Par un jugement n° 1308613 du 12 décembre 2017, le Tribunal administratif de Melun a condamné La Poste à verser à M. A... une somme de 44 000 euros et a mis les frais d'expertise à la charge définitive de La Poste.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des pièces, enregistrées le 13 février 2018, le 15 mars 2019 et le 5 avril 2019, M. A..., représenté par MeE..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 12 décembre 2017 en tant que, par ce jugement, le Tribunal administratif de Melun a limité à 44 000 euros la condamnation de La Poste ;
2°) de condamner La Poste à lui verser la somme totale de 305 111,50 euros ;
3°) de mettre à la charge de La Poste la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
Sur les préjudices patrimoniaux :
- les frais médicaux restés à sa charge doivent être évalués à 20 800 euros entre 2010 et 2018 ;
- il a subi une perte de gains professionnels avant consolidation qui doit être évaluée à 3 500 euros ;
- sa perte de gains professionnels futurs doit être évaluée à 6 000 euros ;
- l'incidence professionnelle de cet accident doit être évaluée à 53 208 euros.
Sur les préjudices extra-patrimoniaux :
- le déficit fonctionnel temporaire total, correspondant à 250 jours d'hospitalisation, doit être évalué à 6 167,50 euros ;
- le déficit fonctionnel temporaire partiel de 25 % doit être évalué à 12 816 euros ;
- ses souffrances endurées doivent être évaluées à 40 000 euros ;
- le déficit fonctionnel permanent doit être évalué à 27 600 euros ;
- le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence doivent être évalués à 133 020 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 26 juillet 2018 et le 4 avril 2019, La Poste, représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de M. A... de la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
Sur les préjudices patrimoniaux :
- les frais médicaux invoqués ne sont ni justifiés ni même n'ont été, pour certains, utiles ;
- la perte de gains professionnels avant consolidation n'est pas établie ;
- la perte de gains professionnels futurs n'est pas établie ;
- l'incidence professionnelle n'est pas établie au-delà du montant alloué par le Tribunal administratif de Paris.
Sur les préjudices extra-patrimoniaux :
- les préjudices respectifs correspondant au déficit fonctionnel temporaire total, au déficit fonctionnel temporaire partiel et au déficit fonctionnel permanent ne sont pas établis au-delà du montant alloué par le Tribunal administratif de Paris ;
- le préjudice moral, qui est en réalité inclus dans le déficit fonctionnel permanent, n'est en tout état de cause pas établi au-delà du montant alloué par le Tribunal administratif de Paris ;
- le requérant ne peut utilement présenter une demande au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mantz,
- les conclusions de Mme Jayer, rapporteur public,
- les observations de Me E...pour M. A...et Me D...pour La Poste.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., agent technique de gestion supérieur à La Poste, affecté au bureau de Poste de Roissy-en-Brie (Seine-et-Marne), a été victime, le 25 janvier 2006 puis le 5 mai 2010, de deux agressions à main armée par des individus extérieurs à La Poste. Suite à la deuxième agression, il a été placé en arrêt de travail pour dépression jusqu'au 12 mars 2011, puis à nouveau à compter du 15 décembre 2011. Ces arrêts de travail ont été pris en charge au titre de l'accident de service, sa dépression résultant directement de l'agression du 5 mai 2010. Par un jugement n° 1308613 du 24 décembre 2015, devenu définitif, le Tribunal administratif de Melun a, d'une part, estimé que La Poste avait commis une faute ayant concouru à la survenance de l'accident de service du 5 mai 2010, de nature à engager sa responsabilité à l'égard de M. A... et, d'autre part, désigné un expert aux fins, notamment, d'évaluer les différents préjudices subis par celui-ci. L'expert a rendu son rapport le 20 juin 2017. M. A... demande à la Cour d'annuler le jugement n° 1308613 du 12 décembre 2017 en tant que, par ce jugement, le Tribunal administratif de Melun a limité à la somme de 44 000 euros la condamnation de La Poste à réparer les différents préjudices résultant de l'accident de service du 5 mai 2010.
Sur l'évaluation des préjudices :
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
S'agissant des préjudices patrimoniaux temporaires :
Sur les frais médicaux restés à la charge de M. A... :
2. M. A... ne justifie, pas plus en appel qu'en première instance, de la réalité des frais de transport exposés pour se rendre aux consultations de son psychiatre à Corbeil-Essonne (Essonne). Ces frais ne sauraient, en effet, être établis par la seule production de l'itinéraire emprunté, avec la mention de son coût et d'un avis de ce psychiatre, en date du 28 septembre 2017, se bornant à mentionner un suivi régulier sans préciser le nombre exact de consultations. Il s'ensuit que M. A... ne peut prétendre au remboursement des sommes qu'il sollicite à ce titre.
