Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 13 février 2020, Mme B..., représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler l'article 2 du jugement n° 1919384/8 du 22 octobre 2019 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 13 août 2019 du préfet de police ;
3°) d'enjoindre au préfet de police, à titre principal, de l'admettre au séjour au titre de l'asile, dans un délai d'un jour à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale ainsi que le dossier OFPRA, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de lui délivrer durant cet examen une attestation de demande d'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'arrêt contesté est entaché d'une insuffisance de motivation ;
- le préfet de police n'a pas procédé à un examen approfondi de sa situation personnelle ;
- l'arrêté attaqué méconnaît les dispositions des articles 23 et 25 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors que le préfet de police n'apporte pas la preuve de la notification effective de la demande de reprise en charge aux autorités italiennes ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les dispositions de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 mai 2020, le préfet de police conclut au rejet de la requête de Mme B....
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.
Par une décision du 12 décembre 2019, le président du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris a accordé à Mme B... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- l'arrêt C-578/16 du 16 février 2017 de la Cour de justice de l'Union européenne du 16 février 2017 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- et le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante érythréenne née le 1er mai 1993, est entrée irrégulièrement en France, et a sollicité le 20 juin 2019 son admission au séjour au titre de l'asile. La consultation du fichier Eurodac a révélé que l'intéressé avait présenté une demande d'asile auprès des autorités italiennes le 30 mai 2019. Le 21 juin 2019, le préfet de police a adressé aux autorités italiennes une demande de reprise en charge de Mme B... en application des dispositions du b) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, que les autorités italiennes ont acceptée, par un accord implicite du 6 juillet 2019. Par un arrêté du 13 août 2019, le préfet de police a décidé de transférer Mme B... à ces autorités. Par un jugement du 22 octobre 2019, le Tribunal administratif de Paris a admis Mme B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et rejeté le surplus de ses conclusions. Mme B... relève appel de l'article 2 de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Dans son arrêt C-578/16 du 16 février 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit qu'il incombe aux autorités de l'État membre devant procéder au transfert d'éliminer tout doute sérieux concernant l'impact du transfert sur l'état de santé de l'intéressé, en prenant les précautions nécessaires pour que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l'état de santé de cette personne. Dans l'hypothèse où, compte tenu de la particulière gravité de l'affection du demandeur d'asile concerné, la prise de ces précautions ne suffirait pas à assurer que son transfert n'entraînera pas de risque réel d'une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, il incombe aux autorités de l'État membre concerné de suspendre l'exécution du transfert de l'intéressé, et ce aussi longtemps que son état ne le rend pas apte à un tel transfert, et le cas échéant, s'il s'apercevait que l'état de santé du demandeur d'asile concerné ne devrait pas s'améliorer à court terme, ou que la suspension pendant une longue durée de la procédure risquerait d'aggraver l'état de l'intéressé, d'examiner lui-même la demande de celui-ci en faisant usage de la " clause discrétionnaire " prévue à l'article 17, paragraphe 1, du règlement n° 604/2013.
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a informé le préfet de police, par un courrier du 30 juillet 2019 présentée par une association, qu'elle " souffre d'une pathologie lourde chronique et d'une maladie nécessitant des soins immédiats " et qu'il était nécessaire " qu'elle puisse continuer à suivre le traitement qui a été mis en place en France ". Elle faisait également état dans ce courrier de la circonstance qu'elle n'avait pas été prise en charge, notamment sur le plan médical, lors de son séjour en Italie, avant d'entrer sur le territoire français. Ce courrier était accompagné, d'une part, d'un certificat médical daté du 5 juillet 2019, précisant qu'elle souffrait du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) et de la tuberculose et mentionnant le traitement médicamenteux qui lui était administré, d'autre part, de trois ordonnances médicales. La requérante produit également un certificat médical daté du 15 juillet 2019, émanant d'un médecin de l'hôpital Lariboisière à Paris, indiquant qu'elle souffre du VIH ainsi que de la tuberculose, qu'elle suit un traitement à base d'antirétroviraux et d'antibiotiques et qu'elle a besoin " d'une prise en charge relativement rapide " en raison de sa " situation sociale complexe ". Ce certificat ajoute que la requérante a accouché, en 2019, d'un enfant né à la suite d'un viol en Libye. Par ailleurs, un certificat médical en date du 1er octobre 2019, rédigé par deux médecins exerçant au sein des Hôpitaux universitaires Paris Centre, indique, d'une part, que l'état de santé de Mme B..., qui est suivi au sein de cet établissement, nécessite des " investigations complémentaires " et qu'une " rupture du suivi médical et du traitement pourrait entraîner des conséquences graves pour sa santé " ainsi que pour son état psychologique, qualifié de " précaire ". Si le préfet de police fait valoir que Mme B... n'a pas fait état de ces circonstances lors de son entretien individuel auprès des services de la préfecture de police le 20 juin 2019, il ressort des pièces du dossier que le courrier du 30 juillet 2019, auquel étaient joints, ainsi qu'il a été dit précédemment, le certificat médical du 5 juillet 2019 ainsi que trois ordonnances médicales, a été reçu par ses services le 9 août 2019, soit antérieurement au prononcé de l'arrêté de transfert attaqué. Or, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de police aurait procédé, en particulier auprès des autorités italiennes, à des vérifications de nature à éliminer tout doute sérieux concernant l'impact du transfert sur l'état de santé de l'intéressée et à établir que son transfert puisse avoir lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante son état de santé. Dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, Mme B... est fondée à soutenir que le préfet de police n'a pas procédé un examen approfondi de sa situation, et que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté contesté.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
4. Eu égard au motif d'annulation retenu ci-dessus, le présent jugement implique seulement mais nécessairement que le préfet de police procède au réexamen de la situation de Mme B.... Il y a lieu, en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de police d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
5. Mme B... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me A..., conseil de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros.
D É C I D E :
Article 1er : L'article 2 du jugement n° 1919384/8 du 22 octobre 2019 du Tribunal administratif de Paris et l'arrêté du 13 août 2019 du préfet de police sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de procéder au réexamen de la situation de Mme B... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me A..., conseil de Mme B..., une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me A... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B..., à Me A..., au préfet de police et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 12 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- M. Segretain, premier conseiller,
- M. C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 janvier 2021.
Le rapporteur,
K. C...Le président,
C. JARDIN
Le greffier,
C. BUOTLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 20PA00542