Par une requête, enregistrée le 3 juillet 2017, le préfet de Seine-et-Marne demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1702614 du 12 avril 2017 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C...devant le Tribunal administratif de Melun.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'a décidé le premier juge, l'arrêté du 16 mars 2017 n'a pas été pris à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors qu'il justifie par les pièces produites en appel de l'accord implicite des autorités italiennes pour la reprise en charge de M. C... ;
- le signataire de cet arrêté disposait d'une délégation de signature régulière ;
- cet arrêté était régulièrement motivé en droit et en fait ;
- la situation de l'intéressé a fait l'objet d'un examen sérieux ;
- M. C...n'a pas été privé des garanties prévues à l'article 5 du règlement (UE) n° 604/20 du 13 du 26 juin 2013 ;
- les autorités italiennes étaient compétentes pour l'examen de la demande d'asile de M.C... ;
- l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'a pas été méconnu.
La requête a été communiquée à M.C..., qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 modifiant le règlement (CE) n° 1560/2003 portant modalités d'application du règlement (CE)
n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Notarianni a été entendu au cours de l'audience publique :
1. Considérant que M.C..., ressortissant soudanais né le 1er janvier 1991, entré en France selon ses déclarations le 19 janvier 2016, a déposé le 17 août 2016 une demande d'admission au titre de l'asile en France ; que la consultation du fichier Eurodac ayant révélé que ses empreintes digitales avaient été relevées par les autorités italiennes, le préfet de Seine-et-Marne a estimé que l'examen de sa demande d'asile relevait de la compétence de l'Italie et a décidé sa remise aux autorités italiennes par un premier arrêté du 6 décembre 2016 ; que cet arrêté ayant fait l'objet d'une annulation pour défaut de motivation par un jugement du 30 décembre 2016 du Tribunal administratif de Melun lui enjoignant de procéder au réexamen de la demande de M.C..., le préfet de Seine et Marne, a, par un nouvel arrêté du 16 mars 2017, décidé à nouveau que celui-ci serait remis aux autorités italiennes ; que par un jugement du 12 avril 2017, dont le préfet relève appel, le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Melun a annulé cet arrêté ;
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Sous réserve du respect des stipulations de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, l'admission en France d'un étranger qui demande à bénéficier de l'asile ne peut être refusée que si : 1° L'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat en application des dispositions du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, ou d'engagements identiques à ceux prévus par ledit règlement avec d'autres États (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1 mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. / Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat. " ; qu'aux termes de l'article L. 742-3 du même code : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. Cette décision est notifiée à l'intéressé. Elle mentionne les voies et délais de recours ainsi que le droit d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. Lorsque l'intéressé n'est pas assisté d'un conseil, les principaux éléments de la décision lui sont communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend " ; que l'article 13 du règlement n° 604/2013 du 23 juin 2013 dispose : " 1. Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. " ; qu'aux termes de l'article 21 du même règlement : " L'Etat membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre Etat membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date d'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre Etat membre aux fins de prise en charge du demandeur. Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif (" hit ") Eurodac (...), la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif (...). Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéa, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'Etat membre auprès duquel la demande a été introduite. (...) " ; qu'aux termes de l'article 22 du même règlement : " (...) / 7. L'absence de réponse à l'expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 et du délai d'un mois prévu au paragraphe 6 équivaut à l'acceptation de la requête et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée. " ;
3. Considérant que le préfet de Seine-et-Marne justifie avoir saisi les autorités italiennes en produisant en appel l'accusé de réception dit " Dublinet ", correspondant à la demande de réadmission de M. C...adressée le 31 août 2016 à ces autorités, qu'il produit également ; que la référence " FRDUB17703115822770 ", figurant sur cet accusé de réception permet de s'assurer que la demande concerne bien M. C...; que, dès lors, le préfet de Seine-et-Marne est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Melun a annulé son arrêté du 16 mars 2017 au motif qu'il avait été pris à l'issue d'une procédure irrégulière en l'absence de preuve d'une saisine des autorités italiennes par le préfet de Seine-et-Marne ;
4. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...C..., devant le Tribunal administratif de Melun et devant la Cour ;
Sur les autres moyens invoqués par M. C...:
5. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. L'entretien individuel peut ne pas avoir lieu lorsque : a) le demandeur a pris la fuite; ou b) après avoir reçu les informations visées à l'article 4, le demandeur a déjà fourni par d'autres moyens les informations pertinentes pour déterminer l'État membre responsable. L'État membre qui se dispense de mener cet entretien donne au demandeur la possibilité de fournir toutes les autres informations pertinentes pour déterminer correctement l'État membre responsable avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1 (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger " ;
6. Considérant que M. C...soutient qu'il n'est pas établi qu'il a bénéficié de l'assistance d'un interprète lors de l'entretien individuel du 17 août 2016 et que cet entretien a été mené par un agent qualifié ; que toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. C... a bénéficié le 17 août 2016 lors de son entretien individuel, ainsi que le permettent les dispositions précitées, des services téléphoniques d'un interprète en langue arabe de l'organisme d'interprétariat ISM, agréé par l'administration, pendant une durée de 40 minutes ; que la fiche d'entretien produite comporte notamment un résumé effectué par l'agent ayant conduit l'entretien des déclarations effectuées devant lui par M.C..., lequel ne se prévaut ni d'erreurs dans cette transcription ni d'aucun élément de fait ou de droit susceptible d'avoir une influence sur la décision contestée qu'il n'aurait pas été mis en mesure d'indiquer utilement lors de cet entretien ; que, dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir avoir été privé des garanties prévues par les dispositions citées au point 5 ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que si les conditions dans lesquelles un acte administratif est notifié peuvent, dans l'hypothèse d'une notification irrégulière, avoir une incidence sur l'opposabilité des voies et délais de recours, elles restent sans influence sur la légalité de cet acte ; que dès lors, d'une part, si l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la notification de la décision de transfert à l'intéressé doit notamment mentionner qu'il lui est possible d'avertir ou de faire avertir son consulat, l'omission de cette formalité de notification est sans incidence sur la légalité de la décision de transfert attaquée ; qu'il en est de même des dispositions du même article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoyant que le requérant doit être informé dans une langue qu'il comprend des principaux éléments de la décision de remise aux autorités italiennes ;
8. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un Etat membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier et Etat membre auprès duquel la demande a été introduite, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable devient l'Etat membre responsable. " ; qu'aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l' Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit " ; qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ;
9. Considérant que l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que les éléments fournis par le requérant ne permettent pas de caractériser une situation de défaillance systémique entraînant un risque de traitement inhumain ou dégradant dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile à la date de la décision contestée ; qu'en outre, M. C...ne fait état d'aucune circonstance particulière qui l'exposerait à titre personnel à des atteintes contraires aux droits qu'il tient des conventions susmentionnées ou des garanties attachées aux demandeurs d'asile ; que, dans ces conditions, en décidant, conformément aux règles du droit de l'Union européenne, la remise de M. C...aux autorités italiennes, le préfet de Seine-et-Marne n'a pas commis d'erreur d'appréciation ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Seine-et-Marne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Melun a annulé son arrêté du 16 mars 2017 et lui a enjoint de réexaminer la situation administrative de M. C...;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1702614 du 12 avril 2017 du magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Melun est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C...devant le Tribunal administratif de Melun est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à M. B...C....
Copie en sera adressée au préfet de Seine-et-Marne.
Délibéré après l'audience du 31 mai 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président,
- M. Dalle, président assesseur,
- Mme Notarianni, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 7 juin 2018.
Le rapporteur,
L. NOTARIANNILe président,
C. JARDINLe greffier,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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17PA02220