Par un jugement n° 1516971/6-2 du 18 avril 2017, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat (ministre des affaires sociales et de la santé) à verser à Mme C... la somme de 40 000 euros, de laquelle il convient de déduire la somme de 6 000 euros déjà versée en application de l'ordonnance du 4 juin 2014 du juge des référés du Tribunal administratif de Paris, cette somme devant être majorée des intérêts au taux légal à compter du 22 décembre 2014.
Procédure devant la Cour :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés respectivement le 27 juin 2017 et le 27 octobre 2017, et un mémoire de production de pièces enregistré le 25 janvier 2018, MmeC..., représentée par Me Lebbad Meghar, demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 1516971/6-2 du 18 avril 2017 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses conclusions indemnitaires en rejetant la demande de réparation des préjudices patrimoniaux correspondant à la perte de revenus professionnels pour le poste de chef de service, de l'activité libérale en ville et / ou des revenus des gardes non effectuées à la maternité des Lilas ;
2°) de condamner l'Etat (ministre de la santé) à lui verser :
- la somme de 314 878,51 euros, assortie des intérêts de droit, correspondant à son préjudice patrimonial résultant des revenus potentiels qu'elle aurait perçus si elle avait été chef de service ou, au titre de la perte de chance, la somme de 236 158,88 euros, sauf à parfaire, avec intérêts de droit au 22 décembre 2014, date de la réception de la demande d'indemnisation par le ministère de la santé ;
- la somme de 340 479,17 euros, assortie des intérêts de droit, au titre du préjudice patrimonial subi du fait de l'impossibilité de fonder son propre cabinet de médecine libéral spécialisé, ou, au titre de la perte de chance, la somme de 255 359,37 euros, sauf à parfaire, avec intérêts de droit au 22 décembre 2014, date de la réception de la demande d'indemnisation par le ministère de la santé ;
- la somme de 337 263,89 euros, assortie des intérêts de droit, correspondant à son préjudice patrimonial résultant de l'impossibilité de faire des gardes et de percevoir un salaire plus élevé que celui qu'elle a perçu durant la période fautive au sein de la maternité des Lilas ou dans d'autres hôpitaux, ou, au titre de la perte de chance, la somme de 252 947, 91 euros, sauf à parfaire, avec intérêts de droit au 22 décembre 2014, date de la réception de la demande d'indemnisation par le ministère de la santé ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le jugement attaqué a estimé que sa nomination en qualité de chef de service présentait un caractère hypothétique et que, dès lors, elle n'était pas fondée à demander une indemnisation à ce titre, alors qu'elle établit qu'elle avait reçu des propositions de nomination en qualité de chef de service ;
- si elle avait pu effectuer des gardes, elle aurait perçu un salaire plus élevé que celui qu'elle a perçu durant la période fautive au sein de la maternité des Lilas ou dans d'autres hôpitaux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 avril 2018, la ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme D...ne sont pas fondés.
Un mémoire, présenté pour MmeC..., a été enregistré le 21 mai 2018, soit après la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique,
- le code civil,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Luben,
- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public,
- et les observations de Me Lebbad Meghar, avocate de MmeC....
Une note en délibéré a été produite le 28 mai 2018 pour MmeC....
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que MmeC..., née le 15 juin 1959 en Iran et de nationalité française, après avoir obtenu en janvier 1987 le diplôme de docteur en médecine à Oran (Algérie), a déféré à l'appel lancé le 23 mars 1994 par les autorités françaises incitant les résidents français d'Algérie à regagner la France pour des raisons de sécurité. Rentrée en France en avril 1994, Mme C... a sollicité en 2004 le bénéfice de la procédure d'autorisation d'exercice de la médecine en France, prévue par les dispositions du I de l'article L. 4111-2 du code de la santé publique instaurée par la loi n° 99-641 du 27 juillet 1999, permettant au ministre chargé de la santé d'autoriser à exercer en France des personnes qui ne remplissent pas toutes les conditions requises par le code de la santé publique. Elle a subi avec succès les épreuves de vérification des connaissances dans sa spécialité de gynécologie-obstétrique et son dossier a été présenté le 24 mars 2006 à la commission compétente, qui a émis un avis défavorable. Le ministre chargé de la santé a alors fixé, par un arrêté du 14 avril 2006, la liste des personnes autorisées à exercer en France la profession de médecin dans la spécialité en question sans que le nom de Mme C...figure sur cette liste, puis a indiqué à l'intéressée, par courrier du 28 juin 2006, que l'autorisation d'exercer en France ne lui était pas accordée. Par un arrêt en date du 7 février 2011 devenu définitif, la Cour administrative d'appel de Paris a annulé l'arrêté du 14 avril 2006 en tant qu'il ne comprenait pas le nom de MmeC..., ainsi que la décision du 28 juin 2006, au motif d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation de l'intéressée commises par le ministre chargé de la santé ; la cour a enjoint à ce dernier de délivrer à Mme C...l'autorisation d'exercice de la profession de médecin dans la spécialité " gynécologie-obstétrique ". L'autorisation d'exercice sollicitée a été délivrée à l'intéressée par arrêté du 22 juin 2011 et publiée le 30 juin 2011, permettant ainsi à Mme C... d'être inscrite le 12 octobre 2011 au tableau de l'ordre des médecins de la ville de Paris dans la spécialité " gynécologie-obstétrique ". Les illégalités entachant la décision du 28 juin 2006 et l'arrêté du 14 avril 2006, constatées par l'arrêt susmentionné de la Cour, sont constitutives d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, qui s'étend à la période courant du 13 mai 2006, date de publication de la liste des personnes autorisées à exercer en France la profession de médecin dans la spécialité de " gynécologie-obstétrique ", sur laquelle Mme C... aurait dû figurer, au 30 juin 2011, date de publication de l'autorisation délivrée en exécution de cet arrêt de la Cour.
