Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 28 juillet 2017 et le 11 juillet 2018, la société de distribution et de gestion, représentée par Me Saint Esteben, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1600453 du 1er juin 2017 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en date du 30 août 2016 ;
3°) de mettre à la charge du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie la somme de 3 000 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement entrepris est entaché d'irrégularité en tant qu'il se fonde, dans son point 42, sur un arrêté et un rapport qui n'ont pas été communiqués par une partie ;
- le gouvernement n'ayant pas pris dans un délai raisonnable les mesures nécessaires pour la mise en place de l'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie créée par la loi du pays du 24 avril 2014, il n'était plus compétent pour statuer sur la demande qui lui était présentée ;
- la procédure suivie n'a pas présenté les garanties de compétences, d'impartialité et d'indépendance requises ;
- l'arrêté repose sur une sous-estimation des parts de marché du groupe Bernard Hayot sur le marché aval de la distribution de détail à dominante alimentaire ; il n'a en particulier été tenu compte que de la seule variation de la surface de vente et non de la variation de la productivité au m² et de l'augmentation du chiffre d'affaires que va tirer le groupe Bernard Hayot de l'ouverture de l'hypermarché concerné ; par ailleurs, si le groupe s'est engagé à céder d'autres magasins, l'incidence sur sa position sur le marché demeure incertaine, compte tenu du nombre restreint de repreneurs potentiels et du risque de n'en trouver aucun ;
- l'arrêté repose sur une analyse insuffisante des effets de l'ouverture de l'hypermarché sur le marché amont de l'approvisionnement ; en particulier, la situation qui était celle des fournisseurs face aux trois supermarchés que le groupe s'est engagé à céder sera nécessairement moins favorable face à un hypermarché ;
- les conséquences de l'opération sur d'autres marchés, en particulier sur les marchés de distribution de véhicules particuliers automobiles neufs à destination des particuliers et à destination des professionnels, de distribution de véhicules automobiles commerciaux neufs, de distribution de pièces de rechange et d'accessoires et de distribution de services d'entretien et de réparation automobile, n'ont pas été examinées alors qu'à l'issue de l'opération, le groupe disposera d'une galerie commerciale destinée à accueillir un centre auto ;
- les engagements pris ne sont pas suffisants pour supprimer l'atteinte grave à la concurrence relevée par le rapport du gouvernement ; la cession de la participation minoritaire au capital social de la SAS Johnston Distribution est à cet égard sans effet dès lors que cette seule participation et le contrat de sous-affiliation ne démontrent nullement que le groupe contrôlerait cette entreprise, au sens du droit des concentrations ; l'absence de prise en compte du Casino Johnston dans la part du groupe dans la zone primaire des hypermarchés ne modifie par ailleurs pas notablement l'équilibre des forces et, en tout état de cause, ce magasin doit être regardé non comme un hypermarché mais comme un supermarché, ne relevant pas de la zone primaire ; par suite, le seul engagement de céder les deux supermarchés Leader Price Auteuil et Casino Vallée des colons n'est pas suffisant compte tenu, d'une part, du risque de ne trouver aucun repreneur concurrent et, d'autre part, de la concurrence à laquelle ces établissements devront faire face du fait de la mise en exploitation autorisée.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 13 mars 2018 et le 17 mars 2019, la société des supermarchés du nord, représentée par le cabinet De Pardieu Brocas Mafféi, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 50 000 euros soit mise à la charge de la société de distribution et de gestion au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 11 juillet 2018 et le 15 mars 2019, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, représenté par la SCP Meier-Bourdeau Lecuyer, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société de distribution et de gestion au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999,
- le code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie,
- la loi du pays n° 2014-7 du 14 février 2014,
- la loi du pays n° 2014-12 du 24 avril 2014,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Guilloteau,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- les observations de Me Saint Esteben, avocat de la société de distribution et de gestion,
- les observations de Me Lecuyer, avocat du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie,
- et les observations de Me A...substituant le cabinet De Pardieu Brocas Mafféi, avocat de la société des supermarchés du Nord.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté en date du 30 août 2016, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a, sur le fondement des articles Lp. 432-1 et Lp. 432-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, autorisé la société des supermarchés du Nord (groupe Bernard Hayot) à créer et mettre en exploitation un hypermarché dans la commune de Dumbéa-sur-mer. Cette autorisation a été délivrée sous réserve du respect de trois engagements pris par le groupe Bernard Hayot. Par la présente requête, la société de distribution et de gestion, qui appartient au groupe Kenu In, demande l'annulation du jugement du 1er juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. Pour écarter le moyen invoqué devant eux par la société de distribution et de gestion et tiré de l'absence d'analyse des effets de l'opération sur le secteur de la distribution automobile, les premiers juges se sont notamment fondés, au point 42 du jugement du 1er juin 2017, sur des éléments figurant dans le rapport annexé à l'arrêté n° 2015-715/GNC du 6 mai 2015. Si la société requérante fait valoir que cet arrêté et son rapport n'ont pas été versés au débat contradictoire, il ressort toutefois des pièces du dossier devant les premiers juges qu'elle invoquait elle-même ces documents à l'appui de son moyen. Dans ces conditions et alors que ces documents ont été publiés au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie, le tribunal administratif de la Nouvelle-Calédonie n'a, d'une part, pas méconnu le principe du contradictoire en se fondant sur des éléments contenus dans le rapport annexé à l'arrêté du 6 mai 2015 sans l'avoir préalablement communiqué aux parties.