3. S'agissant des sommes déboursées au titre des consultations d'une psychothérapeute, il résulte des écritures de M. A... que celui-ci sollicite une somme globale de 12 480 euros, représentative de huit années de frais de consultation, excluant les frais de transport. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que M. A... effectue, depuis avril 2013, un travail de psychothérapie avec une psychologue clinicienne dont le cabinet est situé à Osny (Val d'Oise), lequel a été entamé dans le cadre de son hospitalisation au centre de psychothérapie d'Osny entre mars 2012 et mars 2013. Il résulte de différentes attestations de cette praticienne, datées du 15 avril 2015, 11 octobre 2017, 14 octobre 2018 et 21 octobre 2018, que la fréquence des consultations, dont le coût était de 55 euros par séance en 2015 et de 60 euros à compter de 2017, est bimensuelle. Celle-ci indique en outre, dans sa dernière attestation du 21 octobre 2018, que " ce travail thérapeutique (avril 2013 à octobre 2018) représente actuellement un coût total de 6 840 euros " sans toutefois préciser les composantes de ce montant total. Par suite, dès lors que cette somme n'est qu'approximativement compatible avec le coût et la fréquence des consultations indiqués par la psychologue, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice, limité à une période de cinq ans et six mois pendant lesquels M. A... n'était pas hospitalisé, en allouant à M. A... une somme de 6 500 euros.
Sur la perte de gains professionnels :
4. M. A... reprend en appel, dans des termes similaires, les prétentions qu'il avait invoquées en première instance, basées sur le rapport d'expertise, et tendant à l'indemnisation d'une perte de gains de 500 euros subie entre octobre 2012 et avril 2013, soit une perte totale de 3 500 euros. Il y a lieu de rejeter ces prétentions par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif.
S'agissant des préjudices patrimoniaux permanents :
Sur la perte de gains professionnels futurs :
5. M. A... soutient qu'en conséquence de l'accident de service du 5 mai 2010, son grade et son indice n'ont pas évolué, ainsi qu'il résulterait de son bulletin de paie du mois de juin 2017, postérieur à la date de consolidation de son état de santé, fixé au 23 juin 2016 par l'expert. Il résulte toutefois de l'instruction, notamment de l'examen des bulletins de paie de M. A..., qu'au titre du mois de novembre 2010, celui-ci se trouvait à l'indice majoré 426 et percevait une rémunération nette de 1 776,56 euros, et qu'au titre du mois de juin 2017, il se trouvait à l'indice majoré 481 pour une rémunération nette de 2 078,32 euros. Il s'ensuit que M. A... n'est pas fondé à soutenir que son indice n'aurait pas évolué entre 2010 et 2017. S'agissant de l'évolution de son grade, le requérant ne justifie pas qu'il avait une chance suffisamment sérieuse de passer à un grade supérieur, que ce soit par la réussite à un concours ou examen professionnel ou dans le cadre d'un dispositif de promotion interne. Par suite, M. A... ne saurait obtenir une indemnisation de ce chef de préjudice.
Sur l'incidence professionnelle :
6. M. A... soutient que, du fait de ses troubles séquellaires consécutifs à l'accident de service du 5 mai 2010 s'apparentant, ainsi qu'il résulte du rapport de l'expert, à la combinaison d'un état de stress post-traumatique et d'un état dépressif chronicisés, il est toujours dans l'incapacité de travailler et subit de ce fait une dévalorisation et un déclassement professionnels importants, alors qu'il était très compétent dans ses fonctions de gestionnaire de clientèle et pouvait prétendre à des responsabilités supérieures, notamment de direction d'une agence bancaire. Il résulte de l'instruction que M. A... qui, ainsi qu'il a été dit au point 5, ne justifie pas qu'il avait des chances suffisamment sérieuses de bénéficier d'un avancement de grade, n'établit pas davantage que ses capacités professionnelles lui auraient permis d'accéder à un poste de responsabilité supérieure, notamment de direction d'une agence bancaire. Toutefois, il résulte également de l'instruction que l'intéressé, dont l'état de santé reste " fragile et préoccupant ", selon l'attestation, en date du 28 septembre 2017, du docteur H., psychiatre, et dont le rapport d'expertise mentionne, d'une part, que sa capacité à reprendre une activité professionnelle n'est pas établie et, d'autre part, à supposer qu'elle le soit, que M. A... ne pourra, en tout état de cause, reprendre une telle activité que dans un environnement sécurisé et excluant un contact direct avec le public, subit un préjudice lié à la nécessité de devoir abandonner la profession qu'il exerçait avant le dommage. Par suite, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en allouant à M. A... une somme de 10 000 euros au titre de l'incidence professionnelle.