Sur les préjudices patrimoniaux :
Quant à la perte de revenus professionnels :
2. En premier lieu, Mme C...fait valoir que c'est à tort que le jugement attaqué a estimé que sa nomination en qualité de chef de service présentait un caractère hypothétique et que, dès lors, elle n'était pas fondée à demander une indemnisation à ce titre. Elle a produit, à l'appui de son moyen, des attestations de l'ancien chef de service adjoint de la maternité des Lilas, de l'ancien chef de service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital d'Epernay Auban-Moët, d'un gynécologue-obstétricien, ancien président directeur-général de la clinique Henri Guillard à Coutances, de l'ancien chef de service de la maternité des Lilas et du chef du pôle périnatologie cardiologie et pédiatrique à l'hôpital Necker qui, toutes, font état des qualités personnelles et professionnelles de l'intéressée, qui la rendait apte à exercer des fonctions supérieures au sein d'une structure hospitalière de gynécologie-obstétrique, comme celle de cheffe de service. Toutefois, l'accession à la fonction de cheffe de service supposait, pour MmeC..., une double condition, en premier lieu qu'elle réussisse le concours de praticien hospitalier (qu'au demeurant elle indique avoir réussi postérieurement), puis qu'une offre de poste lui soit faite. Par suite, et quand bien même l'ancien chef de service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital d'Epernay Auban-Moët certifie avoir proposé au Dr C...de prendre la chefferie de service de gynécologie-obstétrique en 2008, offre qu'elle n'aurait pu accepter du fait de sa non-inscription à l'ordre national des médecins à cette période, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé qu'il ne résultait pas de l'instruction qu'en l'absence d'illégalité fautive, Mme C...aurait pu, avec un degré de certitude suffisant, occuper un tel poste entre 2006 et 2011 et qu'ainsi sa nomination en qualité de chef de service présentait un caractère hypothétique. Au demeurant, les premiers juges ont retenu l'existence d'un préjudice de carrière pour la requérante (perte de chance de bénéficier d'évolutions professionnelles telles que l'accès à des postes de responsabilité) en condamnant l'Etat à lui verser à ce titre la somme de 30 000 euros.
3. En deuxième lieu, si Mme C...fait valoir, uniquement dans ses conclusions, que, du fait de l'illégalité fautive commise par l'administration, elle a été dans l'impossibilité de fonder son propre cabinet de médecine libéral spécialisé, elle n'articule, à l'appui de sa demande indemnitaire, aucun argument nouveau par rapport à ceux qui avaient été développés en première instance. Par suite, sa demande concernant ce chef de préjudice doit être rejetée par adoption des motifs retenus par les premiers juges.
4. En troisième lieu, si Mme C...fait valoir que l'illégalité fautive commise par l'administration l'a empêchée de faire des gardes et de percevoir ainsi un salaire plus élevé que celui qu'elle a perçu durant la période fautive au sein de la maternité des Lilas ou dans d'autres hôpitaux, il ne résulte pas de l'instruction que l'illégalité fautive ait été la cause de l'impossibilité d'effectuer des gardes, dès lors qu'il ressort des dires mêmes de la requérante qu'elle aurait été victime, au sein de la maternité des Lilas, d'une forme de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie du fait de ses mandats représentatifs, et de l'attestation du 5 avril 2009 de l'ancien chef de service adjoint de la maternité des Lilas que le refus de la direction de cette maternité de lui confier des gardes avait été prononcé au prétexte que le Dr C...n'est pas inscrite à l'ordre des médecins, alors que plusieurs praticiens titulaires de diplôme étranger, non inscrits à l'ordre, exerçaient de telles gardes. Au surplus, comme l'ont à bon droit estimé les premiers juges, Mme C...ne peut prétendre, en tout état de cause, à la réparation d'un préjudice lié à la perte d'indemnités compensant une sujétion à laquelle elle n'a pas été effectivement soumise.
5. En quatrième lieu, Mme C...fait valoir que c'est à tort que le jugement attaqué a retenu que la diminution de ses revenus résultant de sa non inscription au tableau de l'ordre national des médecins a été compensée par le versement d'une indemnité spécifique. Il résulte toutefois de l'instruction que si MmeC..., jusqu'en février 2007, en qualité de médecin gynéco-obstétricienne à la maternité des Lilas, était au coefficient 1037, à compter de mars 2007, elle a perçu, en qualité de médecin attaché à la maternité des Lilas, au coefficient 937, soit un coefficient inférieur à celui qui était le sien antérieurement, une indemnité différentielle et une majoration spécifique, compensant ainsi la diminution du salaire net du fait de la baisse du coefficient. En outre, si Mme C...produit ses avis d'impôt sur le revenu pour l'année 2013 et pour l'année 2014 et sa déclaration de revenus de 2015, ces éléments n'établissent pas, à eux seuls, dès lors que tous les revenus de la requérante y sont agrégés, quel aurait été le montant de sa perte de revenu résultant de sa non inscription au tableau de l'ordre national des médecins.
6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 18 avril 2017, le Tribunal administratif de Paris n'a pas fait droit à l'intégralité des ses conclusions indemnitaires et qu'il devrait, par suite, être réformé dans cette mesure. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme C...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...et à la ministre des solidarités et de la santé.
Délibéré après l'audience du 24 mai 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Luben, président,
- MmeB..., première conseillère,
- MmeA..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 7 juin 2018.
Le président-rapporteur,
I. LUBENLa première conseillère la plus ancienne,
M. B...La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA02185