3. D'autre part, il appartient au juge administratif de se prononcer sur le bien-fondé des moyens dont il est saisi et, le cas échéant, d'écarter de lui-même, quelle que soit l'argumentation du défendeur, un moyen qui lui paraît infondé, au vu de l'argumentation qu'il incombe au requérant de présenter au soutien de ses prétentions. En écartant comme infondé le moyen invoqué au regard, notamment, des éléments de fait contenus dans le rapport annexé à l'arrêté du 6 mai 2015 dont se prévalait la société de distribution et de gestion, les premiers juges n'ont ainsi pas relevé d'office un moyen qu'ils auraient été tenus de communiquer préalablement aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative.
4. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le jugement du 1er juin 2017 serait entaché d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la légalité externe de l'arrêté du 30 août 2016 :
5. La loi du pays du 14 février 2014 a créé dans le code du commerce applicable en Nouvelle-Calédonie au sein du livre IV consacré à la liberté des prix et de la concurrence, un titre III relatif au contrôle des structures de marché, portant dans son chapitre II sur le contrôle des opérations dans le secteur du commerce de détail. Les articles Lp. 432-1 et suivants du code, issus de cette loi, soumettent ainsi à autorisation préalable la mise en exploitation d'un nouveau magasin de commerce de détail lorsque sa surface de vente est supérieure à 350 m². Une telle opération doit être déclarée, avant sa réalisation effective, au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, qui peut l'autoriser ou l'interdire par un arrêté motivé.
6. La loi du pays du 24 avril 2014 a ensuite modifié le code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie pour confier à l'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie le contrôle des opérations dans le secteur du commerce de détail. L'article 17 de cette loi dispose que : " Les dispositions de la présente loi du pays entrent en vigueur le lendemain de la publication au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie de la décision du collège constatant la première réunion de l'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie à l'exception des dispositions modifiant le chapitre II du titre III du livre IV du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie (...), qui entrent en vigueur à la date de publication de la présente loi. / Jusqu'au jour de la décision mentionnée au premier alinéa, les références à " l'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie " prévues au chapitre II du titre III du livre IV sont remplacées par les références au " gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. ". (...) ". L'article 16 de la loi du pays du 24 avril 2014 dispose en outre que : " I. - Jusqu'au jour de la publication de la décision mentionnée à l'article 17, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie exerce les compétences qui lui sont dévolues par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur à la date de publication de la loi du pays portant création de l'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie et modifiant le livre IV de la partie législative du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie. / II. - La validité des actes de poursuite, d'instruction et de sanction accomplis antérieurement au lendemain de la publication de la décision mentionnée à l'article 17, est appréciée au regard des textes en vigueur à la date à laquelle ils ont été pris ou accomplis. / III. - Au lendemain de la publication de la décision mentionnée à l'article 17, tous les dossiers en cours d'instruction relatifs à des pratiques relevant des titres II et IV du livre IV de la partie législative applicable en Nouvelle-Calédonie, sont transmis par le gouvernement à l'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie. / IV. - L'examen des opérations de concentration et des opérations concernant le secteur du commerce de détail notifiées avant la date de la première réunion de l'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie se poursuivent selon les règles de procédure en vigueur antérieurement à cette date. (...) ".