En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :
S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux temporaires :
Sur le déficit fonctionnel temporaire total :
7. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, complété par le document de sortie de l'hôpital Tenon de M. A... à la date du 28 septembre 2012, sur lequel les deux parties sont d'accord, que les périodes de déficit fonctionnel temporaire total de M. A... vont du 15 décembre 2011 au 23 janvier 2012, du 23 juillet 2012 au 28 décembre 2012 et du 3 janvier 2013 au 28 février 2013, soit un total de 250 jours. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant, sur la base du référentiel indicatif de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), en date du 1er janvier 2016, lequel indique une indemnisation forfaitaire de 300 à 500 euros par mois, en fonction des circonstances, pour une incapacité fonctionnelle temporaire totale, à la somme de 4 000 euros.
Sur le déficit fonctionnel temporaire partiel :
8. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que les périodes de déficit fonctionnel temporaire partiel, au taux de 25 %, de M. A... vont du 5 mai 2010 au 14 décembre 2011, du 24 janvier 2012 au 22 juillet 2012, du 29 décembre 2012 au 2 janvier 2013 et du 1er mars 2013 au 23 juin 2016, date de consolidation, soit un total de 5 ans, 5 mois et 3 jours. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant, sur la base du référentiel de l'ONIAM mentionné au point 6, et compte tenu du taux précité, à la somme de 5 000 euros.
Sur les souffrances endurées :
9. Il sera fait une juste appréciation du préjudice résultant des souffrances endurées, compte tenu notamment de leur évaluation par l'expert à 4 sur une échelle de 7, en fixant l'indemnisation due à ce titre à la somme de 8 000 euros, ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges.
S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux permanents :
Sur le déficit fonctionnel permanent :
10. M. A... reprend en appel, dans des termes identiques, les prétentions qu'il avait invoquées en première instance au regard du déficit fonctionnel permanent de 15 % retenu par le rapport de l'expert. Il y a lieu de rejeter ces prétentions par adoption des motifs retenus par les premiers juges.
S'agissant du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence :
11. Au soutien de ses prétentions relatives à ces chefs de préjudice, M. A... invoque le psycho-traumatisme retenu par l'expert en relation avec l'accident de service du 5 mai 2010, sa situation morale précaire, la dégradation de ses relations familiales avec sa femme et son fils âgé de dix ans ainsi que des difficultés importantes de réadaptation à la vie quotidienne et en société. Toutefois, et ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges, ces éléments de préjudice sont déjà indemnisés au titre du déficit fonctionnel permanent, lequel correspond non seulement aux atteintes physiologiques de la victime mais aussi aux souffrances psychologiques, à la perte de la qualité de vie et aux troubles dans les conditions d'existence que celle-ci rencontre au quotidien après la consolidation de son état. Par suite, M. A... ne saurait obtenir une indemnisation de ce chef de préjudice au-delà du montant alloué par le tribunal administratif.
En ce qui concerne les frais d'expertise :
12. Il résulte du jugement attaqué que la somme de 2 000 euros a été mise à la charge de la Poste. Par suite, la demande relative à ces frais doit être rejetée.
13. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de porter à 55 500 euros le montant de l'indemnité due par La Poste à M. A... et de réformer en ce sens le jugement attaqué.
En ce qui concerne les frais liés au litige :
14. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ". Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que La Poste demande sur le fondement de ces dispositions. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de La Poste la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 44 000 euros que La Poste a été condamnée à verser à M. A... par le jugement n° 1308613 du 12 décembre 2017 du Tribunal administratif de Melun est portée à 55 500 euros.
Article 2 : Ce jugement est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La Poste versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de La Poste au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A...et à La Poste.
Délibéré après l'audience du 17 mai 2019 à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, président de chambre,
- Mme Julliard, présidente-assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller.
Lu en audience publique le 31 mai 2019.
Le rapporteur,
P. MANTZLe président,
M. HEERSLe greffier,
F. DUBUY
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA00507