réunions de parents d'élèves ou des courriers du 17 septembre 2017 et du 20 janvier 2018 de son ex-épouse faisant état de l'aide ponctuelle et des visites de M. D... à sa famille, ces documents dont certains sont postérieurs aux décisions en litige, sont insuffisants pour établir, eu égard aux buts poursuivis par une mesure d'expulsion, que l'atteinte portée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. D... serait, en l'espèce, disproportionnée.
5. Il en résulte que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur ce motif pour annuler ses décisions.
6. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant le Tribunal administratif de Paris.
Sur la demande de M. A... D...devant le Tribunal administratif de Paris :
En ce qui concerne l'arrêté d'expulsion :
7. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public ".
8. Les infractions pénales commises par un étranger ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une mesure d'expulsion et ne dispensent pas l'autorité compétente d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace grave pour l'ordre public. Lorsque l'administration se fonde sur l'existence d'une telle menace pour prononcer l'expulsion d'un étranger, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu'elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision.
9. Il ressort de la lecture de l'arrêté litigieux et des pièces du dossier que M. D... a été condamné par le Tribunal correctionnel de Senlis, le 20 juillet 2006, pour des faits commis entre 2003 et 2005 d'importation et trafic de stupéfiants à une peine de deux ans d'emprisonnement. L'intéressé, qui a bénéficié d'un aménagement de peines, s'est néanmoins de nouveau livré à des activités délictuelles d'importation et de trafic de stupéfiants entre le 1er juillet et le 5 septembre 2010 pour lesquelles, par un jugement du 14 décembre 2011, le Tribunal correctionnel de Créteil l'a condamné à trois ans d'emprisonnement. Sur appel du ministère public du jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Cambrai, la chambre des appels correctionnels de la Cour d'appel de Douai l'a condamné le 24 septembre 2015, à quatre ans d'emprisonnement pour des faits d'importation et trafic de stupéfiants commis en récidive du 14 au 15 août 2014. Il ressort également des pièces du dossier qu'il a été incarcéré aux Pays-Bas entre janvier et juin 2009.
10. M. D... soutient, en premier lieu, que le préfet de police a entaché son arrêté d'expulsion d'une erreur manifeste d'appréciation quant à la menace pour l'ordre public que constitue son comportement. Il fait valoir que le juge d'application des peines près du Tribunal de grande instance de Beauvais, par jugement du 4 novembre 2016, lui a accordé le bénéfice de la libération conditionnelle, que la commission d'expulsion a émis le 26 septembre 2017 un avis défavorable à son expulsion et qu'il verse au dossier des bulletins de salaire pour les mois de mars, avril, mai et juillet 2017 puis pour les mois de mai, juin et juillet 2018. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'il a été condamné à trois reprises pour des faits relatifs à la législation sur les stupéfiants et notamment, en dernier lieu, pour des faits de réalisation d'opération financière entre la France et 1'étranger sur des fonds provenant d'infraction à la législation sur les stupéfiants et participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit puni de 10 ans d'emprisonnement. Eu égard à la gravité de ces infractions et à leur caractère répété, le comportement de M. D... constitue une menace grave pour l'ordre public. Dès lors, le préfet de police n'a pas entaché son arrêté d'expulsion d'une erreur d'appréciation quant à la menace pour l'ordre public que constitue le comportement de M. D... et ce moyen doit être écarté.
11. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New York, le 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
12. Si M. D... soutient, en deuxième lieu que la décision litigieuse méconnaît les stipulations précitées, ainsi qu'il a été dit au point 4 de cet arrêt, l'implication financière et personnelle de M. D... dans la vie de ses enfants est récente et ponctuelle. En effet, il ressort des pièces du dossier qu'il ne réside pas avec eux et qu'il ne peut justifier avoir contribué ni à leur éducation ni à leur entretien, ni même avoir maintenu un lien affectif avec eux pendant ses nombreuses incarcérations. Dès lors, le préfet de police n'a pas méconnu les stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
13. En troisième lieu, M. D... ne peut utilement se prévaloir des stipulations de l'article 9 de la convention internationale des droits de l'enfant qui créent seulement des obligations entre Etats sans ouvrir de droits aux intéressés. Dès lors, ce moyen doit être écarté comme inopérant.
Sur la décision portant retrait de carte de séjour :
14. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité de l'arrêté d'expulsion à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision lui retirant sa carte de séjour.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé ses décisions du 4 et 18 décembre 2017, lui a enjoint de restituer à M. D... sa carte de résident et a condamné l'Etat à verser une somme de 1 000 euros à Me C...B..., en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la contribution de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 1 à 3 du jugement du 27 décembre 2018 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : La demande de M. A... D...devant le Tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera délivrée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 7 juin 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, président de chambre,
- Mme Julliard, présidente-assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller.
Lu en audience publique le 24 juin 2019.
La rapporteure,
M. JULLIARDLe président,
M. HEERS
Le greffier,
F. DUBUY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19PA00914 6