7. En premier lieu, il est constant qu'à la date de l'arrêté du 30 août 2016, la décision du collège constatant la première réunion de l'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie n'avait pas été publiée, les membres de cette autorité n'ayant pas encore été nommés. Si la société requérante fait valoir que l'absence d'installation de l'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie résulte du retard fautif du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie à prendre les mesures d'application appelées par la loi du pays du 24 avril 2014, cette circonstance serait seulement de nature, le cas échéant, à entacher d'illégalité le refus de prendre ces mesures ou à engager la responsabilité de la Nouvelle-Calédonie. Cette circonstance est en revanche sans incidence sur l'entrée en vigueur des dispositions de la loi du pays du 24 avril 2014, dont les modalités ont été définies par les articles 16 et 17 de cette loi. Il résulte de ces dispositions que la mise en exploitation d'un hypermarché par la société des supermarchés du Nord devait être examinée au regard des dispositions des articles Lp. 432-1 à Lp. 432-6 du code de commerce applicables en Nouvelle-Calédonie dans leur rédaction issue de la loi du pays du 24 avril 2014, à l'exception des références à l'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie. Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie était ainsi bien compétent pour autoriser l'opération en cause. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte ne peut dès lors qu'être écarté.
8. En deuxième lieu, d'une part, la loi du pays du 24 avril 2014 a créé dans le code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, au sein du livre IV consacré à la liberté des prix et de la concurrence, un titre VI relatif à l'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie, décrivant son organisation. Si la société requérante fait valoir que l'arrêté du 30 août 2016 a été édicté par les membres du gouvernement dont rien ne permet de s'assurer qu'ils répondent aux conditions d'expérience exigées des membres du collège de l'autorité de la concurrence par l'article Lp. 461-1 du code de commerce, cet article est au nombre de ceux dont l'entrée en vigueur est subordonnée à la publication de la décision du collège constatant la première réunion de l'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie, en application de l'article 17 précité de la loi du pays du 24 avril 2014. Il en va de même de l'article Lp. 461-4 du même code, prévoyant que cette autorité dispose d'un service d'instruction distinct de la formation délibérante. La société requérante ne peut donc utilement se prévaloir des dispositions qui n'étaient pas en vigueur à la date de l'arrêté du 30 août 2016. En tout état de cause, aucun principe n'impose la séparation des fonctions d'instruction et de décision sur une demande d'autorisation comme en l'espèce, à la différence des sanctions pouvant être prononcées par une autorité administrative indépendante telle que l'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie.
9. D'autre part, la société requérante ne peut utilement invoquer l'article 27-1 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, relatif aux conditions d'exercice des fonctions de président et de membre d'une autorité administrative indépendante créée par la Nouvelle-Calédonie à l'encontre d'une décision prise par les membres du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie dans l'exercice de leurs fonctions. Enfin et en tout état de cause, la société requérante ne fait état d'aucune circonstance de nature à faire naître un doute objectivement justifié sur l'impartialité des auteurs de l'arrêté du 30 août 2016.
10. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure au terme de laquelle est intervenu l'arrêté du 30 août 2016 doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne de l'arrêté du 30 août 2016 :
11. En vertu des articles Lp. 432-1 et Lp. 432-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, dans leur version applicable au présent litige tel qu'il a été dit au point 7, sont soumis à autorisation et nécessitent une notification avant réalisation effective : " (...) 1° toute mise en exploitation d'un nouveau magasin de commerce de détail, lorsque sa surface de vente est supérieure à 350 m² ; / 2° toute mise en exploitation, dans un magasin de commerce de détail déjà en exploitation, d'une nouvelle surface de vente, lorsque la surface totale de vente de ce magasin est ou devient supérieure à 350 m² ; / 3° tout changement d'enseigne commerciale d'un magasin de commerce de détail dont la surface de vente est supérieure à 350 m², et tout changement de secteur d'activité d'un tel magasin ; / 4° toute reprise, par un nouvel exploitant, d'un magasin de commerce de détail dont la surface de vente supérieure est supérieure à 350 m² sauf lorsque l'opération constitue une opération de concentration notifiable au sens des articles Lp. 431-1 et Lp. 431-2. ". Aux termes de l'article Lp. 432-3 du même code : " I. - [Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie] se prononce dans un délai de quarante jours ouvrés à compter de la date de réception de la notification complète. (...) III. - [Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie] peut, par décision motivée : / - soit constater que l'opération qui lui a été notifiée n'entre pas dans le champ défini par l'article Lp. 432-1 ;/ - soit autoriser l'opération, en subordonnant éventuellement cette autorisation à la réalisation effective des engagements pris par l'exploitant ; /- soit, si [il] estime qu'il subsiste un doute sérieux d'atteinte à la concurrence, notamment au regard des critères mentionnés au premier alinéa du I de l'article Lp. 432-4, engager un examen approfondi dans les conditions prévues à l'article Lp. 432-4. Cette décision est notifiée sans délai à l'exploitant ayant procédé à la notification. ". L'article Lp. 432-4 du même code dispose que : " I. - Lorsqu'en application de l'article Lp. 432-3, [le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie] a engagé un examen approfondi, [il] examine si cette opération est de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d'une position dominante ou par création ou renforcement d'une puissance d'achat qui place les fournisseurs en situation de dépendance économique.(...)/ II. - Après avoir pris connaissance de l'ouverture d'un examen approfondi en application du dernier alinéa du III de l'article Lp. 432-3, l'exploitant peut proposer des engagements de nature à remédier aux effets anticoncurrentiels de l'opération. (...)/ III. - Avant de statuer, [le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie] peut entendre des tiers en l'absence de l'exploitant qui a procédé à la notification. / IV. - [Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie] peut, par décision motivée : /- soit interdire l'opération ; /- soit autoriser l'opération en enjoignant aux parties de prendre toute mesure propre à assurer une concurrence suffisante ou en les obligeant à observer des prescriptions de nature à apporter au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence./ Les injonctions et prescriptions mentionnées à l'alinéa précédent s'imposent quelles que soient les clauses contractuelles éventuellement conclues par l'exploitant ayant procédé à la notification./ Le projet de décision est transmis à l'exploitant, auquel un délai raisonnable est imparti pour présenter ses observations. / V. - Si [le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie] n'entend prendre aucune des décisions prévues au III, [il] autorise l'opération par une décision motivée. L'autorisation peut être subordonnée à la réalisation effective des engagements pris par l'exploitant ayant procédé à la notification. (...) ".
12. Par un arrêté du 5 janvier 2016, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a considéré qu'un doute sérieux d'atteinte à la concurrence subsistait sur l'opération notifiée par la société des supermarchés du Nord et a décidé de l'ouverture d'un examen approfondi de l'opération en cause, dans les conditions prévues aux articles Lp. 432-3 et Lp. 432-4 du code de commerce. Le groupe Bernard Hayot a présenté le 13 mai, le 17 juin et le 26 juillet 2016 trois engagements consistant, premièrement, à céder la participation du groupe dans le capital de la SAS Johnston Distribution et à résilier les contrats de sous-affiliation et de gestion correspondant, deuxièmement, à réduire la surface de l'hypermarché à créer de 1 000 m² (4 500 m² au lieu de 5 500 m² prévus) et, troisièmement, à céder deux autres supermarchés dont le groupe est propriétaire et à résilier les contrats d'affiliation correspondants. Par l'arrêté du 30 août 2016, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a estimé qu'avec l'application de ces trois engagements, l'opération n'était pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d'une position dominante ou par création ou renforcement d'une puissance d'achat qui placerait les fournisseurs en situation de dépendance économique.
13. En premier lieu, pour analyser les effets de la mise en exploitation de l'hypermarché projetée par le groupe Bernard Hayot, il ressort du rapport annexé à l'arrêté du 30 août 2016 que le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a d'abord délimité les marchés pertinents de la distribution alimentaire en aval sur une zone de chalandise primaire, définie comme regroupant tous les hypermarchés du Grand Nouméa, et sur une zone de chalandise secondaire, définie comme regroupant tous les hypermarchés, supermarchés et magasins discounters situés à 20 minutes en voiture de l'hypermarché projeté. Il a ensuite été procédé à une analyse concurrentielle au regard de la variation des parts de marché du groupe sur ces deux marchés. Les parts de marché ont été évaluées en fonction de la surface de vente des magasins détenus ou contrôlés par chacune des entreprises présentes sur ce marché, le groupe Bernard Hayot détenant ou contrôlant déjà deux hypermarchés et sept supermarchés et le groupe Kenu In détenant un hypermarché et sept supermarchés sur les zones de chalandise. Le gouvernement a ainsi évalué les parts de marché avant opération sur la zone primaire à 50-60 % pour le groupe Bernard Hayot et à 40-50 % pour le groupe Kenu In et sur la zone secondaire à 30-40 % chacun pour les deux groupes. Le gouvernement a estimé qu'après réalisation de l'opération avec les engagements souscrits, les parts de marché sur la zone primaire comme sur la zone secondaire demeureraient dans la même fourchette pour les deux groupes.
14. La société requérante souligne à cet égard, d'une part, qu'un hypermarché dispose d'un rendement au mètre carré supérieur à celui d'un supermarché, de sorte que l'appréciation de la position du groupe Bernard Hayot sur le marché aval de la distribution alimentaire ne pouvait être exclusivement fondée sur le total des surfaces commerciales détenues. Toutefois, en matière de distribution au détail, la surface de vente constitue un indicateur significatif, dans la mesure où il existe une corrélation entre la surface de vente et le chiffre d'affaires. Par ailleurs, il résulte de ce qui vient d'être dit que le gouvernement de la Polynésie française a procédé notamment à une analyse de la concurrence sur le marché propre aux hypermarchés. En outre, il ressort du rapport annexé à l'arrêté du 30 août 2016 qu'il a également été tenu compte du potentiel de résistance à la concurrence de l'hypermarché exploité par la société de distribution et de gestion, compte tenu de son emplacement au sein d'une zone commerciale attractive et des projets de travaux et d'extension le concernant, du degré de concentration du marché et de l'existence de barrières à l'entrée pour d'autres concurrents. Contrairement à ce que soutient la société requérante, l'arrêté du 30 août 2016 ne conclut ainsi pas à l'absence d'atteinte à la concurrence du seul fait que la surface commerciale nette globale du groupe Bernard Hayot n'augmentera que de 143 m² après réalisation de l'opération et des engagements qui y sont liés. La société requérante n'apporte par ailleurs pas d'élément précis et chiffré sur l'évaluation des parts de marché des groupes Bernard Hayot et Kenu In tenant compte d'autres indicateurs que la surface commerciale.
15. D'autre part, la société de distribution et de gestion soutient que les effets de l'opération avec les engagements qui y sont liés, consistant en la cession de deux supermarchés détenus par le groupe Bernard Hayot et la cession de tous les liens avec l'hypermarché Casino Johnston, ont été inexactement appréciés au travers de la seule surface de vente cédée (4 357 m²), dans la mesure où ces magasins ont un rendement au mètre carré bien inférieur à celui que dégagera l'hypermarché dont l'ouverture est projetée (4 500 m² après engagements). Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le magasin Casino Johnston a été regardé comme un hypermarché compte tenu, à la fois, de sa surface supérieure au seuil de 2 500 m² communément utilisé par les autorités de la concurrence, mais également du fait que sa surface est trois fois supérieure à la surface moyenne des supermarchés du groupe Bernard Hayot comme du groupe Kenu In et de la diversité de son assortiment, alimentaire et non alimentaire, supérieure à celle d'un supermarché. C'est ainsi à bon droit que la surface de vente du Casino Johnston a été prise en compte dans l'évaluation des parts de marché du groupe Bernard Hayot sur la zone de chalandise primaire et qu'il a été tenu compte de la surface cédée qu'il représente dans l'évaluation des parts de marché du groupe après réalisation de l'opération et des engagements. En outre, ainsi qu'il vient d'être dit, c'est également sans erreur de droit ni d'appréciation qu'il a également été tenu compte, dans l'évolution des parts de marché du groupe Bernard Hayot sur la zone de chalandise secondaire, de la surface de vente représentée par les deux supermarchés que le groupe s'est engagé à céder.
16. Enfin, si la société requérante soutient que l'appréciation prospective de l'évolution des parts de marché est trop hypothétique dès lors qu'elle repose sur le postulat de la reprise effective par un concurrent des surfaces cédées, il ressort du rapport annexé à l'arrêté du 30 août 2016, d'abord, que si le groupe Bernard Hayot ne parvient pas à conclure les contrats de cession correspondants, dans un délai déterminé, ou si l'acquéreur trouvé est rejeté par le gouvernement, un mandataire, approuvé ou le cas échéant désigné par le gouvernement, sera chargé de la réalisation des cessions, sous le contrôle du gouvernement. Il est ensuite prévu que l'acquéreur qui, comme les contrats de cession, doit être approuvé par le gouvernement, devra être indépendant juridiquement et commercialement du groupe Bernard Hayot et devra pouvoir préserver et développer de manière viable la capacité des magasins cédés à concurrencer activement le groupe sur les marchés de la distribution alimentaire. Des garanties ont ainsi été prises pour rendre la réalisation des engagements suffisamment probable. Il ressort également du rapport qu'il a été estimé que la libération de ces surfaces commerciales, de différents formats (supermarchés et hypermarché), était propice au développement de la concurrence et à l'entrée potentielle d'un nouveau concurrent. En se bornant à soutenir que le caractère insulaire de la Nouvelle-Calédonie rendrait le nombre de repreneurs concurrents relativement faibles, la société de distribution et de gestion ne critique pas sérieusement l'analyse prospective des effets de l'opération avec les engagements qui y sont liés sur le marché aval de la distribution alimentaire à laquelle il a été procédé.
17. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation quant à la position du groupe Bernard Hayot après réalisation de l'opération sur le marché aval de la distribution alimentaire doivent être écartés.
18. En deuxième lieu, pour analyser les effets de la mise en exploitation de l'hypermarché projetée par le groupe Bernard Hayot, il ressort du rapport annexé à l'arrêté du 30 août 2016 que le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a ensuite délimité les marchés pertinents de l'approvisionnement en amont au niveau national et au niveau local. Il a ensuite été procédé à une analyse concurrentielle au regard de la variation de la puissance d'achat du groupe sur ces deux marchés, appréciée notamment au regard du pourcentage du chiffre d'affaires respectif des fournisseurs que représentent les achats par le groupe Bernard Hayot. Au niveau national, il a été conclu que l'opération n'était pas de nature à créer ou renforcer une puissance d'achat du groupe. Au niveau local, il a été relevé qu'avant l'opération, le groupe était déjà un partenaire incontournable pour les fournisseurs locaux, du fait du pourcentage du chiffre d'affaires que ses achats représentent pour eux mais également du fait que le groupe est présent sur tous les formats de distribution et qu'il dispose du meilleur maillage territorial, de sorte que la mise en exploitation de l'hypermarché projeté était de nature à renforcer la puissance d'achat du groupe. Le gouvernement a ensuite estimé que les trois engagements pris permettent de limiter l'accroissement de cette puissance d'achat, dans la mesure où la surface globale de vente du groupe n'augmentera que de 143 m² et où le réseau de distribution du groupe diminuera du fait de la cession de deux supermarchés et d'un hypermarché, tandis que les fournisseurs auront de nouveaux débouchés auprès de clients tiers. La société requérante fait à cet égard valoir que les effets de l'opération sur le marché amont de l'approvisionnement au niveau local ont été insuffisamment appréciés dès lors que les fournisseurs vont à l'avenir largement dépendre de l'unique hypermarché à créer alors qu'ils avaient auparavant pour clients les deux supermarchés que le groupe Bernard Hayot s'est engagé à céder ainsi que l'hypermarché Casino Johnston avec lequel le groupe s'est engagé à rompre tout lien. Toutefois, les deux supermarchés, appartenant au groupe, bénéficiaient et participaient de sa puissance d'achat, de même que l'hypermarché Casino Johnston dont il n'est pas contesté qu'il avait l'obligation contractuelle de se fournir quasi-exclusivement auprès de fournisseurs référencés par le groupe. Les engagements de cession pris sont ainsi de nature à permettre aux fournisseurs de disposer de nouveaux clients autres que le groupe Bernard Hayot. La circonstance que les trois magasins concernés par les engagements ne disposeraient chacun que d'un rayon alimentaire d'une surface limitée par rapport à celui dont disposera le futur hypermarché ne suffit pas, en l'absence d'éléments précis et chiffrés, à estimer que les engagements pris ne permettent pas de remédier aux effets sur la concurrence de la mise en exploitation de ce magasin. Il suit de là que le moyen tiré d'une erreur d'appréciation quant aux effets de l'opération sur le marché amont de l'approvisionnement local doit être écarté.
19. En troisième lieu, la société requérante soutient que les effets de l'opération sur les marchés de la distribution automobile auraient également dû être analysés dans la mesure où l'hypermarché dont l'ouverture est projetée par le groupe Bernard Hayot sera accompagné d'un centre commercial comportant notamment un " centre auto ". Toutefois, les défendeurs soutiennent sans être nullement contredits que ce " centre auto ", pas davantage qu'aucun des autres espaces commerciaux entourant le futur hypermarché, n'aura pas une surface de vente supérieure à 350 m². Il suit de là que la mise en exploitation de ce " centre auto " n'est, par elle-même, pas au nombre des opérations énumérées à l'article Lp. 432-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie précité soumises à autorisation préalable. En tout état de cause et à supposer même que ce " centre auto " soit destiné à être exploité par le groupe Bernard Hayot, il ne ressort nullement des éléments relatifs à la présence de ce groupe sur le marché de la distribution de véhicules, de pneumatiques, de pièces de rechange et d'accessoires automobiles ainsi que sur le marché de la réparation et de l'entretien de tous véhicules automobiles que l'ouverture de ce centre soit de nature à porter atteinte à la concurrence.
20. En dernier lieu, la société requérante fait valoir que les seuls engagements pris par le groupe Bernard Hayot de réduire la surface de l'hypermarché de 1 000 m² et de céder deux supermarchés, ne sont pas de nature à supprimer l'atteinte à la concurrence résultant de la mise en exploitation du nouvel hypermarché à Dumbéa-sur-mer alors que l'engagement tenant à la rupture des liens avec la SAS Johnston Distribution est inapproprié, faute pour le groupe Bernard Hayot d'exercer un contrôle sur cette entreprise. Il ressort toutefois des pièces du dossier que le groupe Bernard Hayot détient 15 % des parts sociales du magasin Casino Johnston, que les deux entreprises sont liées depuis 1995 par une convention de gestion portant sur la comptabilité, la gestion du personnel et le contrôle de gestion du magasin et par une convention de sous-affiliation, autorisant la distribution de produits sous la marque Casino contre l'obligation de s'approvisionner exclusivement auprès des fournisseurs référencés par le groupe Bernard Hayot pour des marchandises énumérées et à respecter en permanence la sélection et l'assortiment des produits décidés par le groupe. Dans un rapport relatif aux mécanismes d'importation et de distribution des produits de grande consommation en Nouvelle-Calédonie rédigé à la demande du gouvernement de cette collectivité, l'Autorité de la concurrence avait d'ailleurs relevé que le groupe exerçait une influence notable sur la gestion de ce magasin en intervenant sur le management et la communication et a d'ailleurs comptabilisé ce magasin dans les parts de marché du groupe Bernard Hayot. La prise en compte de l'engagement du groupe à céder la totalité de sa participation dans le capital de la SAS Johnston Distribution et à résilier la convention de gestion et le contrat de sous-affiliation correspondants n'est ainsi entachée d'aucune erreur de droit ni d'appréciation.
21. Enfin, compte tenu de ce qui a été dit précédemment sur les conditions les entourant, cet engagement, celui tenant à la réduction de la surface commerciale de l'hypermarché projeté et celui tenant à la cession de deux supermarchés et à la résiliation des contrats d'affiliation correspondant apparaissent suffisants pour permettre le maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés pertinents.
22. Il résulte de tout ce qui précède que la société de distribution et de gestion n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la Nouvelle-Calédonie, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société de distribution et de gestion demande au titre des frais de l'instance. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société de distribution et de gestion une somme de 1 500 euros chacune à verser à la Nouvelle-Calédonie et à la société des supermarchés du Nord.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société de distribution et de gestion est rejetée.
Article 2 : La société de distribution et de gestion versera à la Nouvelle-Calédonie et à la société des supermarchés du Nord une somme de 1 500 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société de distribution et de gestion, au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et à la société des supermarchés du Nord.
Copie en sera adressée à la ministre des Outre-mer et au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président,
- Mme Larsonnier, premier conseiller,
- Mme Guilloteau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 4 avril 2019.
Le rapporteur,
L. GUILLOTEAULe président,
J. LAPOUZADE
Le greffier,
Y. HERBERLa République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA02654